Se préparer à des événements climatiques toujours plus extrêmes…

L’enchaînement des crises lors d’événements climatiques extrêmes cristallise aujourd’hui toute l’attention. Nos forces de sécurité se doivent d’apporter des réponses coordonnées et globales dans des contextes particulièrement éprouvants à l’instar des événements climatiques de cet été sur le territoire français. Comment les acteurs institutionnels, associatifs et industriels adressent-ils ces enjeux multifactoriels ? Comment la population peut-elle revenir au centre du jeu ?

Par Camille Léveillé

La multiplication des risques climatiques

Si le lien entre les événements climatiques extrêmes et le réchauffement climatique n’est aujourd’hui plus à prouver, la multiplication de ces risques pourrait bien être problématique dans les années à venir. Inondations, sécheresse, orages violents, feux de forêts, les exemples sont nombreux. Entre 1980 et 2017, les épisodes météorologiques extrêmes ont causé la mort de 90 000 personnes au sein de l’Union européenne et plus de 500 milliards de pertes économiques. Ainsi, le dernier rapport de l’état des risques de catastrophes naturelles ou de cause humaine dans l’UE note que les événements climatiques font partie des cinq risques qui inquiètent le plus les autorités des Etats membres1.

S’intensifiant chaque jour, les événements climatiques extrêmes doivent être mieux maîtrisés et une action coordonnée et concrète des pouvoirs publics au niveau national et européen est plus que jamais nécessaire.

Anticiper et réagir

80 % des Français considèrent aujourd’hui être mal ou pas préparés face aux crises et catastrophes2. Le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, Alain Thirion, plaide pour la mise en place d’une journée de sensibilisation auprès des Français en fonction des menaces auxquels ils sont exposés sur leur territoire. Calquée sur le modèle japonais, cette acculturation auprès des jeunes notamment, permettrait d’apprendre les gestes qui sauvent et d’expliquer les risques. « La population exposée aurait ainsi la capacité de devenir acteur de la prévention et de la réaction au danger. Se former aux comportements appropriés et disposer doutils de prévention adéquats limite les effets néfastes du risque » témoignait à ce sujet le préfet3. Et d’ajouter : « Au regard des transformations profondes induites par le changement climatique, jai impulsé à la mi-avril 2021, une démarche prospective afin de mettre en place une stratégie dadaptation de la réponse de la sécurité civile face aux défis climatiques et leurs effets à horizon 2050 […]. Abordée par thématique, cette analyse prend en compte l’évolution de lensemble des risques naturels et de leurs éventuels effets domino sur les réseaux, infrastructures et risques industriels. Ces travaux ont abouti à plus dune centaine de recommandations ayant permis d’établir une feuille de route pour ladaptation de la Sécurité civile à lhorizon 2050 ».

Les capacités présentes doivent pouvoir interagir de façon coordonnée pour répondre efficacement à ces crises. Le socle associatif est alors indispensable. La Croix-Rouge ou encore la Protection civile jouent ici un rôle clé. « Notre première mission est une mission dinformation auprès des populations qui n’ont pas accès à linformation, notamment celles en grande précarité. Le but est ensuite de les orienter vers des abris adaptés pour éviter quelles ne subissent la catastrophe. Il est extrêmement important de travailler sur le suivi psychologique des personnes victimes pour quelles puissent se reconstruire le plus rapidement possible. Après la catastrophe, vient le temps de la post-urgence immédiate, pour permettre aux victimes de réintégrer leur domicile. Notre fil conducteur reste ladaptation pour répondre au mieux à la crise en cours. En fonction de l’évaluation de la crise, nous construisons laction » développe Florent Vallée, Directeur délégué de l’urgence et des opérations de secours à la Croix-Rouge française. La proactivité de l’association sur le terrain ne s’arrête pas à la réponse humanitaire d’urgence. La structure a créé en mars dernier son “Campus des Solutions” et propose la mise en place de 7 propositions testées au sein même de l’association destinées à améliorer la préparation des populations aux crises collectives et individuelles et prendre en compte la santé mentale et psychologique dans ce contexte particulier. Désigner un coordonnateur national chargé de nous préparer à mieux gérer les crises, garantir un accès à la formation aux gestes et aux comportements qui sauvent tout au long de la vie, déployer une “option engagement” dans le cursus scolaire et universitaire ou encore valoriser et reconnaître les compétences développées par les jeunes dans le cadre de leur engagement sont autant d’initiatives qui pourraient voir le jour dans les prochaines années.

Derniers acteurs essentiels pour une réponse coordonnée et conjointe lors d’un événement climatique extrême : les industriels. Gain de temps, facilité d’utilisation des matériels ou innovations technologiques, le développement de nouvelles solutions permettraient aux forces de sécurité une efficacité maximale. Et, le tissu industriel répond aujourd’hui à l’appel. HELPED (Humanitary Emergency Logistic Project and Eco Development), démonstrateur développé par COGES Events filiale du GICAT, propose une « solution multidimensionnelle en cas de crises complexes ». Allant de l’anticipation de la mission à la reconstruction et normalisation d’une situation en passant par la première urgence ou le traitement de l’humain en cas de crise, HELPED réunit 57 entreprises pour une meilleure réponse face à une crise. Parmi elles, l’entreprise Zapata présente MEDEVAC, plateforme autopropulsée qui permet d’évacuer une personne blessée même si cette dernière se trouve sur un terrain difficile d’accès. Avec une autonomie de 25 minutes et une vitesse de 400 km/heure, ce nouveau moyen de transport pourrait être utilisé notamment lorsque de fortes pluies ou des inondations empêchent les secours d’accéder aux zones reculées. Autre exemple : le poste de commandement développé par Toutenkamion Group, déployable sur des terrains difficiles en 30 minutes et comportant non seulement un poste de commandement mais aussi de transmission, de gestion de crise, de site et de colonnes ainsi qu’un poste de surveillance. En somme, « le domaine de la Recherche & Développement offre de nombreuses opportunités qui pourraient bénéficier aux capacités de réponse de la Sécurité civile. Une veille attentive de ces innovations pourrait par exemple permettre de doter les intervenants d’équipements adaptés aux conditions opérationnelles futures (manque deau, chaleurs extrêmes, etc.) et ainsi daugmenter lefficacité de la réponse, tant pour leur sécurité que pour celle de la population » expose le directeur général de la Sécurité civile et de la gestion des crises.

Des mécanismes à différents échelons

Au niveau national et européen, des mécanismes de gestion de crise et de réponses en cas d’événements climatiques extrêmes existent pour assister la population, sécuriser la zone et agir en conséquence. Le mécanisme de protection civile de l’Union (MPCU) est l’un des outils le plus mobilisé pour la réponse à une catastrophe naturelle ou technologique. Utilisé plus de 600 fois en 20 ans, il s’est dernièrement renforcé. La Commission européenne a créé rescEU, une réserve capacitaire du MPCU, en 2019. Elle a notamment été activée lors de la crise liée à la Covid-19 et a également permis de financer une flotte pour lutter contre les incendies de forêt capables d’intervenir à tout moment. La France, la Croatie, la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la Suède ont mis à disposition 12 avions et 1 hélicoptère bombardier d’eau pour les autres Etats membres en cas d’urgence.

A l’échelon national, la France dispose « de moyens qui « maillent » le territoire français métropolitain et Outre-mer de forces et de réserves de matériels stratégiques. Ainsi, agissant en complément des services de secours territoriaux, trois unités dinstruction et dintervention de la sécurité civile (UIISC) complètent le dispositif de secours, soit 1402 sapeurs-sauveteurs des formations militaires de la sécurité civile (FORMISC), capables de sintégrer dans tous les dispositifs opérationnels territoriaux ou internationaux et intervenir sur lensemble du spectre des crises » expose le Préfet Alain Thirion. Autre levier d’action : le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur qui « analyse et gère les catastrophes naturelles et technologiques, assure la remontée d’informations ainsi que l’interface avec les centres opérationnels des autres ministères »4. Le centre opérationnel peut également permettre le déploiement de secouristes à l’étranger comme ce fut le cas en février dernier à Madagascar, où 60 professionnels de la sécurité civile sont venus en aide à la population locale après le passage du cyclone Batsirai qui a fait plus de 120 morts et près de 125 000 sinistrés.

Intensifier les efforts

« Nous assistons à un véritable changement de paradigme. Avant les crises survenaient de temps en temps, désormais elles seront systémiques avec un enchaînement sans précédent. Il faut commencer à changer de prisme que ce soit sur les modes daction ou sur les financements. Nous pourrions passer d’un modèle de sécurité civile à un modèle de protection civile dans lequel le citoyen serait également acteur de sa sécurité. Financièrement, nous avons besoin daccentuer les efforts sur la préparation et la planification » note Florent Vallée.

Les autorités européennes et nationales doivent s’adapter pour faire émerger une réponse multidimensionnelle, coordonnée et sécurisée. Le rapport de l’Assemblée nationale sur la protection civile européenne préconise la création d’un corps dédié à la protection civile européenne permettant par exemple une meilleure connaissance des matériels concernés dans le cadre de la gestion d’une crise, notamment une catastrophe naturelle. Nîmes va devenir, dès 2024, le premier hub européen de la protection civile. Le projet pilote, Nemausus, a pour objectif de poser la première pierre de cet édifice : la création d’un centre d’expertise européen sur les feux de forêts. La technologie, au service des forces de sécurité, sera nécessairement une partie de la création d’une résilience des populations à l’échelle nationale et européenne.

La culture de la résilience

La société civile a également un rôle important à jouer pour s’adapter aux crises climatiques à venir. « La stratégie de la Croix-Rouge repose sur la résilience à travers trois piliers : l’éducation, la protection et le post-catastrophe. Les citoyens doivent également être acteurs de cette sécurité civile » souligne Florent Vallée. « Une des clés de la résilience de la population est son information et sa formation tout au long de la vie, pour sortir du faux dogme de la société « 0 risque », sans pour autant sombrer dans le catastrophisme ou la tragédie : oui, chacun dentre nous sera confronté à un événement extrême, mais une conduite adaptée en réduira l’impact. Le citoyen doit prendre sa place dans le continuum de sécurité civile » abonde Alain Thirion.

Culture de la résilience, stratégie étatique et innovation semblent constituer les piliers d’un triptyque en cours de consolidation, essentiel à l’adaptation de la société aux futures catastrophes climatiques.

1Fiche info « Gestion européenne des risques de catastrophe », Commission européenne

2 Croix-Rouge, Comment nous préparer face aux crises ? Les 7 propositions de la Croix-Rouge

3Compte rendu, Mission d’information de la conférence des présidents sur la résilience nationale, Audition de M. le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (ministère de l’intérieur), 20 octobre 2021

4 Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), 2018, Ministère de l’Intérieur