La révolution blockchain : entre mythe et réalité

A l’aube du web 3.0 et de l’expansion des cryptomonnaies, la blockchain a beaucoup fait parler d’elle. Présentée comme la nouvelle technologie de rupture par excellence, elle devient également un phénomène de société. De la finance à la distribution alimentaire, la blockchain s’intègre comme une nouvelle brique fondamentale, permettant de répondre aux besoins de convergence de la donnée, d’efficacité réglementaire ou encore d’éco-responsabilité. La récente alliance entre le géant SWIFT – spécialiste des connexions interbancaires – à Chainlink en octobre dernier, confirme le rôle proéminent que prend la blockchain sur différentes strates de l’économie, transformant le mythe d’une technologie lointaine à la réalité d’une société en pleine mutation.

Par Catherine Convert

Le mythe d’une blockchain énergivore mis à l’épreuve

Si la blockchain et les cryptomonnaies ont fait couler de l’encre sur le débat écologique qu’elles suscitent lorsque la consommation annuelle du BTC équivaut à la consommation énergétique de l’Irlande, Orange s’est attelé au sujet de façon innovante. « Le réseau blockchain est presque capable de suivre le soleil et le mix énergétique des différents pays européens, de sorte que les transactions opérées le matin sont réalisées sur des noeuds basés à l’est et à l’ouest le soir. En parallèle, Orange travaille sur la visualisation, en temps réel, de la consommation des différents noeuds blockchain dans les pays européens grâce aux données du mix énergétique du data center remontées dans le cloud » explique Antoine Maisonneuve, Blockchain Program Manager, Orange Business Services.1 Bien que des recherches soient lancées au sujet de green blockchain, le passage du proof-of-work au proof-of-stake – processus de validation moins énergivore – est une alternative.

Au-delà de la consommation des noeuds blockchain, cette technologie sera l’élément clé des greentech et des smart grids. La gestion des bornes de recharge des véhicules électriques en accord avec l’ambition européenne de soutenir le développement du marché de la voiture électrique en est un exemple probant, alors que l’enjeu de la recharge altère la transition vers des véhicules électriques. « Nous proposons une solution visant à faciliter l’identification du conducteur et du véhicule et le paiement sécurisé à l’aube de la contrainte DSP2 »2indique la société Delmonicos. La technologie blockchain répond à différents critères d’écomobilité en matière de gouvernance, d’authentification forte et de flexibilité d’intégration de nouvelles bornes de recharge dans le réseau, élément clé pour l’adoption pérenne de véhicules électriques par la population.

Donner une nouvelle impulsion à la santé

La technologie blockchain adresse trois problématiques majeures du secteur de la santé : la traçabilité et la sécurité de chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques, le partage sélectif des données médicales pour la recherche clinique ainsi que les traitements multi-institutionnels et la preuve fiable de l’état de santé du patient. S’il existe encore une inertie dans l’adoption généralisée de la blockchain par les principaux acteurs pour des raisons commerciales, la réalisation de consortiums évolue et pourrait atteindre prochainement le secteur de la santé. A l’exemple de ceux en matière de cybersécurité, permettant de mettre en relation des grands acteurs numériques avec des start-up, ce modus operandi permettrait à terme de connecter des tiers influents avec des partenaires technologiques de confiance. A l’heure actuelle, la santé et les sciences de la vie ne représentent que 7% de l’activité totale en blockchain dont 44% est dédié à la traçabilité et à la provenance, 38% à la gestion de la donnée, 9% à la gestion des identités numériques et également 9% pour les transactions financières3. Le secteur de la santé se positionne loin derrière les secteurs de la finance et de l’assurance, de la fabrication et de la construction ou encore des arts et des loisirs. Néanmoins la COVID-19 a eu un effet catalyseur, notamment dans l’optimisation des flux de travail transfrontaliers et la confiance autour de transactions multipartites.

Parmi les innovations notables en matière de santé et de blockchain figure l’initiative ivfOPEN lancée en 2021, réunissant des leader d’opinion de la communauté de la Fécondation in vitro (FIV), professionnels de santé et des technologiques afin de réduire l’identification erronée des échantillons de FIV.

Compiler le phénomène blockchain à une société assurancielle

Avec l’essor des nouveaux comportements de consommation, des nouveaux risques technologiques liés aux nano et biotechnologies ou encore le vieillissement de la population, la société que nous connaissons s’est progressivement transformée en une société assurancielle, dans laquelle la blockchain peut jouer un rôle majeur grâce à l’arrivée des insurtech. Rien qu’en France, les mécanismes assuranciels représentent 45% du PIB, pour une moyenne de 40% dans les pays développés4. Pour Michel Revest, directeur recherche et innovations chez COVEA, « l’apport de ce protocole améliore le rôle social de l’assurance en fournissant davantage de données sur les assurés afin d’optimiser le ciblage et la pertinence des produits, facilite la prise de risques et l’investissement sur des territoires nouveaux d’activité et accompagne les nouveaux usages liés aux biens en termes de mobilité et de logement ».

OpenIDL, construit sur la Blockchain Platform de IBM en collaboration avec l’association américaine des services d’assurance (AAIS) ouvre la danse. Face à la demande exponentielle de données pour des raisons réglementaires et la hausse conséquente du volume de données gérées par les assureurs pour se conformer, les relations entre les régulateurs et les assureurs deviennent longues, coûteuses et peu efficaces. OpenIDL vise à optimiser ces processus en mettant à disposition une plateforme open-source garantissant transparence et disponibilité des informations réglementaires. De nombreux consortiums voient également le jour en Europe comme B3I, Archipels (porté par EDF, Engie, La Poste et la Caisse des Dépôts et Consignations), Komgo ou Clipeum visant à adapter le secteur à de nouveaux types de litiges, plus fréquents et plus conséquents en matière d’indemnisation. Selon France Assureurs, la blockchain serait un levier pour perfectionner la vérification de l’identité du bénéficiaire mais serait bénéfique pour créer de nouveaux services comme l’inititatve PCC (Passport for Connected Car), plateforme inter-assureurs de données certifiées, pensée par un consortium d’industriels automobiles et assureurs5.

Tension autour de la souveraineté alimentaire

Le conflit ukrainien soulève quelques interrogations concernant la souveraineté alimentaire en Europe. En coopération avec Orange Business Services et IN Group, Agdatahub développe un portefeuille numérique – Agriconsent – permettant de gérer les exploitations de personnes physiques et de personnes morales impliquées dans l’agriculture européenne ainsi que le partage consenti de leurs données. Ce portefeuille permet de faciliter la livraison de produits phytosanitaires réglementaires avec une signature digitale et de mieux gérer les relations avec des partenaires de confiance. La plateforme répond à une ambition européenne visant à optimiser les productions agricoles – en augmentant le rendement tout en maîtrisant l’impact environnemental – et de maîtriser les données stratégiques y étant liées sur un cloud souverain. En effet, les données techniques relevant des pratiques agricoles sont des « ressources précieuses que les GAFAM et les BATX pourraient s’accaparer si nous n’agissons pas » précise Agdatahub6.

En juillet 2022, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen s’accordaient sur le MiCA et le TFR relatifs aux crypto-actifs et à l’encadrement de leurs transferts. Couplés à une Banque de France souhaitant proposer un euro digital comme actif de règlement dès 2023, les dés sont lancés, scellant définitivement l’entrée dans une ère de la blockchain pour le second quart du XXIe siècle.

1 Salon Vivatech, table ronde « Blockchain, du mythe à la réalité », juin 2022

2 https://medium.com/@Delmonicos/how-blockchain-can-ease-electromobility-955bb0d92fbf

3 Blockchain in the Healthcare & life science sector, IBM, Independent Thought, 2021

4 https://finance-innovation.org/blockchain-rendait-lassurance-plus-performante-revestmichel-groupecovea/

5 https://www.insurancespeaker-wavestone.com/2022/06/blockchain-au-service-du-secteur-de-lassurance/

6 https://www.larevuedudigital.com/partage-de-donnees-agricoles-les-premieres-applications-en-france/