Avec un PIB de 3 570,6 milliards d’euros en 2021, l’Allemagne est, depuis 2007, la 4ème puissance mondiale derrière les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Première puissance économique européenne, elle entend devenir « la force armée la mieux équipée d’Europe » selon les mots du chancelier Scholz. Son budget fédéral pour 2022, en augmentation de 7,3 % par rapport à l’objectif budgétaire pour 2021, consacrera en ce sens 50 milliards d’euros à la défense (BMVg) et 15 milliards d’euros à la sécurité intérieure (BMI).
Par Elisabeth de France
Des déclarations engagées
Appelant à une montée en puissance des pays européens au sein de l’OTAN, le chancelier allemand a déclaré : « En tant que nation la plus peuplée, dotée de la plus grande puissance économique et située au centre du continent, notre armée doit devenir le pilier de la défense conventionnelle en Europe, la force armée la mieux équipée d’Europe ».
L’Allemagne entend réarmer son pays et remettre à niveau son armée. Le fonds spécial de 100 milliards d’euros devra répondre à l’urgence pointée par le chancelier qui souligne le problème du « nombre totalement inextricable de systèmes d’armes et d’équipements militaires ainsi que la concurrence entre les différentes entreprises d’armement ». Appelant à une meilleure coordination des capacités européennes, il insiste notamment sur « la défense aérienne – coordonnée au niveau européen et contribuant au renforcement du pilier européen de l’OTAN ».
Si l’Allemagne « est prête à assumer une responsabilité de premier plan pour la sécurité de notre continent » clame le chancelier Scholz, il appelle aussi à la mise en place « d’un quartier général européen » afin de mener des missions « d’évacuation de nos ressortissants, comme l’année dernière en Afghanistan, ou d’une mission européenne de conseil ou de formation, comme en Irak, au Mali ou au Niger ».
Freins économiques
Selon l’OCDE, l’économie devrait croître au rythme de 1.9 % en 2022 et de 1.7 % en 2023, la guerre en Ukraine et l’embargo sur le pétrole russe mettant un frein à la reprise. La confiance des investisseurs et des consommateurs a chuté et les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement se sont aggravés, reportant à la fin de 2022 le redressement de la production industrielle et des exportations, malgré des carnets de commandes bien remplis. Un arrêt brutal des importations de gaz depuis la Russie ou la prolongation des mesures de confinement en Chine pourraient enrayer à nouveau la reprise.
Marché de défense et de sécurité
La défense se voit dotée d’un fonds spécial unique de 100 milliards d’euros pour la modernisation des forces armées. « Il s’agit donc d’une hausse significative. Ces fonds sont principalement destinés à l’achat de systèmes d’armes disponibles sur le marché, mais aussi de munitions, de vêtements et d’équipements personnels. » explique Raïssa Pabryk, Chargée de développement Industries & Sécurité, Business France Allemagne.
La ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, a notamment rappelé : « Nous avons besoin d’une armée fédérale bien équipée et performante – cela se manifeste encore une fois de manière dramatique en ce moment, face à la terrible guerre d’agression de Poutine contre l’Ukraine ». L’aérien se voit octroyer 40 milliards d’euros pour le projet d’achat du jet furtif américain F-35 qui doit succéder au Tornado ou encore pour le développement du projet d’avion de combat Future Combat Air System (FCAS) prévu conjointement avec la France et l’Espagne. Le maritime reçoit une enveloppe de 19,3 milliards pour l’achat de corvettes de type 130, de frégates F126 et du sous-marin de chasse 212 CD et le développement et l’acquisition d’un futur missile naval, d’un missile anti-aérien ; anti-sous-marin et d’un dispositif de détection sous-marine. Les forces terrestres, avec 16,6 milliards d’euros vont poursuivre la modernisation du véhicule de combat d’infanterie Puma et développer le successeur du char Leopard 2, qui doit être porté conjointement avec la France. La numérisation de la Bundeswehr et le développement des systèmes électroniques d’information de gestion pour les opérations et les investissements dans les communications par satellite seront rendus possible grâce au budget de 20,7 milliards d’euros. 500 millions d’euros seront consacrés à la R&D pour des projets en faveur d’une meilleure navigation terrestre et maritime ainsi que la « surveillance et la sécurisation de vastes zones à l’aide de l’intelligence artificielle » ajoute Raïssa Pabryk.
Le budget 2022 prévoit un volume total d’environ 15 milliards d’euros. Il sera question de la numérisation, de l’informatique et de la cybersécurité, entre autres, pour la poursuite de la mise en œuvre de la loi sur l’accès en ligne, la consolidation des services, l’expansion des réseaux fédéraux et la souveraineté numérique de l’administration. Dans le domaine de la sécurité, il s’agit notamment d’équipements des autorités de police, de la mise en œuvre de la loi sur la sécurité informatique 2.0 et de « l’interopérabilité » de l’architecture de l’information de l’UE dans les domaines judiciaire et interne. Le budget comprend également une croissance significative dans les domaines de la protection civile et des secours en cas de catastrophe.
Le Ministère fédéral de l’économie (BMWK) financera quatre grands projets vitrines à hauteur de plus de 50 millions d’euros jusqu’en 2024 dans le domaine de l’identité numérique. De nouvelles solutions d’eID sont par ailleurs testées avec des citoyens, des entreprises, des instituts de recherche et des autorités dans plusieurs villes et régions.
Numérique, IA et quantique
Le ministère de l’Intérieur de Nacy Faeser devrait obtenir un budget de 6,5 milliards d’euros. « La modernisation des réseaux fédéraux afin d’améliorer l’échange des données entre autorités se veut un projet majeur. » souligne Raïssa Pabryk, En outre, 1,5 milliard d’euros doit être utilisé pour mettre en place des communications mobiles haut débit rapides pour la police, les pompiers et d’autres services d’urgence.
D’ici 2025, les investissements de l’Etat fédéral dans l’IA, financés par le paquet conjoncturel ou le paquet d’avenir, passeront de 3 à 5 milliards d’euros. En matière de quantique, les enjeux portent sur le développement des procédures cryptographiques qui ne peuvent pas être brisées par des ordinateurs quantiques et la promotion de la crypto agilité. En 2020, le gouvernement fédéral a décidé d’investir deux milliards d’euros supplémentaires dans la promotion de la technologie quantique et une feuille de route pour l’informatique quantiquea été élaborée.
Aborder le marché allemand
« Le marché allemand de la sécurité est un marché mûr, concurrentiel et exigeant. La réussite sur ce marché est conditionnée par un investissement long et coûteux. » témoigne Raïssa Pabryk, et d’ajouter : « Il est recommandé de n’exporter que des produits se démarquant de la concurrence, que ce soit en termes d’innovation ou de valeur ajoutée, ou de proposer des produits disposant de qualités reconnues. L’Allemagne est le pays des salons par excellence pour créer et maintenir son réseau mais également faire de la veille technologique et concurrentielle. »
Horizon 2030
Le Plan Starke Schiene prévoit, lui, la rénovation du réseau ferroviaire allemand d’ici 2030 pour un budget total de 86 Milliards d’euros. En janvier 2020, l’Allemagne a annoncé vouloir doubler le nombre de voyageurs soit 206 millions d’ici 2030, et augmenter de 70% le volume de fret, dans une démarche de promotion de la mobilité ferroviaire. « Cette augmentation des flux nécessitera là encore, une sécurisation. » conclut Raïssa Pabryk.
Pour renforcer la coopération franco-allemande en matière de sécurité, un événement French Security Days sera organisé en 2023 en Allemagne par Business France et la Direction de la Coopération Internationale de Sécurité. Cette mission permettra notamment aux industriels français de mieux appréhender le marché allemand et d’y développer des partenariats d’affaires avec l’écosystème allemand du secteur.