L’Afrique en proie aux crises humanitaires

Alors que les retombées de la pandémie et de la guerre en Ukraine fragilisent les économies africaines, le réchauffement climatique reste la cause première de nombreuses dévastations et déplacements de populations. D’ici la fin de l’année 2022, selon l’ONU, près de 32 milliards de dollars manqueraient pour répondre aux besoins humanitaires d’environ 204 millions de personnes en situation de détresse.1

Par Geoffrey Comte

Le mythe de Sisyphe

Au cours de ces trois dernières années, l’instabilité mondiale a fortement heurté l’ensemble du continent africain qui a connu en 2020, sa première récession économique depuis plus de 25 ans. Dès 2021, la croissance revient et atteint près de 4% en Afrique subsaharienne avant de redescendre à 3,6% en 2022.2 Mais les ondes de chocs liées à la pandémie de coronavirus et la guerre en Ukraine ont entraîné l’explosion des prix des denrées alimentaires et des intrants, l’aggravation des pénuries d’approvisionnements et la dégradation des situations financières nationales. Une configuration économique désastreuse pour une région qui concentre 75% de l’aide humanitaire internationale, 26% des réfugiés mondiaux et plus de la moitié des guerres de la planète.

Plus de 115 millions de personnes se trouvent en situation d’extrême pauvreté en Afrique toujours selon les Nations unies. La République Démocratique du Congo (RDC), le Soudan et le Nigéria font face à de possibles défauts de paiement post-Covid. Ces trois pays font partie des théâtres humanitaires les plus importants au monde, accueillant respectivement 27 millions, 14,3 millions et 8,3 millions de personnes en situation de détresse. D’ici fin 2022, plus d’une personne sur dix vivant en Afrique centrale et de l’Ouest nécessitera une assistance humanitaire. L’exacerbation des chocs hydriques ajoute une pression supplémentaire sur les approvisionnements en eau, au cœur d’un continent où 418 millions de personnes ne disposent pas d’un accès à l’eau potable et 779 millions d’individus n’ont pas accès à des services d’assainissement basiques.3 L’année dernière, le continent comptait près de 36 millions de personnes déplacées — tentant d’échapper à la violence, la misère ou aux désastres naturels — un chiffre en augmentation de 12% par rapport à 2020.4

Le défi climatique

Publié en septembre 2022, le rapport sur l’état du Climat rédigé par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) souligne les impacts du réchauffement climatique tant sur les communautés que sur les écosystèmes africains. Bien que le continent ne soit responsable que de 3% des émissions carbones mondiales, ce dernier subit de façon disproportionnée la hausse des températures qui ont augmenté plus vite que la moyenne mondiale, entraînant des phénomènes météorologiques extrêmes et des sécheresses dramatiques. 2021 fut l’une des années les plus chaudes de l’histoire du continent. Au fil des dernières décennies, le bassin du lac Tchad a perdu 92% de sa surface.

Parallèlement, le niveau de la mer ne cesse de croître et engendre des inondations côtières, principalement au bord de la mer Rouge et du sud-ouest de l’Océan indien. Cette menace devrait directement toucher près de 110 millions de personnes d’ici la fin de la décennie mais elle semble déjà avoir grandement affaibli le Mozambique, également bousculé par de violents cyclones tropicaux. Les inondations extrêmes mettent en péril de nombreux pays à l’instar de la République Démocratique du Congo, du Soudan du sud, du Congo Brazzaville, du Burundi et du Nigéria tandis que les sécheresses ont facilité la prolifération de mégafeux et des tempêtes de sable dans l’ensemble de l’Afrique du Nord. D’ici 2050, ces deux risques représenteront à eux seuls un coût annuel de 50 milliards de dollars pour les Etats africains.5 La hausse des températures provoque également la disparition des glaciers de l’Afrique de l’Est, du mont Kenya, au Kilimandjaro, en Tanzanie, faisant varier la quantité de précipitations à venir dans la région. Cette hausse est responsable de la baisse de la croissance de la productivité agricole africaine qui a chuté de 34% en 2021. Un réchauffement de 1,5°C serait synonyme d’une perte de rendement de 9% du maïs en Afrique de l’Ouest et de 20 à 60% des récoltes de blé en Afrique australe et du Nord.

Cet état des lieux accablant s’ajoute à une somme de défis majeurspour les Etats africains soucieux d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD), fixés par l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA).

Front panafricain

Lors du sommet de Malabo en mai dernier, les représentants des instances nationales, régionales et des agences internationales ont annoncé la création d’une Agence humanitaire de l’Union africaine (AHUA). Cette instance, qui entrera en fonction en 2023, se verra dotée d’un portefeuille de 140 millions de dollars, provenant de fonds africains.6 « « L’ambition des dirigeants africains est avant tout d’améliorer l’efficacité de l’action humanitaire sur l’ensemble du continent, dont le corollaire est de mieux coordonner les différentes réponses tout en contribuant à réduire les gaps de financement actuels. La création de l’AHUA traduit la volonté des africains de s’impliquer eux-mêmes dans le montage, le contenu et le financement des dispositifs humanitaires. Il s’agit d’un signe d’engagement fort et de leadership régional qui s’est accéléré au fil de la pandémie de coronavirus » indique Mabingué Ngom, conseiller spécial du directeur général du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).

Le coût total de réalisation de ce mandat est estimé à 14 milliards de dollars pour répondre à la prévention des risques tels que les sécheresses et inondations, à l’amélioration de la reconstruction des zones sinistrées ou la protection des personnes vulnérables. L’AHUA peut s’appuyer sur les efforts du FNUAP pour endiguer la mortalité maternelle, touchant une femme sur cinq en situation de crise humanitaire. La distribution de « kits de dignité », contenant des produits hygiéniques et des équipements pour accompagner les accouchements, a aidé plus de 29 millions de femmes de 15 à 49 ans et 4,3 millions de jeunes de 10 à 24 ans dans l’ensemble de la région.7 Ainsi, des salles d’accouchement et des cliniques de santé ont pu voir le jour au Soudan, en RDC et au Nigéria. « L’objectif de l’AHUA est de créer un ensemble de solutions adapté aux réalités locales et spécifique à chaque crise, à l’instar des points chauds de la corne de l’Afrique et du Sahel. L’Agence doit pouvoir participer aux travaux d’anticipation et de préparation pour réduire et contenir l’arrivée de nouvelles crises afin de passer d’un état de réaction à ceux de la prévention et du développement. La communauté internationale doit saisir cette opportunité pour mieux accompagner les nations africaines dans un esprit de partenariat et de solidarité » souligne Mabingué Ngom.

Diversifier les gisements des ressources

« L’absence de diversification des sources de financement représente un facteur de fragilité. La situation ukrainienne en est un exemple concret. Certains investissements européens à destination de l’Afrique sont coupés pour soutenir l’effort de guerre en Ukraine. Pour surmonter ce problème, il faut mobiliser tous les gisements de ressources disponibles, qu’ils soient locaux, internationaux, publics ou privés, dans le but d’étendre l’espace fiscal. Ces ressources ne sont pas seulement financières. Les impacts de la mobilisation des leader communautaires et religieux ainsi que celle des jeunes incarnent des contributions inestimables pour la sécurité et la paix en Afrique » ajoute Mabingué Ngom.

Sur le plan humanitaire, la France joue un rôle important sur le continent africain au travers de l’Agence française de développement (AFD) et Bpifrance. L’AFD a investi plus de 5,2 milliards d’euros dans des projets d’aménagement au cœur de 44 des 54 pays de la région. Depuis 2007, l’objectif phare s’illustre à travers la « Grande muraille verte » de Dakar à Djibouti qui devrait voir le jour d’ici la fin de la décennie.8 Elle vise à rétablir 100 millions d’hectares de terres dégradées sur une bande de 7600 km de long et 15 de large pour répondre aux enjeux climatiques, à la dégradation des écosystèmes, réduire les risques liés aux inondations, garantir la sécurité alimentaire et répondre au chômage chronique des pays traversés en créant plus de 350 000 emplois. Considéré comme le deuxième poumon du monde après l’Amazonie grâce à ses 220 millions d’hectares de forêts, cet espace devrait capter et stocker 250 millions de tonnes de CO2 d’ici 2030. En janvier 2021, les dirigeants d’Etats présents au One Planet Summitont annoncé leur volonté d’ajouter 14 milliardssupplémentaires au bénéfice des pays concernés du Sahel par le porte FLEUVE à l’horizon 2025 – projet lancé et financé par l’Union européenne dix ans plus tôt. Le secteur privé international et les entreprises locales sont également des facteurs clés de réponses. Depuis 2016, l’Initiative Connecting Business (CBi), un projet conjoint OCHA-PNUD, a permis de collecter plus de 50 millions de dollars pour des activités de préparation, de réponse et de relèvement en cas de catastrophe, impactant plus de 15,5 millions de personnes à travers 17 pays.

1 AFP, « Nations unies : Il manque encore 32 milliards en aide humanitaire d’ici fin 2022, un record », La Presse, 16 sept. 2022p.

2 Banque Mondiale, Afrique – Vue d’ensemble, https://www.banquemondiale.org/fr/region/afr/overview , 14 septembre 2022.

3 Organisation météorologue mondiale, Le rapport sur l’état du climat en Afrique met l’accent sur le stress hydrique et les risques liés à l’eau, https://public.wmo.int/fr/medias/communiqu%C3%A9s-de-presse/le-rapport-sur-l%E2%80%99%C3%A9tat-du-climat-en-afrique-met-l%E2%80%99accent-sur-le-stress , 7 septembre 2022.

4 Par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique 21 juillet 2022, 36 millions d’africains déplacés de force, un chiffre record, https://africacenter.org/fr/spotlight/36-millions-dafricains-deplaces-de-force-un-chiffre-record/, (consulté le 21 septembre 2022).

5 WMO, State of the Global Climate 2021, Genève, Suisse, World Meteorological Organization, 2022.

6 Mabingué Ngom, « UA : une agence humanitaire africaine, une chance pour les femmes et les jeunes », Jeune Afrique, 11 août 2022p.

7 Mabingué Ngom, « « Pourquoi l’Agence humanitaire de l’Union africaine doit être saluée » », Le Point, 16 août 2022p.

8 AFD, Grande muraille verte : l’initiative en 3 questions, https://www.afd.fr/fr/actualites/grande-muraille-verte-linitiative-en-3-questions , 17 juin 2021.