« Les crises de demain sont souvent le refus des questions daujourdhui »

Ces mots de Patrick Lagadec, chercheur français spécialiste de la gestion du risque et de la gestion de crise, résonnent particulièrement dans le contexte actuel : sanitaire, climatique, social, environnemental, économique… La crise semble être partout, au risque, parfois, d’en oublier son caractère d’ordinaire exceptionnel et transitoire. Dans le même temps, les solutions pour y répondre foisonnent et sont marquées par une volonté commune des acteurs, des institutions au simple citoyen en passant par l’entreprise, de prendre leur destin en main et d’avancer ensemble pour résoudre les difficultés. Si la sécurité civile et humanitaire, acteur majeur de la gestion des crises, s’inscrit au cœur de ce mouvement, quelles sont ses perspectives pour la prochaine décennie ?

Par Sarah Pineau

Rendre le citoyen acteur de sa propre sécurité

Dispenser aux élèves un enseignement en matière de premiers secours est obligatoire dans l’Education nationale et, ce à plusieurs reprises, durant le cursus scolaire. Pourtant, le taux de formation de la population française est l’un des plus bas en Europe avec seulement 40% des Français formés aux gestes qui sauvent. Ce chiffre, loin d’être anecdotique, pose la question de l’engagement et, au-delà, de la manière de créer une culture commune de défense et de sécurité. Chaque crise le montre, une fois le chaos passé, la solidarité naît rapidement des décombres… Mais, faute d’être organisée, elle perd souvent en efficience et en efficacité. D’où la nécessité de créer les bons réflexes chez tout un chacun pour optimiser les moyens et les volontés lorsque l’urgence s’impose. C’est tout l’enjeu de la « résilience » qui, de plus en plus et à juste titre, s’installe dans le vocabulaire courant. Ainsi le 13 octobre 2022, à la suite de la dynamique engagée en 2021 par le plan d’action « Tous résilients face aux risques », a eu lieu la première édition de la journée nationale de la résilience. Pilotée par le gouvernement et coordonnée par les ministères de l’Intérieur et de la Transition écologique, elle vise à sensibiliser et à informer tous les citoyens aux risques qui les environnent, dans une logique d’exercices pratiques et dans l’objectif de contribuer à la préparation de tous aux bons comportements en cas de catastrophe.

Cependant, l’ambition future de résilience collective ne doit pas se faire au détriment de ce qui fonctionne déjà, notamment le modèle français de sécurité civile qui s’appuie sur les Sapeurs-pompiers (SP) et plus particulièrement sur la complémentarité entre SP professionnels et SP volontaires. Très sollicitée par la succession des incendies cet été, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France réunie en congrès en septembre a pointé le risque de à « rupture capacitaire », ce que Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et invité d’honneur a lui-même reconnu « le modèle de sécurité civile a été mis à rude épreuve ». D’où son engagement à « réfléchir » à un « statut pour les sapeurs-pompiers volontaires », afin d’inciter leurs employeurs à les libérer plus facilement en cas de besoin, avec, en creux, l’espoir de ranimer les vocations.

Miser sur la coopération européenne

Approfondir la coopération des moyens et des acteurs à l’échelle européenne est une autre priorité pour la sécurité civile et humanitaire dans les années à venir. Comme l’indique le préfet Alain Thirion, Directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGS) depuis l’été 2019, « les problématiques soulevées par des crises plus nombreuses et plus diverses sont communes à lensemble du réseau de Protection Civile européen ». Par ailleurs, ces crises étant amenées à s’étendre dans le temps et dans l’espace, elles demandent de fait, une « action conjointe », tant pour la mobilisation du Mécanisme de protection civile de l’Union européenne (MPUE) que pour la gestion des crises transfrontalières. Méconnu, le MPUE est pourtant « un outil extrêmement intéressant de solidarité européenne face aux catastrophes de toute nature » insiste Alain Thirion. En offrant par exemple une réserve d’intervention européenne aérotransportable en cas de crise majeure. Permettant de partager les efforts, matériels, humains et financiers des pays membres, cette réserve d’intervention gagnerait à être étoffée. Sans oublier la poursuite de la création de nouveaux modules tels que les hébergements d’urgence et les capacités de transport logistique « indispensable, du fait du changement climatique associé à laccroissement de la vulnérabilité des sociétés » alerte le préfet. Chacun en sortira gagnant, à commencer par la France, partie prenante de ce dispositif transnational via les FORMISC (Formations militaires de la sécurité civile) qui arment 17 des 18 modules français ; cet été l’Hexagone a en effet bénéficié de plusieurs modules européens « feux de forêt » lors des incendies en Gironde.

Rapprocher les concepts et les expertises

Si la coordination semble incontournable dans le traitement des risques, pour autant, elle ne peut se faire qu’en respectant les prérogatives et le mandat de chacun, surtout en ce qui concerne l’aide internationale. Magali Chelpi-den Hamer, chercheuse associée à l’Institut des mondes africains (IMAF) et à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) insiste sur la notion de « juste équilibre » entre les différents intervenants en situation de crise, notamment entre les primo-intervenants locaux, les praticiens de l’aide humanitaire et les militaires. Certes, la crise s’impose à tous ; mais les objectifs et les logiques poursuivis par chacun des acteurs diffèrent. Cette réalité doit être prise en compte, surtout au regard des principes fondateurs de l’humanitaire. Le principe d’« indépendance opérationnelle1 » n’exonère pas les acteurs de l’aide à chercher à mieux entremêler leurs actions avec les primo-intervenants locaux et l’action militaire qui est déployée en immédiat post-catastrophe. La chercheuse déplore qu’à l’heure actuelle, acteurs de l’aide et militaires s’essaient finalement assez peu au dialogue. Par crainte d’amalgame, beaucoup de « non-dits » demeurent entre ces deux mondes et n’aident pas à une coordination efficace. Or ce serait un atout majeur dans la gestion de crise : « la force logistique des armées est une réalité, en témoignent les opérations dacheminement rapide daide suite au passage de cyclones et douragans (Madagascar en février dernier, St Martin après IRMA, etc.) et les acteurs de laide ont souvent une connaissance fine des contextes locaux. Des complémentarités existent de fait sur les terrains dintervention. Mais il faut désormais les monter au niveau stratégique ». L’action civilo-militaire a de beaux jours devant elle.

1 Les 4 principes étant : neutralité, humanité,impartialité, indépendance opérationnelle.