L’innovation au service du monde de demain

Penser le monde de demain et ses nouveaux usages est au coeur de la philosophie et de l’ADN des écosystèmes d’innovation qui ne cessent de nous étonner. La 5G à peine lancer, la bataille de la 6G fait dérage, quand lavancée des biotechnologies de santé et des nouveaux modes de transport fascine…

Par Andréas Ley

Doppelgänger numérique

Alors que la couverture 5G ne cesse de croître dans le monde, la compétition pour la maîtrise des technologies clés de la 6G a déjà commencé. La cinquième génération de télécommunications mobiles matérialise une grande avancée pour l’utilisation des objets connectés, de voitures autonomes, d’interventions chirurgicales à distance comme les applications industrielles.1 Elle offre un débit moyen entre 100 et 400 Mb/s, soit 20 fois plus rapide que la précédente, tandis que son nombre d’abonnés devrait atteindre le milliard dès la fin de l’année.2 La sixième génération, quant à elle, disposera de débits moyens dépassant le Gb/s. « La 6G fusionnera les mondes humain, physique et numérique, en fournissant un réseau qui nous fera passer de la connectivité à la convivialité, de l’information à la connaissance et de l’efficacité à la finalité. Elle nous aidera à redéfinir la façon dont nous vivons, travaillons et prenons soin de notre planète. Mais il ne peut y avoir de compromis avec la vie privée et la sécurité, car de plus en plus d’aspects de la vie deviennent numériques et sans fil à l’ère de la 6G. Plusieurs exigences clés doivent être conciliées : répondre à l’augmentation massive du trafic et à l’explosion du nombre d’appareils, tout en respectant les normes les plus élevées possibles en matière de performance, d’efficacité énergétique et de sécurité, afin de permettre une croissance durable en toute confiance » indique Mikko Uusitalo, Chef du département Radio Systems Research Finland de Nokia Bell Labs et chef de projet Hexa-X. Et d’ajouter : « Le service de communication Ultra-fiable à faible latence (URLLC) qui a débuté avec la 5G sera affiné et amélioré dans la 6G pour répondre à des exigences de connectivité extrêmes, notamment une latence inférieure à la milliseconde. La fiabilité du réseau pourrait être amplifiée par des transmissions simultanées, des sauts sans fil multiples, des connexions d’appareil à appareil, ainsi que par l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique (IA/ML) qui aideront à déterminer la meilleure façon de communiquer entre deux points d’extrémité ».

Un tremplin européen

Lancé en janvier 2021, ce projet européen est piloté par Ericsson et Nokia qui intensifient leurs activités depuis plus d’un an et demi pour se démarquer sur la scène internationale. « Nous avons récemment publié la première architecture End-to-end (E2E). Nous prévoyons le lancement commercial de la 6G d’ici 2030. La phase 1 de la normalisation commencera probablement à partir de 2025, pour aboutir à la première spécification 6G dans la version 21 du 3GPP [Projet de partenariat de 3ème génération] en 2028. Entre-temps, la 5G sera améliorée par la 5G-Advanced, qui sera un élément-clé pour le 3GPP à partir de la version 18. Nous pensons qu’à partir de 2025, la 5G-Advanced alimentera les réseaux commerciaux publics et privés, offrant de nouvelles fonctionnalités 5G avant l’arrivée définitive de la 6G » ajoute Mikko Uusitalo.

Vu du ciel

Le potentiel d’innovation des drones s’avère toujours plus bénéfique. En France, l’entreprise AIRINOV fait déjà partie des principaux acteurs du marché de l’agriculture de précision. Entre 2021 et 2028, ce marché devrait doubler de valeur, passant d’environ 7 800 millions de dollars à plus de 15 400 millions de dollars.3 Avec l’appui de l’Institut national de recherche agronomique (INRA) basé à Rennes, la start-up propose une gamme de drones spécialisés dans les services agricoles à même de produire une cartographie des besoins spécifiques de chaque culture et d’optimiser l’utilisation des engrais ainsi que le suivi des tâches. En août dernier, la firme flamande Helicus a écrit l’histoire en réalisant des vols tests entre le réseau hospitalier anversois (ZNA) et l’antenne Sint-Augustinus des hôpitaux (GZA) afin de transporter des tissus cancéreux devant être analysés en laboratoire à 800 mètres de là.4 Un petit pas pour les drones mais un potentiel pas de géant pour les transports médicaux, dont une nouvelle législation européenne devrait généraliser ce mode de transport innovant dès 2023. Ce dernier ne concerne dans l’immédiat que les échantillons en vue d’analyse. Mais dans un avenir proche, ces vols pourraient grandement faciliter les transports sanguins et d’organes en vue de transplantations.

Résoudre les crimes d’hier et de demain par l’ADN

Dans le cadre de la résolution d’affaires criminelles, l’identification humaine par l’ADN a fait d’importants progrès. Les experts sont désormais en mesure de déterminer les principaux traits physiques, le sexe, l’âge à partir de pléthores de cellules, à l’image des spermatozoïdes, voire sur des objets submergés ou ayant été altérés par le feu et des substances toxiques. Mais, pour le professeur Christian Doutremepuich, créateur du laboratoire d’hématologie médico-légale en 1996, nous sommes encore « à l’âge de pierre en matière d’innovation scientifique » concernant la recherche sur l’ADN, a-t-il clamé lors d’un entretien pour Ouest-France.5 En février dernier, le pôle judiciaire sur les « crimes en série et non élucidés » a vu le jour pour permettre à 3 juges d’instruction de résoudre 240 dossiers, soit 80 par personne. L’identification des traces par l’ADN va permettre d’accélérer la résolution de ces « cold cases » grâce à l’expertise des 250 scientifiques de l’Institut de recherche criminelle (IRCGN) de Pontoise.6 Aux Etats-Unis, les forces de police s’intéressent aux techniques de généalogie génétique pour trouver une solution aux meurtres non élucidés datant de plusieurs décennies. Les traces ADN récupérées sur les scènes de crime sont alors comparées aux banques de données publiques sur les plateformes privées, à l’image de la plateforme Ancestry.

La biologie au service de la sécurité

Au cours des dernières décennies, les progrès accomplis dans les sciences biologiques combinées au développement des technologies provenant de l’intelligence artificielle, les sciences informatiques, et l’automatisation pourraient profondément changer notre paysage économique. Ces avancées ont drastiquement réduit le coût de séquençage ADN et permis l’essor de nouvelles techniques de programmation des cellules et de modification des gènes, touchant principalement les domaines agroalimentaires, de production des matériaux ou les produits de consommation et de services. Selon une étude de McKinsey, le développement spectaculaire de la bioéconomie pourrait générer une valeur de l’ordre de 2 000 à 4 000 milliards de dollars au fil des deux prochaines décennies tandis que les applications potentielles de sécurité sont prometteuses.7 En 2021, l’entreprise Emulate a inauguré une puce intestinale baptisée Colon pour étudier les maladies intestinales inflammatoires ainsi qu’une autre pour le cerveau humain, les poumons, le foie et les reins. Ces « puces organes » imitent le fonctionnement d’organes réels pour évaluer l’efficacité des traitements comme des vaccins, pouvant mettre un terme définitif à l’expérimentation animale et augmentant de façon significative les chances de réussite lors des tests cliniques. Par ailleurs, la start-up Safetraces emploie des « traceurs d’aérosols marqués à lADN » pour rendre visible les anomalies des flux d’air au sein d’environnements intérieurs, en simulant des scénarios d’exposition à des agents infectieux, à l’instar du coronavirus.

Vers la bio sécurité ?

La firme DNA Script s’inscrit dans ce vaste mouvement d’innovation de la filière biotech française, offrant de nouveaux moyens pour lutter contre les maladies infectieuses et les menaces biologiques. « Notre système SYNTAX permet aux chercheurs de synthétiser l’ADN dans leur laboratoire, au lieu de l’externaliser, ce qui leur permet d’itérer rapidement et de mieux contrôler leurs flux de travail pour une productivité accrue afin d’accélérer l’innovation. L’imprimante de paillasse synthétise des acides nucléiques à la demande via la synthèse enzymatique d’ADN (EDS) – une nouvelle chimie qui permet l’impression d’ADN en laboratoire/décentralisée sans les produits chimiques organiques toxiques, les déchets dangereux, l’infrastructure complexe et coûteuse, ou la formation avancée – ou l’externalisation – requise par les méthodes traditionnelles. EDS et l’automatisation de SYNTAX offrent une solution déployable sur place qui répond aux besoins de biosécurité et de sécurité. » détaille Thomas Ybert, cofondateur de DNA Script. La société vient d’établir un partenariat avec l’Agence d’Innovation de Défense (AID) pour développer une plateforme pour les tests de diagnostic des maladies infectieuses. « Notre système entièrement automatisé et déployable permettra de synthétiser des modèles d’ADN pour la production d’ARN de vaccins dans le même but » prolonge le dirigeant.

La santé, un atout français ?

Le gouvernement français cherche à valoriser la pépinière biotech nationale pour en faire un leader européen, notamment via France 2030. Ce sont plus de 7,5 milliards d’euros qui sont alors consacrés à l’innovation de santé. Entre 2022 et 2025, le plan de réindustrialisation de Bpifrance veut créer près de 100 nouveaux sites industriels par an sur le territoire national. Un tiers de ces start-up industrielles évolue dans les industries de l’électronique, la robotique ou encore l’impression 3D ; un autre tiers est destiné au verdissement industriel au bénéfice des secteurs de l’énergie, des transports, du recyclage et de l’agro-alimentaire ; et le dernier tiers sert le développement des filières biotech et medtech. La France souhaite combler son retard en termes de recherche médicale par le développement de PariSanté Campus, créé en décembre 2020, pour réunir les acteurs de la santé digitale en un lieu unique et faire du pays « un leader mondial du numérique en santé » selon le président Emmanuel Macron.8 Thomas Ybert soutient : « Cette dynamique au niveau du gouvernement français pourrait constituer une véritable transformation. Au niveau européen, les changements de politiques et d’incitations font déjà des progrès significatifs pour stimuler l’innovation et les nouveaux marchés ».

1 Wen Tong et Peiying Zhu, « 6G: The Next Horizon », Huawei Technologies Co., Ltd.

2 Sébastien Gavois, De la 5G à la 6G : révolution des ondes millimétriques et des surfaces intelligentes, https://www.nextinpact.com/article/68964/de-5g-a-6g-revolution-ondes-millimetriques-et-surfaces-intelligentes , 20 avril 2022.

3Eric Kunz, At CAGR of 12,10% Global Precision Farming Market | 2022-2028, | Delivery Model and Service Provider is projected to expand at USD 15,444.94 million, 23 mars 2022

4 Le Figaro avec l’AFP, « Belgique : un drone transporte des tissus humains entre deux hôpitaux, une première en Europe », Le Figaro, 23 août 2022p.

5 Propos recueillis par Jean-Michel Desplos, « Justice : “Nous sommes à l’âge de pierre en matière de recherche d’ADN” », 8 juin 2022p.

6 Morgan Lowrie, « Advanced DNA offers hope to solve cold cases, but some Canadian cops slow to adopt it | The Star », Toronto Star, 22 juill. 2022p.

7 Micheal Chui et al., The Bio Revolution, New York, Mc Kinsey Global Institute, 2020.

8 Camille Laval, PariSanté Campus : un lieu unique qui rassemble les acteurs français de la santé digitale, https://frenchhealthcare.fr/fr/parisante-campus-un-lieu-unique-qui-rassemble-les-acteurs-francais-de-la-sante-digitale/ , 10 octobre 2021.