Au cœur des crises, lONU sefforce de tenir le cap

Alors que la 77e session de son Assemblée générale s’est clos fin septembre, l’ONU fait face à de très nombreux défis. Défis qu’elle est en mesure de relever à la seule condition d’une coalition mondiale. Les Etats membres sont appelés à se mobiliser et à s’engager dans des actions concrètes sur le terrain.

Par Lola Breton

L’événement était notable, presque historique. Voilà plus de deux ans que l’on n’avait pas vu António Guterres au pupitre de l’Organisation des Nations unies. Le 20 septembre, le Secrétaire général a ouvert la 77e session de l’Assemblée générale en présentiel sur une note sombre : « Notre monde est au plus mal. Les clivages saccentuent. Les inégalités se creusent. Les difficultés s’étendent. » Il faut dire que, alors que le virus de Covid-19 menace encore et que la guerre fait rage, le moral de la communauté internationale n’est pas au beau fixe. « La Charte des Nations unies et les idéaux quelle porte sont en péril », s’est-il alarmé. Pourtant, beaucoup comptent sur elle pour parvenir à sortir de ces crises qui nous assaillent, et à affronter les prochaines. « La logique de coopération et de dialogue est la seule voie possible, assure António Guterres. Aucune puissance ou groupe ne peut mener la barque tout seul. Aucun grand problème mondial ne peut être résolu par une coalition de volontaires. Il nous faut une coalition mondiale. » Mais cette barque est faite de rameurs mués par leur seule bonne volonté, qu’il faut parfois convaincre de travailler en groupe.

« Casser le cycle infernal de la violence »

Coopérer d’abord pour atteindre la paix. Le Secrétaire général l’a rappelé, la guerre en Ukraine doit cesser. Plus encore, ce sont tous les autres théâtres de conflits qui doivent être pris en charge. C’est le but du Nouvel agenda pour la paix pour 2030. Il consiste notamment à travailler à la réduction des risques nucléaires et cyber, à investir dans la prévention et à penser à l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. Mais cette recherche de paix est rendue difficile par le rejet, par beaucoup, de la démilitarisation. « Au contraire, au Moyen-Orient, nous sommes plutôt dans une course à larmement, souligne Carole André-Dessornes, docteure en sociologie et spécialiste des rapports de force dans la région. On ny a jamais été autant armé. Cela saccélère notamment avec le désengagement des Etats-Unis de la région. Les monarchies arabes se sont mises à signer beaucoup de contrats, ce qui profite dailleurs à la fois aux Etats-Unis, à la France, aux Russes, à Israël et à la Chine. » Un phénomène commercial qui n’est donc pas prêt de cesser. D’autant que la pandémie et la guerre en Ukraine ont fait totalement abandonner le focus mis sur la région depuis des années. « Lautoritarisme persiste, note la chercheuse. En 2019, la révolution au Liban était porteuse despoir mais la pandémie a tout cassé. »

« Casser le cycle infernal de la violence à lEst de la RDC permettrait de stabiliser la région des Grands Lacs afin de tirer le plus grand bénéfice de ses potentialités économiques », souligne également le président de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi à l’attention de l’ONU. Il parle là des minerais essentiels à la transition écologique – notamment pour la construction des batteries de véhicules électriques – que l’on trouve majoritairement en Afrique.

Financer le sauvetage de la planète

Cette transition écologique est clé. La crise climatique s’apprête à engranger de nouveaux risques et défis pour la communauté internationale et les populations. Les engagements de l’Accord de Paris sont toujours d’actualité : les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduits de moitié avant 2030. Mais, António Guterres l’a rappelé, cet objectif, même s’il est atteint, ne suffira pas à colmater le problème. L’ONU a d’ores et déjà promis une aide de 100 milliards de dollars par an aux pays en développement pour financer les initiatives de lutte contre le changement climatique. Mais l’organisation internationale n’a pas cet argent en fonds propres et peine à mobiliser les grands pollueurs dans une démarche solidaire.

D’autant que tous les programmes, ou presque, de l’ONU nécessitent une contribution financière de la part de ses membres. Et au sortir d’une pandémie dévastatrice, les Etats semblent plus enclins à donner pour combattre les maladies que pour sauver le climat. Pays et organismes privés se sont engagés, fin septembre, à donner 14,2 milliards de dollars en faveur du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La recherche autour de ces maladies a été considérablement affectée par les moyens mis en œuvre pour régler la situation sanitaire liée au Covid-19. Parmi les objectifs affichés par le secrétaire général dans le Programme Commun pour 2030, on retrouve notamment la création d’une « plateforme durgence à activer en cas de crise mondiale complexe », notamment en cas de nouvelle pandémie. En termes de santé publique, il faut croire d’ailleurs que les leçons sont apprises. Un plan de vaccination mondial devrait être établi.

Les femmes et les filles dabord

Autre élément majeur qui sera au cœur des préoccupations futures, a fortiori à l’aune des crises climatiques et militaires : l’insécurité alimentaire. « Cest la préoccupation majeure dans de nombreux pays au Moyen-Orient », alerte Carole André-Dessornes. L’objectif de développement durable (ODD) « faim Zéro » avait pour ambition d’éradiquer la faim dans le monde d’ici à 2030. La tendance est plutôt inverse : le nombre de personnes affectées dépassera certainement les 670 millions si un changement profond n’a pas lieu. Un chiffre similaire à celui de 2015. Le Programme alimentaire mondial et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) enjoignent les Etats à « réaffecter les ressources dont ils disposent pour encourager la production, la distribution et la consommation daliments nutritifs ». Autrement dit, des efforts majeurs sont attendus de la part de chacun des Etats membres en termes agricoles. « Le problème, cest que lassistance est insuffisante. Les aides de lONU ne peuvent pas compenser la faillite totale des gouvernements », appuie la docteure en sociologie, inquiète pour le Liban notamment, dépendant à 80 % des importations de blé ukrainien.

Tous ces sujets ont la particularité de se voir traversés par un autre ODD : l’égalité entre les sexes. Là encore, la volonté de l’organisation est inchangée. Elle demande d’abord à chaque pays de « veiller à une représentation égale des femmes et des hommes » dans les institutions. Pour faire tomber les obstacles économiques qui se dressent devant les femmes, le secrétariat général préconise « dinvestir massivement dans l’économie des services à la personne » et de « rendre visible le travail à domicile » dans les données économiques. Le tout en luttant contre les préjugés et la violence de genre. Là encore, les résultats n’arrivent pas assez vite. « Au rythme où nous avançons, l’égalité de genre pourrait être atteinte dans 286 ans », prédit ONU Femmes dans son rapport annuel. « Linsécurité alimentaire affecte directement les femmes et les filles à cause des dynamiques de genre dans les foyers. On nourrit dabord ceux qui rapportent largent, les hommes, puis les enfants et ensuite, seulement, les femmes », souligne Antra Bhatt, l’une des autrices du rapport. Dans ce contexte, et alors que l’argent alloué aux programmes d’égalité des genres a baissé cette année pour la première fois depuis des décennies, ONU Femmes et les autres organes de l’ONU travaillent à renverser la tendance. « Les organisations de femmes sont clés pour sorganiser rapidement en cas de conflits et dans toutes situations de crise, explique Sarah Douglas, spécialiste paix et sécurité au sein d’ONU Femmes. Il faut donc continuer à pousser les Etats à sengager, pas juste dans leur parole, mais aussi dans leurs actions concrètes, sur le terrain. »