Coordination civilo-militaire : Fédérer pour faire face

L’accroissement du nombre de crises, leurs natures changeantes, les catastrophes naturelles et l’évolution des conflits modernes à l’échelle de la planète appellent les acteurs de la sécurité civile et humanitaire, qu’ils soient militaires ou non, du public ou du privé, à fédérer leurs énergies et leurs compétences au niveau international. La coordination civilo-militaire est cruciale pour soutenir l’aide humanitaire et les secours d’urgence lors de catastrophes. L’Union européenne et les Etats-membres s’illustrent dans cette période mouvementée, par un mécanisme reposant sur la concertation, la réactivité et la complémentarité.

Par Alexandre Guichard

« La différence entre le temps de crise et le temps normal est en train de se brouiller. Ce que lon considère comme le temps de crise devient la norme. Lexception tend à devenir la règle, lorsque lon pense au Covid, aux gilets jaunes, à lOpération Sentinelle » entame Grégory Daho, Maître de conférences en science politique de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Aux crises susnommées, on peut ajouter le retour de la guerre sur le territoire européen, en Ukraine, les récents feux de forêts essaimant une partie du territoire métropolitain, ou encore les inondations dévastatrices endurées par le Pakistan. Pire, face à cette multiplication des crises, l’aide internationale est mise en difficulté. « En Afghanistan, où la famine menace près de 23 millions dhabitants, lappel de lOrganisation des Nations unies (ONU) à lever 4,4 milliards de dollars (4,6 milliards deuros) na pas été entendu. Seuls 42 % des fonds ont été réunis en septembre »1. Même chose en Somalie, où « laide humanitaire ne va pas dépasser le milliard de dollars, soit à peine 70 % de ses besoins »2.

Un partenariat public-privé incontournable

De cette conjoncture inquiétante en matière de sécurité humanitaire découle un constat clair : la coordination entre acteurs civils et acteurs militaires apparaît indispensable alors que fédérer les acteurs et lesénergies na jamais paru aussi primordial. Cette approche débute avanttout à l’échelle nationale, au travers du continuum de sécurité-défense. « Aujourdhui, le débat nest plus entre « étatistes » hostiles à limmixtion du privé et « libéraux » favorables à lexternalisation à tous crins, il porte sur les modalités de mise en œuvre de partenariats public-privé devenus incontournables. En revanche, on observe une gestion au coup par coup des externalisations : ni les Armées ni lIntérieur nont défini une méthode, une stratégie » évoque Guillaume Farde, Professeur affilié à l’École d’affaires publiques de Sciences Po, membre du conseil scientifique de la Gendarmerie nationale et membre associé de l’Association des hauts fonctionnaires de la Police nationale (AHFPN).

Des partenariats fructueux existent d’ores et déjà : « Des sociétés privées pourraient-elles participer aux opérations ? Cela existe : CAE aviation loue des avions aux services de renseignement (DGSE, DRM) pour des missions au Sahel ou en Libye. Ou la location de gros-porteurs russes ou ukrainiens pour le transport stratégique. Comme aux Etats-Unis, les activités privées portent surtout sur la logistique, la maintenance et la formation. La société britannique Babcock vient de conclure un contrat avec larmée de l’Air française pour la formation initiale des pilotes de chasse sur les nouveaux avions Pilatus PC-21» souligne Guillaume Farde.

Agréger les compétences

Une coopération qui s’est illustrée en France, en pleine crise sanitaire. Dès le lancement de l’Opération Résilience, le 25 mars 2020, au sommet de la crise, Emmanuel Macron eut pour premier réflexe de désigner le Service de santé des armées pour la piloter. « Il existe deux compétences que seuls les militaires possèdent à un haut-niveau de savoir-faire : la planification et la projection. On a créé une cellule de crise à Beauvau, qui a moins de 10 ans, pour coordonner, anticiper et planifier, tandis que les militaires, sexercent sans discontinuer et avec des outils dédiés, depuis 30 ans, à la planification froide de missions parfois improbables » développe Grégory Daho. Et d’ajouter : « Les militaires peuvent être déployés partout sur le globe en moins de 24h. Ils disposent de compétences qui sont au cœur de la gestion de crise aujourdhui, ce qui leur donne une place incontournable pour répondre aux enjeux ».

Une formation dédiée à l’action civilo-militaire (CIMIC) au sein des forces armées françaises est délivrée au Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE), basé à Lyon. Doctrines, qualifications et uniformes spécifiques ont été créés pour former les soldats français à la coopération avec les acteurs locaux au cours d’un conflit. Les officiers spécialisés ont pour objectifs : « A minima de faire en sorte que les forces armées soient acceptées localement, mais également d’accroître linfluence nationale et favoriser nos entreprises pour quelles accèdent aux marchés de la reconstruction » précise le chercheur. Mais fédérer ne suffit pas toujours au succès. Au Mali, après avoir obtenu une sécurisation de la zone grâce à l’Opération Serval, les militaires ont passé la main aux diplomates et aux développeurs.« Lapproche fut théorisée par lintermédiaire dune doctrine intitulée : Défense, Diplomatie et Développement. LEtat français a donné beaucoup dargent à lAgence française de développement, entre 1 et 1,5 milliard deuros, mais nous avons misé beaucoup sur le développement de manière quelque peu artificielle, car accolé à la sécurité. Cela exemplifie lidée selon laquelle la sécurité ne suffit pas et larmée ne peut gagner politiquement » explique Grégory Daho.

Multiplier les coopérations

Mais la coopération civilo-militaire ne poursuit pas uniquement des objectifs géostratégiques. En septembre dernier, le Centre médico-chirurgical interarmées (CMCIA) des forces françaises déployées à Djibouti a organisé « une journée de formation pluridisciplinaire à la chirurgie durgence et au damage control (…) dédiée aux jeunes médecins djiboutiens en cours de spécialisation en chirurgie »3 afin de « partager leurs savoir-faire propres à la médecine durgence avec les services de santé »4.

A l’échelle continentale, le commissariat de l’UE pour la gestion de crise, dirigé aujourd’hui par Janez Lenarcic, est instrumental dans l’action européenne en faveur de la sécurité humanitaire. « À elle seule, lUE a mobilisé 64 millions d’euros, rien que pour la réponse durgence, en sus des contributions individuelles des différents Etats membres, qui s’élèvent à environ 65 millions d’euros »5 indiquait le Commissaire européen à la suite de l’explosion du port de Beyrouth, au Liban. Bruxelles a également envoyé des dizaines de tonnes de matériels d’aide essentielle, incluant notamment des ambulances et des médicaments, par le biais d’un pont aérien6.

Partager les solutions

Janez Lenarcič l’affirme sans ambages : « LUnion européenne, en collaboration avec les Etats membres, est un acteur majeur de la sécurité humanitaire. Nous sommes, avec les Etats-Unis, lun des plus gros donateurs et fournisseurs daide humanitaire, à l’échelle globale, pour répondre aux crises. LUnion européenne est également un acteur influent dans le domaine de la réduction mondiale des risques de catastrophe, en se montrant actif au sein des institutions des Nations unies, avec lesquelles nous coopérons efficacement ».

Depuis 2014 et l’émergence de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, notamment au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée, l’Union européenne tente d’endiguer le phénomène et de venir en aide aux populations locales. Le « Karel Dorman », plus grand navire de la Marine néerlandaise, a transporté « 160 véhicules, 80 conteneurs et environ 1200 tonnes de fournitures essentielles et d’équipement médical »7 aux prémices de la crise. Le montant de l’aide apportée par l’UE à la région se compte en centaines de millions d’euros sur les huit dernières années, alors qu’elle « a aussi apporté une contribution significative à la recherche sur Ebola, y compris en ce qui concerne le développement de vaccins, et alloué plus de 230 millions d’euros de fonds à cette fin ».8

Récemment, l’UE annonçait fournir au Pakistan une nouvelle aide humanitaire d’un montant de 30 millions d’euros visant à répondre aux besoins urgents, notamment en matière d’abris, d’eau et d’assainissement, de denrées alimentaires et de nutrition, de santé, de protection, d’éducation dans les situations d’urgence et d’aide en espèces suite aux inondations sans précédent qui ont entraîné une détérioration rapide de la situation humanitaire sur place. Compte tenu de l’ampleur de la crise, les besoins en matière de soutien psychologique seront également pris en considération, souligne la Commission.

Immédiatement après l’apparition de l’urgence, l’UE a débloqué plus de 2,35 millions d’euros d’aide humanitaire et a coordonné les offres d’aide de ses Etats membres, dont la Belgique, la Suède, la France, le Danemark, l’Autriche, la Grèce et la Slovénie. À la suite de la demande d’assistance des autorités pakistanaises, le mécanisme européen de protection civile a également déployé un officier de liaison et une équipe d’experts pour soutenir les opérations et contribuer à coordonner l’arrivée d’une aide supplémentaire. Les services satellitaires dans le cadre du programme Copernicus de l’UE ont été activés pour collecter des données à l’appui de l’évaluation de la situation dans les zones les plus touchées. Loin des débats d’idées, l’action quotidienne de la coopération civilo-militaire permet de réaffirmer que seule une action concertée et coordonnée permettra d’atteindre le but commun à chacune des parties prenantes : l’efficacité dans la complémentarité.

1 Bouissou Julien, « Avec la multiplication des crises humanitaires, l’aide internationale fait face à des besoins immenses », Le Monde.

2 Ibid.

3 Ministère des Armées : « FFDj – Coopération civilo-militaire dans le domaine médical au profit d’internes en médecine djiboutiens ».

4 Ibid.

5 Le Télégramme « Sans gouvernement libanais « crédible », pas d’aides pour reconstruire, prévient l’UE »

6 Public Affairs Bruxelles “EU steps up aid for Lebanon – European Commissioner for Crisis Management in Beirut”

7 Commission européenne : « Coordination entre le civil et le militaire en temps de crise ».

8 Commission européenne : « Réaction de l’UE à l’épidémie d’Ebola ».