La Nouvelle-Zélande au carrefour d’une réorientation stratégique

Deuxième pays le plus sûr au monde selon le Global Peace Index 2022, la Nouvelle-Zélande jouit de la relance d’une économie florissante, d’un faible taux de criminalité et d’une gestion réussie de la pandémie de Covid-19. Pourtant, un défi d’envergure se profile pour Wellington à un moment pivot dans la région Indopacifique, poussant désormais l’archipel à affronter ses dilemmes et à procéder à la réorientation stratégique de ses objectifs.

Par Théo Lhen Tallieu

Menaces latentes

Située à la jonction de deux plaques sismiques, les îles de Nouvelle-Zélande cumulent les risques naturels majeurs : cyclones, glissements de terrains, séismes et activité volcanique frappent régulièrement l’archipel et menacent ses plus de 5 millions d’habitants. Un défi naturel particulièrement tangible avec la hausse des températures, faisant des villes, abritant 90% de la population néozélandaise, des « hotspots où l’expérience de la chaleur et des inondations localisées sera plus intense que les moyennes mondiales »1 selon les experts du GIEC. La cohorte d’événements climatiques extrêmes de début d’année illustre bien l’ampleur du défi. Les inondations historiques survenues au moment des pluies diluviennes de janvier ainsi que le passage du cyclone Gabrielle en février ont nécessité un déploiement inédit d’effectifs militaires et l’activation de l’état d’urgence pour la troisième fois de l’histoire du pays. À la menace climatique s’ajoute le défi du contre-terrorisme, priorité affichée de l’ancienne première ministre Jacinda Ardern au lendemain du traumatisme causé par l’attentat du Christchurch le 15 mars 2019, ayant entraîné la mort de 51 personnes. Des suites de cet événement naquit le « Christchurch Call », coalition internationale contre la diffusion des contenus terroristes sur internet, sous l’égide de Wellington et Paris. Autre source d’inquiétude : les velléités chinoises dans le Pacifique Sud. La Nouvelle-Zélande joue désormais le jeu difficile de l’équilibriste avec son premier partenaire commercial depuis 2008, tandis que la relation diplomatique éprouve la posture internationale de plus en plus offensive de Pékin. « Il s’agit là de la principale question de sécurité pour Wellington qui tente de gérer ses relations économiques avec la Chine mais aussi d’éviter de perdre le soutien des Etats-Unis. » explique Iati Iati, spécialiste en relations internationales de l’université de Wellington.

Culture multilatérale

La Defence Force néo-zélandaise a fait des missions multilatérales de protection de la paix un mode d’engagement privilégié : contribution à la force multinationale d’observateurs de l’ONU au Sinaï depuis 1982 et participation à l’Association Asie-Pacifique des centres de formation aux opérations de paix (AAPTC) illustrent la volonté d’incarnation de ce rôle. « En tant que petit Etat, la Nouvelle-Zélande préfère le multilatéralisme aux alliances dans sa façon de s’engager dans le monde. » souligne Iati Iati, et de nuancer : « Le pays n’est pas pour autant étranger aux alliances, surtout dans une région où la logique se répand avec l’AUKUS notamment. Wellington ne pourra pas échapper à cette tendance. » Pour cela, la Nouvelle-Zélande peut miser sur ses alliés stratégiques historiques. Malgré la remise en cause de l’ANZUS dans les années 1980 avec le choix de s’opposer au nucléaire, Wellington se tourne de nouveau vers Washington notamment depuis l’accord de défense conjoint signé en juin 2012. L’Australie, son voisin insulaire, constitue un autre allié de taille, sachant la fraternité stratégique historique que se vouent les deux pays, célébrant chaque année la mémoire de la bataille de Gallipoli de 1915 menée par le bataillon commun « ANZAC ». Ce destin lié et l’environnement stratégique commun justifie la rencontre annuelle entre les ministres de la Défense des deux pays. L’occasion en octobre dernier pour Richard Marles et Hon Peeni Henare de revitaliser l’« Australia-New Zealand Dialogue Architecture » qui doit notamment permettre la création d’un groupe de travail sur l’industrie de défense et ainsi approfondir la coopération entre les bases industrielles des deux voisins. Australie et Etats-Unis laissent aujourd’hui la porte ouverte à la participation de la Nouvelle-Zélande à l’AUKUS, en dehors des questions nucléaires.

Nouvelle donne Indopacifique

Face aux avancées chinoises dans le Pacifique Sud, la position néo-zélandaise se durcit. Dès avril 2022, moment de la signature de l’accord de défense entre la Chine et les îles Salomon, Jacinda Ardern qui représentait la voix modérée des « Five Eyes » s’est montrée plus critique à l’égard de la posture offensive adoptée par Pékin. Dans le Pacifique Sud, la pression s’accentue d’autant plus que dix Etats nouent des relations diplomatiques avec la Chine en bénéficiant d’investissements massifs en contrepartie d’un alignement sur les questions internationales, dont le statut de Taïwan. Si le ton de Wellington demeure cordial avec son partenaire chinois, la posture change. Le sommet de Madrid organisé par l’OTAN le 29 juin dernier voyait Japon, Corée du sud, Australie et Nouvelle-Zélande rejoindre la table des négociations. L’occasion de lier ces partenaires à l’établissement du nouveau « concept stratégique » de l’OTAN, désignant désormais la gestion de la Chine comme l’un de ses défis principaux. Dans la foulée, l’accord commercial avec l’Union européenne signé le lendemain accélérait ce rapprochement avec les concurrents économiques de la Chine dans l’objectif de gonfler de 30% les échanges bilatéraux. Deux gestes forts qui traduisent la volonté néozélandaise de rejoindre le groupe de tête dans l’Indopacifique au moment où l’agenda OTAN 2030 vient pérenniser ce renforcement des relations avec les partenaires d’Asie-Pacifique, notamment dans le cadre de la sûreté maritime.

Vers une modernisation stratégique

Avec la force de l’opposition politique et le récent échiquier indopacifique, le nouveau premier ministre Chris Hipkins hérite de l’épineux dossier de rénovation de l’appareil militaire néozélandais. Première inquiétude : le recrutement pénible tandis que le ministre Hon Peeni Henare annonçait en mai dernier l’objectif de 1200 militaires supplémentaires par an pendant 5 ans pour venir gonfler des rangs devenus insuffisants. « L’environnement de recrutement est incroyablement difficile en ce moment, avec des taux de chômage qui n’ont jamais été aussi bas et, comme pour tout autre employeur, un marché de l’emploi très compétitif, ce qui rend difficile de trouver les recrues dont nous avons besoin » déplore le lieutenant-colonel Sandra Patterson, directrice du recrutement de la Défense.2 Le gouvernement s’est alors engagé à attribuer 90 millions de dollars néozélandais à la revalorisation des salaires au sein des professions de la défense. D’autres efforts en matière de modernisation des infrastructures et des équipements lancée en 2021 pour 3,2 milliards de dollars néozélandais (après avoir reconnu un sous-investissement majeur pendant des décennies) devraient se poursuivre.3 Courant 2022, la Royal New Zealand Air Force a notamment passé commande d’avions de patrouille maritime P-8A Poseidon, tandis que l’Armée de terre doit recevoir 43 véhicules blindés Bushmaster, construits par la filiale australienne de Thales.4 Le gouvernement vise aussi une reconsidération de ses objectifs stratégiques, qui seront compilés cette année au sein du « Defence Policy and Strategic Statement » attendu pour ce mois de mars 2023.

1 Corlett, Eva. « A land divided by climate extremes: what the IPCC report says about New Zealand », The Guardian, 10 août 2021.

2 Manch, Thomas. « Defence Force launches recruitment blitz to battle tight labour market », Stuff, 7 octobre 2022.

3 Manch, Thomas. « New Zealand wants to benefit from Aukus nuclear defence pact, defence minister says », Stuff, 9 décembre 2021.

4 Fish, Tim. « More proactive posture on table as New Zealand begins new defense review », Breaking-Defense, 28 juillet 2022.