La Chine : entre partenariat stratégique et soft power en matière de sécurité civile

La France, qui souhaite diversifier ses partenariats et multiplier les coopérations dans les domaines de la sécurité civile et humanitaire où le maintien de compétences au plus haut-niveau demeure très précieux, conduit une politique de coopération avec la Chine. Celle-ci a largement été impactée par l’émergence de la crise sanitaire et peine à reprendre, du fait de la rigueur gouvernementale chinoise en termes de gestion épidémique. Alors que les équilibres géostratégiques ont été bouleversés lors des trois dernières années, quel est l’avenir de ce partenariat ?

Par Alexandre Guichard

Le partenariat franco-chinois en matière de sécurité civile et humanitaire s’est largement développé avant l’émergence de la pandémie de Covid-19. De multiples exemples de coopérations ont vu le jour en 2019, notamment afin de préparer les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) d’hiver de Pékin. La Direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a signé un accord de coopération avec le ministère chinois de Gestion des catastrophes, se traduisant par « des actions de formation, des échanges dinformation et offrira des opportunités dacquisition de matériels »1. Le Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux (Grimp) a ainsi œuvré à la formation des secouristes chinois déployés pendant les JOP de Pékin.

Autre acteur clé de ce partenariat, engagé dans la coopération avec la Chine, l’Agence française de développement (AFD) ambitionne, grâce à un projet lancé en novembre 2019 dans la province du Guangxi et financé à hauteur de 60 millions d’euros2, de « renforcer les dispositifs de prévention des risques industriels dans cette zone et daméliorer les moyens de réponse directe des services de la protection civile »3. Mais la crise sanitaire a freiné brutalement les coopérations entre les acteurs français et chinois. « Les échanges ont été interrompus avec la Chine depuis l’émergence du Covid-19. La doctrine chinoise de gestion de la pandémie, reposant sur des confinements, ne permet pas de lancer des projets. Nous attendons le feu vert chinois pour relancer la coopération » détaille Ismaïl Hassouneh, Secrétaire national au Secours populaire français.

Rival systémique ou partenaire économique ?

Au-delà de sa qualité de partenaire économique privilégié de l’Union européenne et de la France, la Chine est également un « rival systémique »4. La position chinoise à l’égard du conflit en Ukraine contraste drastiquement avec le soutien occidental à Kiev, alors que la rivalité entre Pékin et Washington continue de s’accroître. Le gouvernement de Xi Jinping exerce une véritable diplomatie de la sécurité civile dans l’optique de véhiculer son soft power. « Lintérêt du parti chinois pour la sécurité civile française nest pas anodin. Le soft power naturel exercé par les valeurs, par les missions de sécurité civile ont un sens universel pouvant être exploitées pour des objectifs bien différents que la simple sauvegarde de populations. Les partenariats avec la France permettent à la Chine de comprendre les mécanismes et lorganisation du système de secours encore peu développée dans les régions rurales chinoises. Cependant, la Chine a bien compris le soft power naturel de la sécurité civile pouvant être utilisée comme vecteur dinfluence dans des pays stratégiques »5.

La Chine étend son influence et son soft power de la sécurité civile au-delà de l’Europe et jusqu’aux portes de l’Afrique. Elle s’est notamment ouvert les portes du marché sénégalais . Les échanges commerciaux entre Dakar et Pékin ont été multipliés par 16 entre 2005 et 20176. Elle a livré en 2019 un premier lot de matériels aux sapeurs-pompiers sénégalais, comportant notamment, mais pas seulement, 37 engins pompes (légers et lourds), 24 000 pièces d’équipements de protection individuelle ou encore 20 canots de sauvetage7.

Vers une reprise de la coopération ?

Si le ministère de l’Intérieur décrit la Chine comme « un partenaire incontournable de la Sécurité civile »8, évoquant notamment le programme baptisé EU-China Disaster Risk Management, censé « aider le pays le plus peuplé au monde à renforcer ses structures de protection civile sur le plan local et national »9, des tendances géopolitiques lourdes questionnent le futur de cette coopération.

Trouver le juste équilibre en matière de positionnement diplomatique à l’égard de la Chine sera un grand enjeu de la décennie à venir. Il existe en effet des dissensions au sein de l’Union européenne sur le sujet, la position allemande demeurant ambivalente avec une volonté affichée de préserver leurs intérêts industriels et commerciaux. « Ce qui est craint, ce sont les arrière-pensées sécuritaires et technologiques de la Chine, qui porte une vision stratégique claire. Les Etats-Unis cherchent à raccrocher lEurope et leurs partenaires asiatiques à leur camp, multipliant les initiatives multilatérales portant le sujet des valeurs. Du fait de la prédation chinoise, on assiste à un mouvement de découplage économique entre la Chine et lOccident » analyse Julien Nocetti, chercheur associé au programme Géopolitique des technologies de l’Institut français des relations internationales. Cette prédation s’illustre notamment par l’ampleur de l’espionnage industriel chinois en Europe et aux Etats-Unis, alors même que la France et l’UE ont pris conscience de leurs dépendances stratégiques à Pékin lors de la crise sanitaire. « Les cartes sont rebattues. Au vu de l’évolution de la position chinoise, plus agressive depuis la crise sanitaire, le maintien des coopérations sur le plan politique, économique, commercial et sécuritaire au niveau prépandémie apparaît très difficile » conclut le chercheur.

1 DGSCGC, Rapport d’activité 2019, p.21.

2 Agence française de développement, « Renforcer la prévention et la gestion des risques industriels dans le Guangxi ».

3 Ibid.

4 Commission européenne, « Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sur les relations UE-Chine », 12 mars 2019.

5 Fischer Julien, « L’industrie de sécurité civile entre influence et compétition internationale », Ecole de Guerre Economique.

6 BBC News Afrique, « Sénégal-Chine, une coopération stratégique ».

7 Note de l’IFRASEC, « Le développement de la sécurité civile au Sénégal et des contrats records pour la Chine », Décembre 2021.

8 Ministère de l’Intérieur, « La promotion de la sécurité civile à l’étranger ».

9 Ibid.