L’EUROPE A L’EPREUVE DU FEU 

Plus de 50% d’augmentation pour les mégafeux à l’horizon 2100. Voilà la conclusion que livre le rapport du Programme des Nations Unies pour le développement de février 2022, Spreading like Wildfire : The Rising Threat of Extraordinay Lanscape Fires. Face à cette situation alarmante et dans la perspective d’une multiplication des épisodes de chaleur et de sécheresse, industries, institutions et combattants du feu se préparent collectivement à affronter un défi d’une nouvelle ampleur.

Par Théo Lhen Tallieu

L’alarme incendie retentit en Europe

Au sortir de la saison estivale, le bilan est lourd. En France comme au sein de l’Union européenne, la forte hausse des températures et les épisodes de sécheresse nous interrogent sur l’avenir de la gestion de crise face à une menace qui tend à se développer. L’été 2022 aura été marqué par une forte recrudescence des feux sur le continent. Loin d’être épargnés, les pays membres de l’Union font les frais des records de chaleur, engendrant des feux qui dépassent largement les moyennes sur la base des pourcentages établis entre 2006 et 2021 au niveau européen. Sur la période de juin à août, Croatie, Chypre, Italie, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Espagne et France ont connu des feux largement plus destructeurs que les années précédentes. Cette menace planant sur l’Europe engendre un accroissement de la part des investissements nationaux attribuée à la lutte contre les feux. Depuis 2020, 12 des 27 pays membres de l’UE consacrent plus de 0,5% de leur PIB à la dépense spécifique au risque incendie. La Roumanie est le pays de l’UE dédiant la plus grande part de sa richesse à ce combat particulier avec un investissement équivalent à 0,8% du PIB1.

Ces surcoûts se couplent également à la nécessaire hausse des moyens humains. En France, les 66 000 hectares brûlés ont nécessité jusqu’à 10 000 sapeurs-pompiers par jour. Les renforts français, parmi l’Armée de terre, la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris et les Unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile n°1, n°5 et n°7 ont porté assistance aux SDIS2. À l’occasion du Congrès annuel des Sapeurs-Pompiers qui s’est déroulé cette année à Nancy, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) a mis en exergue la carence des moyens. Elle a particulièrement visé la flotte aérienne dont est dotée la France, qui dispose aujourd’hui de douze Canadairs, sept Dash et trois bimoteurs Beechcraft. Un équipement jugé « insuffisant » pour la FNSPF, qui estime que cet arsenal ne permettra plus de lutter au regard du danger que présentent les épisodes estivaux à venir3. Reçu à la commission des lois du Sénat le 21 septembre, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a annoncé son souhait de doter la France de quatre Canadairs supplémentaires, tout en reconnaissant que « cet objectif sera difficilement accessible, en l’absence de producteurs sur le marché actuel »4.

Une assistance transnationale en perspective

Face à la virulence des incendies, la nécessité d’une coopération internationale se dessine. En Gironde notamment, la France a bénéficié de l’assistance de 361 pompiers allemands, roumains, polonais et autrichiens. Cette aide internationale s’est accompagnée de la mise à disposition de quatre Canadairs supplémentaires par les pays concernés. Une « solidarité européenne » saluée par le président Emmanuel Macron qui s’inscrit dans un schéma européen bien défini. Dès 1998, la commission européenne a souhaité doter l’UE d’un système européen d’information sur les feux de forêts (EFFIS) basé sur l’observation satellitaire des zones Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord. Activé par la France en août 2022, il a permis de suivre l’évolution des feux et l’évaluation des dégâts. Le mécanisme européen de protection civile (MEPC) permet également depuis 2001 de mobiliser des effectifs en temps de crise, renforçant par la même occasion la coordination européenne de lutte contre les incendies. L’an dernier, le dispositif a été utilisé à 114 reprises, pour faire face aux feux qui ont frappé le pourtour méditerranéen, mais aussi les Balkans et l’Autriche5. Plus récemment, le dispositif RescEU, instauré en 2019, assure le pré-positionnement stratégique d’avions et d’hélicoptères bombardiers d’eau sur deux plateformes logistiques situées en Grèce et en Suède. Au sein de cette alliance, la France œuvre aux côtés de la Croatie, la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la Suède, afin de fournir aux deux bases douze avions et un hélicoptère. Particulièrement utile cet été, RescEU a permis l’assignation de deux avions grecs à la flotte française alors mise en défaut par la recrudescence des feux de mi-juillet.

Innover pour mieux lutter

Face aux limites des équipements européens, des initiatives conjoncturelles voient le jour. Encore à l’étude, l’A400M, avion de fret militaire d’Airbus, et son kit additionnel ont généré un véritable engouement après la tenue des premiers essais d’utilisation en tant que bombardier d’eau en Espagne cet été. Bien qu’il ne s’agisse là que d’une phase de test, les nouveaux outils aéroportés sont plébiscités par les acteurs de la lutte contre les incendies. « La crise de cet été a entrainé une vague d’émotions face à l’ampleur des dégâts. La DG ECHO qui s’occupe du RescEU dispose aujourd’hui de fonds importants et il faudrait voir si ces derniers ne pourraient être utilisés aussi pour financer des développements d’avions européens existants pour leur apporter la fonction supplémentaire de bombardier d’eau. Nous aurions ainsi des avions plus rapidement et qui de surcroit seraient multi-rôles » indique Jean De La Richerie. Le directeur des Grands Comptes Sécurité chez Airbus Defence & Space souligne aussi l’intérêt autour de nouveaux véhicules : « Les hélicoptères présentent des capacités très intéressantes et stratégiques pour aborder les feux périurbains, étant capables de largages chirurgicaux ».

L’évolution des feux stimule par ailleurs l’innovation, ouvrant de nouvelles perspectives de recherche et développement en matière de détection de départs de feux notamment autour de l’imagerie satellitaire. Un projet innovation d’Airbus D&S est déjà « validé dans sa première phase » selon Éric Davalo, directeur Ventes et Programmes Europe du groupe. Il permettrait d’automatiser l’identification des départs de feu en s’appuyant sur la précision des images captées par les satellites Pléiades Néo. D’autre part, les outils vidéos s’affirment progressivement comme des moyens efficaces de prévention, en témoigne l’utilisation de la caméra 360° d’Axis Communications dans la détection des feux, déjà testée en Asie, en Australie et en Europe. Pour Vincent Paumier, Business Development Manager chez Axis, « il est important de souligner que le coût dédié à la prévention sera largement inférieur aux coûts humains, matériels et écologiques qui découleront d’un incendie. »

Enfin, les projets collaboratifs autour des communications sécurisées en matière de gestion de crise se pensent au niveau européen. Un consortium mené par Airbus travaille sur le projet Broadway, à l’origine d’un système qui devrait assurer l’interopérabilité des échanges entre les pompiers, policiers, gendarmes et unités d’urgence médicale européens engagés dans des missions transfrontalières. Ils pourraient ainsi communiquer efficacement avec les services d’autres pays tout en restant en relation avec leur hiérarchie opérationnelle.« Ce projet financé par la Commission répond à un cahier des charges rédigé par des spécialistes en provenance de onze pays, issus des services de lutte contre les incendies, de police et de gendarmerie. Nous avons donc développé une solution interopérable qui permet les échanges mais garantit le contrôle et la sécurité pour chaque organisation. Cette solution est une réponse complète, dotée de terminaux, d’applications de communication critique et d’accessoires dédiés qui fonctionnent sur des réseaux mobiles très haut-débits partagés ou dédiés » précise Éric Davalo.

Reconsidérer nos espaces forestiers ?

Si l’aspect de lutte se développe, la prévention elle-aussi évolue. Une mission confiée par l’Etat à l’Office national des forêts (ONF) qui œuvre à la surveillance et à la connaissance des espaces forestiers. Cette expertise permet de fournir un appui nécessaire aux combattants du feu. « Au moment de la crise nous apportons toutes les informations dont a besoin le commandant des opérations, ce qui s’avère particulièrement utile pour informer les renforts en provenance de pays voisins comme on a pu le voir cet été » affirme Albert Maillet, directeur des Forêts et Risques Naturels à l’ONF. Cette instruction fondamentale s’ajoute à un autre aspect de la mission de l’institution. « Il nexiste pas de forêt incombustible. En revanche, certains systèmes forestiers sont plus ou moins favorables à la propagation du feu » ajoute Albert Maillet. Dans cette perspective, les forêts peuvent être repensées, un objectif visé au niveau européen au travers de l’EU Forest Strategy 2030 qui suggère la restauration des forêts et le renforcement de la gestion de ces espaces pour améliorer leur adaptabilité et leur résilience face au changement climatique6. Albert Maillet explique : « le principe de base de toute restauration repose en premier lieu sur la capacité de cicatrisation naturelle des forêts, l’homme n’intervient que pour améliorer cette résilience en réduisant les risques de perte des sols et éventuellement en complétant par une plantation », et d’ajouter : « Dans ces processus, la sylviculture, permet de favoriser l’ombrage afin que le sous-bois, là où le feu prend en puissance, soit moins éclairé, s’embroussaille moins et ne soit pas sec. Une autre idée est d’organiser l’espace de façon hétérogène à l’intérieur des forêts, compartimenter l’espace pour casser la dynamique du feu. L’homogénéité des forêts landaises et l’uniformité de l’occupation du sol dans le massif expliquent pour partie, au-delà des seuls facteurs météo, l’importance des surfaces parcourues par le feu. »

L’avenir sera européen

La lutte contre les incendies sera un combat collectif à l’échelle européenne. Une logique communautaire affirmée au niveau national à l’issue du référé de la Cour des comptes sur la flotte aérienne de sécurité civile du 3 octobre. À cette occasion, le président de la Conférence Nationale des Services d’Incendie et de Secours, Olivier Richefou, a tenu à rappeler la nécessité consensuelle « d’intégrer la coopération européenne dans les réflexions sur l’évolution de la flotte aérienne, et ce notamment dans les programmations pluriannuelles. » C’est également une perspective soutenue à l’occasion de la réunion ministérielle du Conseil de l’UE du 5 septembre dernier pour renforcer la préparation et la réponse aux feux7. Cela passera par l’accélération de l’établissement de la flotte permanente RescEU, l’acquisition d’hélicoptères additionnels en particulier en Europe centrale et en Europe du Nord, le renforcement du pré-positionnement saisonnier des équipes au sol dans les zones à risque et la création d’un plan d’action prévisionnel pour la prévention du feu8. « Les incendies de forêt sont devenus une préoccupation paneuropéenne, qui nous concerne tous » déclarait Janez Lenari, commissaire européen chargé de la gestion des crises. La Commission a donc proposé en octobre dernier 170 millions d’euros provenant du budget de l’UE pour renforcer les moyens terrestres et aériens de son Mécanisme européen de protection civile à partir de l’été 2023. Et le commissaire de conclure : « Bien que nos services d’urgence continuent d’être actifs dans la surveillance et la maîtrise des incendies, en tant que décideurs politiques, nous devons nous tourner vers l’avenir et prendre des engagements rapides et forts pour en faire plus, tant au niveau national qu’au niveau de l’UE, afin d’améliorer la préparation de l’UE aux futures saisons d’incendie pour éviter le pire. »9. Un enjeu qui sera décisif sur un territoire composé à 43,5% d’espaces forestiers.

1 « Fires in the EU call firefighters to the test », Eurostat – Commission Européenne, 9 août 2022.

2 « RETEX : Vos études payées par l’armée, les feux de forêt et les 400 ans des Troupes de marine », Armée de Terre, 16 septembre 2022.

3 Albertini, Antoine. « Les pompiers veulent repenser le modèle français de la sécurité civile, du financement à la doctrine », Le Monde, 23 septembre 2022.

4 Ibid.

5 « Mécanisme européen de protection civile », Commission européenne, 6 septembre 2022.

6 « Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Une nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts pour 2030 », Commission européenne, 16 juillet 2021.

7 « Informal Ministerial Meeting on Reinforcing Wildfire Preparedness and Response », Commission européenne, 5 septembre 2022.

8 Ibid.

9 « Incendies de forêt : les ministres de l’UE discutent de la prévention et de la préparation pour 2023 », Commission européenne, 5 septembre 2022.