Le patrimoine : l’autre victime de la guerre

Cibles privilégiées, l’art et la culture sont protégés par la Convention de l’UNESCO de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Pourtant, cette convention est régulièrement bafouée. Véritable stratégie militaire, l’atteinte au patrimoine est une constante en temps de guerre. « En vidant une nation de sa culture on la condamne à mort» écrivait en 1979 Milan Kundera…

Par Camille Leveillé

Des cibles récurrentes

S’attaquer en premier lieu au patrimoine culturel lors d’un conflit armé n’est pas nouveau. « Depuis que lon fait la guerre, l’ennemi s’attaque aux biens et valeurs les plus précieux d’un peuple. Et, quoi de plus précieux que la culture pour un Etat ? »1 interrogeait le 6 juillet dernier Vincent Négri, chercheur HDR à l’Institut des Sciences sociales du Politique. Atteinte systématique à des sites religieux et culturels en ex-Yougoslavie, dynamitage des bouddhas géants de Bamiya par les Talibans en 2001, destruction du site millénaire de Palmyre par Daech en 2015, pillage dans les musées irakiens et ukrainiens plus récemment, les exemples ne manquent pas… « En Ukraine, ce nest pas seulement des peintures qui sont attaquées mais bien des lieux qui donnent une idée de la culture de ce pays, témoignant de la volonté des Russes de détruire lidentité ukrainienne» souligne Doris Pack, Secrétaire générale au Haut Conseil culturel franco-allemand et ancienne députée européenne.

Le terrible exemple ukrainien

Dès le début de l’invasion russe en Ukraine, les experts internationaux se sont inquiétés du sort du patrimoine dans le pays. Mi-octobre, 201 sites culturels avaient déjà été endommagés par l’armée russe rapportait l’UNESCO2… Des pillages ont également été recensés, notamment à Melitopol, dans le sud de l’Ukraine où 200 œuvres d’art ont été volées. «Depuis le début de la guerre, lUNESCO travaille avec les autorités ukrainiennes, les professionnels de la culture, les gestionnaires de patrimoine, les directeurs de musées, les praticiens du patrimoine vivant, les institutions culturelles et les artistes pour identifier leurs besoins et y répondre.Notre rôle est à la fois de les aider dans lurgence mais aussi de préparer le futur relèvement du secteur culturel dans son ensemble. L’UNESCO, en partenariat avec UNITAR, réalise ainsi quotidiennement lanalyse des images satellites des sites culturels afin d’évaluer les dommages.Dans la ville d’Odessa, nous prévoyons notamment lapprovisionnement en matériaux et équipements nécessaires, la numérisation des collections, la protection in situ des œuvres et des bâtiments, et la réparation des structures endommagées » développe Krista Pikkat, Directrice de l’Entité Culture et situations d’urgence de l’UNESCO. « En Ukraine, les autorités effectuent aujourdhui un suivi des destructions mais la solution proactive na pas été mise en œuvre dès le début de la guerre. En termes militaires, le sujet de la protection du patrimoine na pas été pris en compte car pour protéger efficacement le patrimoine en temps de conflit, il faut avoir en amont, en temps de paix, préparé des moyens dintervention ou formé les soldats » témoigne le capitaine Timothée le Berre, référent adjoint au sein de la Délégation au Patrimoine de l’Armée de Terre (DELPAT).

Une coopération internationale visant à protéger le patrimoine ukrainien pourrait ainsi voir le jour. L’Allemagne a contribué à hauteur de 20 millions d’euros pour aider à la sauvegarde des œuvres et des archives ukrainiennes. La Heritage Emergency Response Initiative (HERI) a été mise en place après l’invasion afin de préserver au maximum le patrimoine ukrainien. Protection des œuvres, missions de sauvetage ou encore collecte d’informations sur les atteintes aux biens culturels sont les principales missions de cette initiative inédite dans le pays. En raison de l’urgence de la situation, la HERI n’a pas pu répondre à toutes les demandes formulées par les musées notamment en fourniture de matériel de protection des œuvres. Des choix ont dû être faits… Et l’activité peut se révéler particulièrement dangereuse. En mars dernier, un camion transportant de l’aide humanitaire ainsi que du matériel à destination d’un musée a été la cible de tirs d’artillerie lourde coûtant la vie au chauffeur et au bénévole présent.

Depuis le début de la guerre, la HERI a apporté une aide à 120 musées ukrainiens.

L’armée : protectrice de lart et du patrimoine culturel

L’armée, dont le rôle principal est de préserver l’intégrité territoriale face aux agressions extérieures, agit aussi pour protéger le patrimoine culturel d’un Etat en guerre. Ce fut le cas du capitaine Timothée Le Berre, lors de l’OPEX au Nord-Mali à laquelle il a participé. « Notre objectif est de couvrir tout le spectre des opérations en temps des conflits pour avoir une réponse coordonnée, unifiée et efficace. Aujourdhui, les conservateurs militaires ont deux fonctions principales en opération : lappui au commandement en conseillant ce dernier sur les biens culturels qui se trouventau coeur d’une zone d’opération ou la vérification des listes du patrimoine qui ont été établies. Leur rôle est aussi de rencontrer les acteurs culturels pour comprendre une dynamique ou encore échanger autours de problématiques communes. Cela peut également permettre de donner lieu des projets pour des actions civilo-militaires comme ce fut le cas avec lune de nos conservatrices qui a initié un projet en Centrafrique concourantà la réhabilitation du musée national de Bangui » développe Timothée Le Berre.

Une coopération internationale accrue

La coopération internationale reste incontournable pour la protection du patrimoine en temps de conflit mais également lorsque vient le temps de la reconstruction. En chef de file, l’UNESCO mais également « les autorités des pays concernés, les ONG, et la société civile dans son ensemble travaillent toujours de concert à la recherche de solutions. Lors d’un conflit armé, l’UNESCO est engagée à répondre avant tout aux besoins des Etats membres, y compris de leurs sociétés civiles et professionnels de la culture, et coopère avec un vaste réseau de partenaires internationaux pour la mise en œuvre de projets sur le terrain. L’UNESCO travaille donc en impliquant toutes les parties prenantes et bénéficie d’expertises complémentaires et dappuis financiers et en nature afin de maximiser son action sur le terrain » témoigne Krista Pikkat, , Directrice de l’Entité Culture et situations d’urgence de l’UNESCO. Après la destruction des mausolées de Tombouctou au Mali en 2015, une importante coopération internationale a vu le jour. C’est également le cas dans la ville de Mossoul où, «l’UNESCO a lancé l’initiative Faire Revivre lEsprit de Mossoul, qui porte non seulement sur le patrimoine, mais aussi la vie culturelle et l’éducation. Nous avons mobilisé plus de 110 millions de dollars, avec un soutien très forts des Emirats Arabes Unis et de lUnion européenne. Nous reconstruisons actuellement la mosquée Al-Nouri et son célèbre minaret penché, le couvent Notre-Dame de lHeure, l’église Al-Tahera et plus de 120 maisons dhabitation historiques. Cest une initiative de très grande ampleur, avec dédes progrès significatifs, qui sachèvera d’ici 2024 » explique Krista Pikkat.

De la guerre, lart peut naître

En temps de conflit, l’art joue un rôle certain. « En temps de guerre, l’art sert en premier lieu à survivre. Il prouve que lon est vivant, que lon peut sexprimer. Les premiers actes de Résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale sont des formes dart comme des poèmes par exemple. Le second rôle est sûrement de témoigner»3 développait Sylvie Zaidman, Directrice du musée de la Libération de Paris, du général-Leclerc et Jean-Moulin, en juillet dernier. Lors du siège de Sarajevo (1992-1995) pas moins de 2000 représentations scéniques se sont déroulées dans la ville. « Je me souviens de ce violoniste à Sarajevo, au milieu des ruines de la bibliothèque nationale, jouant de son instrument. Cela a mis du baume au cœur des citoyens qui ont subi le siège pendant 4 ans. Le rôle de lart dans les conflits est de donner un sens à ce quil se passe, d’articuler des stratégies pour lavenir, il sagit de maintenir nos connexions avec le monde extérieur” m’a dit Alona Karavai, une galeriste ukrainienne, il y a peu. L’art nous permet de nous souvenir que malgré la guerre, il y a un avenir »conclut Doris Pack.

1 Conférence “Le rôle de l’art et de la culture en temps de conflits et de guerre”, Forum d’expert du Grand Prix franco-allemand des médias 2022, Arte, 6 juillet 2022

2 Évaluations entreprises par l’UNESCO, https://www.unesco.org/fr/ukraine-war

3 Conférence “Le rôle de l’art et de la culture en temps de conflits et de guerre”, Forum d’expert du Grand Prix franco-allemand des médias 2022, Arte, 6 juillet 2022