Face au piratage des contenus sportifs, l’écosystème du sport en danger

L’article 3 de la loi du 25 octobre 2021 sur la protection des œuvres à l’ère numérique instaure un outil inédit de blocage des sites diffusant illégalement les contenus sportifs. Deux ans après un premier débat au Sénat sur le sujet, face à l’avènement du live stream et des IPTV, cette législation doit permettre aux ayants droit de protéger leurs programmations. Un défi de taille à relever pour un combat à l’issue incertaine.

Une coopération qui porte ses fruits

Soulignée par l’ensemble des acteurs en présence, l’efficacité de la loi du 25 octobre 2021 a déjà pu faire ses preuves. Un succès appuyé par Denis Rapone, membre du collège de la récente Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui note la chute « de 3,2 millions à 1,7 millions dinternautes sur les sites illicites en lespace d’un an. » Cette rapide diminution du nombre de « live streamers illégaux », s’explique par la création d’une procédure judiciaire particulière permettant à tout ayant droit d’apporter la preuve d’atteintes à sa propriété. Les saisines, instruites par l’Arcom, permettent au juge de statuer sous la forme d’une procédure de référé, désignant ainsi les mesures nécessaires à la protection du contenu sportif. Un processus accéléré qui s’avère particulièrement efficace, du fait notamment de l’adaptation de l’autorité judiciaire compétente. « Le tribunal de Paris sest armé d’une magistrate dédiée à ces questions, qui a donc la capacité de rendre des décisions dans des délais extrêmement courts » salue Denis Rapone. Un autre axe de satisfaction réside dans la large coopération des acteurs qui agissent de concert pour éliminer les pratiques illégales qui nuisent à leurs activités mais plus largement à l’ensemble de l’écosystème du sport professionnel. « La bataille des contenus ne se livre pas entre les plateformes SVOD traditionnelles comme on voudrait bien le croire, mais plutôt entre lensemble des acteurs légaux et les pirates qui les pillent.» appuie Maxime Saada, président de l’Association pour la protection des programmes sportifs (APPS). Cette unité des diffuseurs est renforcée par la bonne coopération des fournisseurs d’accès internet, représentés par Liza Bellulo, présidente de la Fédération française des télécoms (FFT), qui n’a pas manqué de souligner tout l’engagement à l’œuvre pour assurer le blocage des sites pirates.

Des opérations coûteuses

«La lutte contre le piratage est extrêmement couteuse, du fait dabord du dommage subi par lindustrie et l’écosystème du sport, mais aussi en raison des frais qui sont désupportés par les télédiffuseurs et les ayants droit pour la protection de leur contenu. » rappelle Caroline Guenneteau, Secrétaire générale adjointe de beIN media group. Des dépenses qui se chiffrent aujourd’hui « en millions ». Une difficulté accrue par la nécessité légale d’apporter des preuves constantes d’atteintes graves et répétées au juge, qui requiert ainsi de la part des télédiffuseurs la mobilisation d’huissiers et la tenue régulière de constats. Ces coûts importants touchent également les fournisseurs d’accès internet qui, compte tenu de leur exigence de diligence, doivent procéder à des astreintes. « Afin dassurer un blocage efficace, nous nécessitons la présence dune personne qui puisse activer manuellement cette procédure, mais aussi un ingénieur réseau et un ingénieur DNS. Nous nous acquittons en parallèle dhonoraires davocats. » précise Liza Bellulo, d’où l’accord proposé par la FFT qui permettrait d’instaurer l’automatisation des blocages opérés et ainsi réduire les frais. « Dès novembre 2021, nous avons proposé un cahier des charges qui permettait la mise en place dune brique technique afin de récupérer de manière automatisée la liste des sites à bloquer auprès de l’Arcom. » poursuit la présidente de la FFT. Un accord qui pourrait voir le jour tant l’automatisation du traitement des demandes est plébiscitée par l’ensemble des acteurs, elle qui devrait permettre de procéder au blocage d’un site pirate en seulement 45 minutes. Cette industrialisation nécessite « 500 000 euros dinvestissement de développement initial» selon la FFT, qui insiste sur sa volonté de répartir cette somme entre ayants droit et fournisseurs d’accès internet tout en soulignant qu’il s’agira là d’une somme dérisoire au regard de « l’enjeu économique des évènements sportifs qui est de plus d’un milliard d’euro par an.».

« Une course contre la montre »

« Sans dispositif de blocage IP, tous les efforts que nous avons fait depuis des années pourraient s’avérer vains. » indique Mathieu Ficot, directeur général adjoint de la Ligue de football professionnel (LFP). Un constat consensuel qui donne la perspective de l’évolution de la lutte contre le piratage des contenus sportifs. En effet, le blocage DNS, visant à couper l’accès au serveur, montre ses limites en ce qu’il est aisément contournable par les pirates qui se servent notamment de DNS alternatifs ou de VPN pour s’acquitter des restrictions. Par conséquent, la solution du blocage IP s’impose comme une issue nécessaire. Bien plus efficace, cette technique permet de refuser les requêtes ciblées de certains usagers sur la base de leur adresse IP. Une telle solution est d’ailleurs déjà à l’œuvre au Royaume-Uni. L’article 3 de la loi du 25 octobre 2021 permet d’ailleurs cette transition, en autorisant « toute mesure appropriée », sans préciser la nature du blocage. « Le blocage DNS était la première étape, le blocage IP était dans l’esprit de tous à l’origine de cet article, afin que le dispositif devienne pleinement efficace. » indique Caroline Guenneteau. En vue de cet objectif, une coopération étendue est nécessaire auprès de l’ensemble des acteurs qui ont le pouvoir d’agir sur les pratiques pirates. C’est le cas de « l’ensemble des intermédiaires techniques tels que les fournisseurs de nom de domaine, les réseaux privés virtuels, les services d’hébergement, les moteurs de recherche ou encore les réseaux sociaux » souligne Denis Rapone. La prudence reste donc de mise. La Coupe du Monde de football 2022 a vu une nette hausse du streaming sportif illégal en France, malgré une offre en clair conséquente. Une récente publication de l’Observatoire du sport business parue le 5 janvier 2023 (sur la base d’une enquête réalisée par Statista), que 91 % des Français avaient regardé au moins une fois du streaming sportif illégal au cours des 12 mois précédents, dont 60 % pour le seul mois de juillet.

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