Au coeur du mécanisme européen de la protection civile

Alors que la guerre borde les frontières de l’Europe, il apparaît comme nécessaire que la solidarité européenne se renforce. La solidarité entre les Etats du Vieux continent nécessite des moyens et des lois pour renforcer la sécurité des citoyens qui connaissent une multitude de crises, politiques, économiques, sanitaires et climatiques. C’est dans ce contexte que le Parlement européen a adopté en début de mois un texte sur « l’Union de la santé » pour renforcer la capacité de l’UE à prévenir et contrôler les maladies transmissibles et à lutter contre les menaces sanitaires. Ce texte constitue une étape supplémentaire dans le renforcement du mécanisme européen de la protection civile. Retour sur une doctrine européenne aussi nécessaire que stratégique.

Par Hugo Champion

RescEU: un dispositif dentraide européen

Créé en 2019, le dispositif rescEU illustre parfaitement les mécanismes que l’Union européenne met en œuvre pour faciliter la solidarité et l’entraide à l’échelle du continent. Au début du mois d’octobre, la Commission a proposé 170 millions d’euros provenant du budget de l’UE pour renforcer les moyens terrestres et aériens de rescEU, à partir de l’été 2023. Ce dispositif comprend une réserve de flotte d’avions et d’hélicoptères bombardiers d’eau, des avions d’évacuation médicale, ainsi qu’une réserve d’articles médicaux et des hôpitaux de campagne permettant de faire face aux urgences sanitaires. Ce mécanisme, activé sur décision du centre de coordination de la réaction d’urgence, diffuse auprès du pays en difficulté toutes les offres d’aide qu’ont pu émettre les Etats, selon leurs ressources disponibles au moment de la crise. Depuis sa création, rescEU a été activé 420 fois, notamment lors de la crise de la covid. Mais plus récemment, le mécanisme a bénéficié à l’Ukraine qui a reçu des respirateurs, blouses, masques et de nombreux appareils médicaux, issus de la réserve.

Depuis l’invasion russe, la Commission européenne a mis en place une procédure opérationnelle standard pour l’évacuation sanitaire des personnes déplacées d’Ukraine nécessitant des soins médicaux. Ces opérations d’évacuation sont coordonnées par l’intermédiaire du mécanisme de protection civile de l’UE et s’appuient sur le nouvel avion d’évacuation sanitaire rescEU, financé par l’UE et hébergé par la Norvège. Pour un transfert sécurisé des données des patients, leurs dossiers médicaux sont partagés au moyen du système d’alerte précoce et de réaction.

L’UE fournit également un soutien en matière de protection civile à la Tchéquie, à la Moldavie, à la Pologne, à la Slovaquie et au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Les feux de forêts : un exemple de coopération et de solidarité indispensable

« Alors que les incendies de forêt record de cet été ont peut-être été éclipsés par d’autres crises, la proposition d’aujourd’hui visant à renforcer rescEU montre que le budget de l’UE continuera à soutenir ceux qui en ont besoin.La solidarité européenne entre les Etats membres de l’UE reste forte et nous sommes prêts à soutenir cette solidarité avec des moyens financiers », expliquait début octobre Johannes Hahn, le commissaire chargé du budget et de l’administration. Durant l’été, le Centre de coordination de la réaction d’urgence a reçu onze demandes d’aide pour des incendies de forêt. Trente-trois avions et huit hélicoptères ont été déployés dans toute l’Europe par l’intermédiaire du mécanisme de protection civile de l’UE, qui ont été rejoints par plus de 350 pompiers au sol. En outre, le satellite Copernicus d’urgence de l’UE a fourni des cartes d’évaluation des dommages dans les zones touchées.

Ce service de cartographie d’urgence par satellite Copernicus est une vraie réussite européenne. Il a notamment permis d’obtenir des images très précises qui ont aidé les autorités et la population à identifier les zones brûlées, les foyers actifs ou encore les zones d’habitations à protéger. D’autres projets devraient voir le jour afin de renforcer la prévention des feux de forêt. « Il y a en ce moment un réseau de connaissance qui se met en place, permettant de relier les mondes scientifique et opérationnel autour de la gestion des risques naturels et technologique. Cest le sens duprojet NEMAUSUS,initié en 2021, qui a pour vocation de créer, à Nîmes, base de la sécurité civile française, un centre dexpertise européen sur les feux de forêt. », souligne le capitaine Laurent Alfonso, officier de sapeurs-pompiers, et chargé de mission des Affaires européennes à la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises.

Les différents incendies qui se sont déclarés dans cinq pays de l’Union européenne cet été ont précipité l’érection d’une solidarité européenne notable. « Le mécanisme de protection civile de l’UE a été activé neuf fois par cinq pays, avec un degré de solidarité manifesté par les États membres de l’UE sans précédent. », a déclaré Janez Lenarcič le commissaire européen chargé de la gestion des crises. L’entraide fut notable et rapidement activée.

Si la solidarité européenne a été manifeste cet été et que la capacité opérationnelle des pompiers européens s’est avérée remarquable, « nous devons maintenant travailler sur des dispositions de formations plus homogènes, car nous navons pas toujours les mêmes approches, les mêmes façons de travailler entre Européens. », note Jean-Frédéric Biscay, vice-président du syndicat national des pompiers Avenir Secours. Et d’ajouter : « Peut-être quen matière de sécurité civile, on fera un jour ce quon na pas réussi à faire sur le plan militaire. Cest important au regard des grandes crises et catastrophes que nous allons connaître dans les années à venir, face aux feux de forêt, mais aussi aux grandes inondations. »

La solidarité sanitaire européenne

La crise de la covid a illustré les bienfaits de la solidarité européenne tout comme ses insuffisances dont la « guerre des masques sur le tarmac ». Depuis le début de l’épidémie, plus de 4 500 personnes ont été rapatriées vers l’Europe dans le cadre du mécanisme de protection civile de l’Union européenne. Début 2020, la présidence croate a activé le mécanisme de réaction de l’UE en cas de crise (IPCR), dispositif intégré pour une réaction au plus haut niveau politique européen. Le même jour, la France a été le premier pays à activer le mécanisme de protection civile de l’Union dans le cadre de la crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Il s’agissait de mettre en place un appui consulaire aux citoyens européens présents à Wuhan. Depuis, la Commission européenne a déployé un soutien concret dans trois domaines : rapatriements, masques et achat groupé d’équipements supplémentaires.

Début octobre, le Parlement européen a adopté un texte sur l’Union de la Santé qui s’inscrit dans une volonté de renforcer la coordination des Etats membres dans le domaine des crises sanitaires. Le règlement demande la constitution d’une cartographie des stocks de certains produits de santé pour RescEU. C’est pourquoi l’UE va se doter d’une plateforme de stockage des produits de santé essentiels pour lutter contre les crises sanitaires : masques, produits de réanimation, respirateurs, antiviraux, capsules d’iode, etc. « Ce stockage fonctionne par solidarité en fonction des pays européens les plus nécessiteux. Il est demandé également à chaque pays européen de constituer des stocks nationaux. Ce sera vérifié ensuite par des tests de résistance pour sassurer quils ont suffisamment de masques, par exemple en cas de crise infectieuse ou environnementale », explique Véronique Trillet-Lenoir, eurodéputée Renaissance (groupe Renew Europe), rapporteure du volet sur le règlement concernant les menaces sanitaires transfrontalières graves.

Une Europe responsable et innovante

L’UE travaille à mettre œuvre une politique innovante et stratégique dans la lutte contre les crises à venir. En mai dernier s’est tenu un exercice grandeur réelle « Domino », qui visait notamment à améliorer la coordination entre les services de secours des différents pays participants (Allemagne, Belgique, Autriche et Espagne), lors d’une catastrophe de grande ampleur. Le scénario s’est déroulé dans les Bouches-du-Rhône. Il débutait par un événement climatique majeur, entrainant un effet « domino » avec divers incidents sur des sites industriels : fuite de chlore dans une usine pétrochimique, déversement d’hydrocarbure dans l’étang de Berre, explosion et incendie au port de Fos. Cet exercice a été l’occasion d’expérimenter un nouveau système d’alerte aux populations, FR-ALERT, diffusant des messages sur les téléphones portables de toute personne se trouvant dans la zone. Ce système permet de compléter les dispositifs d’alerte des populations existants en permettant d’alerter, au travers de la téléphonie mobile, sur la nature et la localisation d’un danger ou d’une menace et d’indiquer les actions et comportements à adopter pour se prémunir de ces dangers ou réduire autant que possible l’exposition aux effets de ces menaces.

Les opérateurs seront également formés à l’outil Crimson et un accès sera déployé dans chaque ministère et au Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC) pour partager l’information opérationnelle en temps réel. Cette solution logicielle collaborative est conçue et développée en France et est dédiée à la conduite d’opérations et la planification, le pilotage de la sécurité des sites ainsi que la gestion d’évènements et de crises.

L’UE réagit également sur le plan structurel et développe des solutions de fond dans la gestion des crises. Fin septembre, la Commission a présenté un nouvel instrument du marché unique qui vise à protéger la libre circulation des personnes, des biens et des services lors d’une situation d’urgence. Le marché unique doit « préserver le bon fonctionnement du marché unique, maintenir nos frontières et nos chaînes d’approvisionnement ouvertes et garantir l’accès aux produits et services dont nos citoyens ont besoin », selon les mots de Thierry Breton, Commissaire au marché intérieur. L’ensemble des outils proposés par la Commission vise à éviter que les perturbations engendrées par la crise covid ne se répètent, en cas de nouvelle crise majeure.

Afin de construire une Europe solidaire et résiliente, les Etats membres et les institutions européennes œuvrent ensemble à renforcer les mécanismes de la protection civile. La brutalité des conflits et l’augmentation des crises à venir nous imposent à tous de travailler ensemble.