Claudia Chatelus, médecin urgentiste à la fibre humanitaire

Au cœur de la crise Covid en Alsace mais également engagée au sein du mécanisme européen de protection civile et auprès dautres institutions, Claudia Chatelus a son travail de médecin urgentiste chevillé au corps.

Par Lola Breton

Claudia Chatelus a toujours voulu être médecin. « Depuis l’âge de 7 ans », dit-elle fièrement, plus de 40 ans plus tard. A l’origine de cette vocation, plusieurs hospitalisations et passages chez le pédiatre en tant que jeune patiente. « Au départ, je voulais me spécialiser dans les maladies infectieuses, mais je nai pas eu le concours dinternat. Alors, jai commencé comme généraliste et cest au cours dun stage à lpital de Colmar que jai rencontré un excellent maître de stage urgentiste qui ma donné envie de continuer sur cette voie. Il m’a transmis la fibre de l’urgence et de l’humanitaire. À cette époque je n’ai rencontré que des personnes passionnées et désireuses de transmettre leur savoir. Je crois que c’est cela qui m’a donné envie de continuer dans cette voie. Nous étions moins cloisonnés qu’aujourd’hui dans nos spécialités ou nos organisations et on avait le temps de se former et de transmettre. »

Profondément marquée par la pandémie de Covid-19, Claudia Chatelus, médecin urgentiste à l’hôpital Pasteur de Colmar se souvient non sans un pincement au cœur,de cette période de crise, plus de deux ans et demi après les premiers cas de Covid-19 à Mulhouse. L’Alsace a été touchée de plein fouet par l’épidémie, dès le mois de mars 2020, ce qui a plongé les établissements de santé de la région et leur personnel dans une situation inédite. « Je me suis interrogée sur mon rôle de médecin. On a été amené à faire des choses qui navait plus beaucoup de sens. Je me suis posée, comme beaucoup, des questions éthiques, notamment sur le fait de devoir interdire aux familles de dire adieu à leurs proches malades. » Malgré ces difficultés, Claudia Chatelus a été stimulée par « le patient et le travail d’équipe », comme toujours. « Pour eux, on peut se surpasser et aller vraiment très loin. » De ces questionnements et des enseignements à tirer de la crise, elle a écrit un livre, intitulé Ma guerre du Covid : journal d’une urgentiste alsacienne, paru en juin 2020 aux éditions des Equateurs.

« Casser les cloisons »

Le parcours de cette Alsacienne aux origines familiales italiennes s’explique au gré de multiples rencontres. « Je dis rarement non à un nouveau projet, admet-elle. Au contraire, jai plutôt tendance à essayer de me plier en quatre pour faire en sorte que ça fonctionne. » Une manière d’appréhender la vie, couplée à une curiosité naturelle, qui ont mené cette mère de trois enfants à s’engager dans la sécurité civile militaire. « En étant médecin urgentiste et au fur et à mesure des interventions, jai réalisé quil me manquait des connaissances. Je me suis donc tournée vers les sapeurs-pompiers volontaires. Puis, mon mari, qui nest pas du tout dans le milieu médical, a été muté à Lyon. Je lai suivi et jai postulé à lENSOSP, l’école nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. C’était mon premier pas dans le milieu de la sécurité civile militaire. » Dans ces corps qui n’étaient pas les siens, Claudia Chatelus a trouvé « le sens du collectif et du bien commun, l’envie d’évoluer et d’arriver ensemble vers un même objectif : on embarque tout le monde et chacun y trouve sa place ». Des valeurs qui s’ajoutent à celles qu’elle cultive en tant que médecin urgentiste, « lenvie d’écouter, de partager et de travailler en équipe ; rester curieux et humble ; et ne pas oublier qu’on est là pour servir avant tout ».

Après quelques années, de retour à Colmar, elle intègre le Mécanisme européen de protection civile, devient l’un des médecins du Parlement européen, tout en continuant à être pompier volontaire. « Cela sest fait naturellement, dit-elle. Cela permet de casser les cloisons. Lidée est de se dire : si on est médecin à lhôpital, pourquoi ne pourrait-on pas l’être dans une institution européenne ou militaire ? Chaque pas dans une nouvelle institution a été poussé par la curiosité, l’envie den apprendre davantage et den savoir plus sur la gestion de crise et sur lhumain. »

A l’heure où la médecine d’urgence est devenue une spécialité à part, celle qui décompresse en montagne ou en écoutant de la musique conseille aux aspirants médecins intéressés par ce domaine de suivre son exemple. « Disposer d’une vue unique des choses nest jamais bon, estime-t-elle. Il faut savoir se mettre dans la peau de lautre pour comprendre de quel matériel il dispose, par exemple. Plus il y aura de personnel multi-casquettes et mieux les choses fonctionneront. Cest souvent parce quon ne se comprend pas entre rouges et blancs [entre pompiers et personnels hospitaliers, NDLR] quil y a des tensions. Je ne peux que conseiller aux jeunes médecins dintégrer la réserve pour se former ailleurs et différemment, aux techniques durgence. » La force de cette compréhension entre les différentes techniques, Claudia Chatelus l’a expérimentée sur le terrain. « En 2016, nous sommes intervenus en SMUR pour un homme empalé sur une tige de fondation. Elle avait traversé laorte. Lintervention a réussi grâce à une parfaite synergie SMUR, sapeurs-pompiers, Dragon 67. L’expérience sécurité civile et la connaissance des moyens de chacun m’ont énormément aidé pour mener à bien cette intervention. Aujourd’hui, cette personne vit normalement, preuve que le partage des moyens et connaissances peut faire des miracles. »

« Travailler de manière transversale »

Les engagements de Claudia Chatelus au niveau européen lui ont appris une nouvelle facette du métier qu’elle a su réutiliser au plus fort de la pandémie : la gestion de crise. Son rôle d’experte au sein du mécanisme européen de protection civile depuis 2011 l’avait préparée à affronter des situations d’ampleur. « Cela consiste notamment à des exercices de terrain durant lesquels on met en commun des moyens et des capacités comme si nous étions en situation. Nous sommes partis au Danemark pour simuler une crise au Maroc. En sortant de lexercice, nous avions tous limpression d’être véritablement partis là-bas. C’était très étrange et stimulant à la fois. La mise en situation était d’une réalité déconcertante. Ce type dexercice ma beaucoup appris sur le management. Nous avions tous la même mission, partagions tous le même résultat mais, des cultures et des formations différentes. Jai appris quon peut arriver à un objectif donné avec nimporte quelle équipe. Pour cela, il faut savoir travailler de manière transversale, prendre en compte le côté humain et s’appuyer sur les compétences de chacun. » Claudia Chatelus s’enorgueillit également d’avoir pu apporter son regard d’expert européen à une équipe médicale de l’hôpital de Percy en janvier 2020 dans le cadre de la certification de la prise en charge des grands brûlés (EU Burn Assessment team).

Aujourd’hui, alors que la crise Covid semble moins virulente et ses impacts moins violents, que ce que nous avons connus, et que l’Union européenne, avec son dispositif RescEU, nouvelle réserve européenne de ressources, semble avoir appris et tiré des enseignements de cette crise, Claudia Chatelus pense déjà à la suite. « Je réfléchis à une autre manière dexercer mon métier pour apporter autre chose. J’aspire à travailler sur le plan du management dans le cadre européen », esquisse-t-elle tout en restant discrète sur le futur. « J’espère qu’il y aura davantage de médecins urgentistes engagés dans le volontariat sapeur-pompier ou la réserve militaire, pour plus d’échanges, de partages de connaissances et d’immersion. Cela contribuera certainement à développer une culture commune du risque, de la gestion de crise et du secours à la personne. »