Management et innovation : allons vers l’entreprise du futur !

« Innover, ce nest pas forcément créer quelque chose de nouveau, cest faire évoluer »1 déclarait Thierry Marx en janvier dernier à l’Ecole de Guerre Economique. Alors que la Covid-19 a bouleversé nos quotidiens, le monde de l’entreprise se doit lui aussi d’évoluer. Comment l’innovation peut-elle servir le management ? Comment le management peut-il faire évoluer notre rapport à l’innovation ? Quel modèle plus vertueux peut-on penser aujourd’hui à l’instar des sociétés à mission qui ont ouvert la voie ?

Par Diane Cassain

Repenser lentreprise : une nécessité

Les crises aux multiples visages que nos sociétés occidentales connaissent depuis quelques années s’accélèrent. Pour sortir de l’impasse, nous devons adapter nos modèles politiques et économiques, le capitalisme étant la règle d’hier mais pas nécessairement celle de demain. « Le capitalisme est efficace mais il nest pas juste, disait Karl Marx. Il na pas tout à fait tort. Les mécanismes économiques sont aujourdhui efficaces mais pas injustes. Nous devrions faire de la croissance en conscience, en alliant impact social et environnemental. Nous nous sommes intéressés à une innovation qui peut faire grandir, qui peut nous permettre de créer de nouvelles entreprises»2 témoigne à ce sujet Thierry Marx. De son côté, la jeune génération s’empare également du sujet : « Redescendons sur Terre» intimait Loïs, lors de sa remise de diplôme de l’école Polytechnique en juin dernier, « Alumni de l’école Polytechnique, nous nous tournons vers vous. Engagez-vous, faites véritablement votre cette posture dhumilité et de remise en question» déclamait à son tour Angel, lui aussi diplômé de la grande école. Ce mouvement, initié par les diplômés des Mines AgroParisTech fin avril 2022, a reçu un important retentissement médiatique. Ces dirigeants de demain, futurs managers pourraient être la clef de voûte, les initiateurs de ce cercle vertueux permettant de porter un nouveau regard sur l’entreprise de demain. « L’innovation managériale a récemment pris un tournant, depuis la crise liée à la Covid-19. Elle consiste désormais à transformer la nature de la relation employé/employeur, et à rechercher de nouvelles manières de travailler pour satisfaire à la fois les besoins de lemployeur et ceux du salariés conjointement» explique Francis Boyer, auteur du livre Le plaisir au travail, du savoir-faire à l’aimer-faire et conférencier.

Accepter l’échec et ne pas subir

Alors que la théorie de l’échec, valorisée outre-atlantique, peine à émerger en France, l’innovation et donc la créativité des actifs français s’en trouve affaiblie. En effet, face à la peur de l’échec, un employé n’utilise que 50% de son potentiel et se refuse à proposer, tester, et donc innover toujours selon Thierry Marx. « Le manque de créativité est dommageable pour lentreprise puisque cest notamment de cette manière quun concurrent nous dépasse»3 assure le chef étoilé. Autre valeur chère au chef : la formation. « Nous avons beaucoup travaillé pour des personnes éloignées de lemploi, en grande précarité. Nous avons beaucoup réfléchi à la manière d’intéresser, nous avons dû être innovants de ce point de vue et nous avons ainsi décidé de changer notre méthode d’évaluation en nous intéressant à tout ce qui était positif chez les candidats. Aujourdhui, nous ramenons quasiment 100% des jeunes gens identifiés dans un projet scolaire ou dans un projet métier. Cette nouvelle méthode ma aussi appris à innover en terme de management». L’innovation implique de savoir se détacher de ses certitudes,« de voir en face ses faiblesses pour y remédier, de ne pas se faire dillusion sur ses forces véritables et de ne pas mépriser ladversaire» ajoute Raphaël Chauvancy, auteur d’Agir ou Subir : L’esprit commando pour muscler votre projet professionnel ou personnel, officier supérieur des Troupes de marine.

S’inspirer de l’état d’esprit commando ?

Les fondamentaux, les repères… C’est aussi ce que représentent depuis toujours les Armées qui ont inspiré, à bien des égards, le monde de l’entreprise. Après la cohésion ou la résilience, les valeurs des commandos sont mises en lumière pour « muscler votre projet professionnel ou personnel». Raphaël Chauvancy avec Nicolas Moinet, co-auteur de l’ouvrage, reviennent sur le positionnement de valeurs essentielles portées par ces militaires : le courage, l’humilité, la détermination, l’abnégation ou encore l’humour. « Un management innovant pourra prendre mille visages mais il cherchera toujours à replacer lhomme au cœur du système pour en tirer le meilleur. Il adoptera une attitude de combattant dans ses analyses, ses objectifs, ses méthodes de planification et daction, jusqu’à cette forme de fraternité avec ses équipes qui ne naît que dans l’épreuve. Ce nest pas par hasard si la petite nation en armes israélienne voit naître et prospérer tant dentreprises en son sein, dirigées par des officiers passés par Tsahal et prêts à passer d’un bureau à un poste de commandement pris sous le feu. Ils ont transposé l’esprit commando à la guerre économique et au management de leurs équipes et ils sen portent très bien» témoigne Raphaël Chauvancy.

Quel héritage pour le management de demain ?

« Le management cest avant tout de lhumain. L’entreprise de demain sera donc une entreprise basée sur la co-responsabilité. Le but serait que le salarié et le manager soient dans une relation d’adulte à adulte alors quaujourdhui ils sont dans une relation parent / enfant. Cette co-responsabilité se trouve dédéveloppée aujourdhui au Canada et en Europe du Nord. Nous pourrions nous inspirer de ces pays-là…» explique Francis Boyer. Cette responsabilisation pourrait trouver sa place dans le statut des entreprises nouvelle version de demain. Il y a sept ans Franck Vu Hong, directeur général d’Aepsilon, société de conseil en innovation digitale, a fait le choix d’organiser son entreprise de 30 salariés sur un modèle innovant : répartis en trinômes, ils sont réunis selon leurs affinités et prennent les décisions allant de leurs missions en passant par leurs formations ou encore leurs horaires. « Le fait davoir un chef au sens classique, qui sanctionne et dit ce quil faut faire et comment, c’était extrêmement infantilisant. »explique-t-il dans les colonnes du Monde4. Au Canada, l’entreprise Régitex a pris le pli il y a dix ans déjà, fonctionnant sur un modèle holacratique. Permettant au salarié de rejoindre deux des huit comités chargés de répondre aux besoins opérationnels de l’entreprise, la fondatrice a souhaité responsabiliser ses équipes et placer l’ensemble des collaborateurs sur un même pied d’égalité. Une responsabilisation qui passe par l’implication des salariés dans le processus décisionnel. Cet engagement peut aller plus loin, à l’instar des employés de XL Groupe, structure spécialisée dans le conseil et la formation, rachetée par 7 des 30 salariés après avoir été placée en liquidation judiciaire. L’entreprise compte toujours 30 salariés à son bord, et affiche, en 2021, un chiffre d’affaires de 4,3 millions d’euros, en croissance de 30 % par rapport à 2020 et espère atteindre les 4,6 millions d’euros en 2023.

Imaginer un nouveau modèle responsabilisant et impliquant les collaborateurs serait peut être un des éléments concrets du monde d’après dont nous avons temps parlé…

1 Thierry Marx, conférence leadership et innovation, 20 janvier 2022, https://www.youtube.com/watch?v=ghV_Le54ugE

2 Ibid

3 Ibid

4 Jules Thomas, « Entreprise sans chef : l’avenir d’une utopie », Le Monde, 26 septembre 2021