Technologies souveraines : les programmes de recherche tournés vers l’horizon

Il y a deux ans, le président de la République annonçait le lancement de la stratégie France 2030, véritable marque de la volonté française de développer des technologies de rupture souveraines. Les projets sont désormais lancés et les équipes de recherche prêtes à fournir des efforts conséquents dans tous les domaines technologiques de demain.

Par Lola Breton

Préparer la société de demain

« Le but était de lancer des défis scientifiques pour faire émerger des technologies de rupture. » Si Bruno Charrat décrit là l’ADN du PEPR (Programme et équipement prioritaires de recherche) Cybersécurité, qu’il pilote au sein du CEA, ces mots pourraient tout aussi bien désigner les autres programmes de recherche actuellement menés sous l’égide de la stratégie France 2030. Annoncé par le président de la République en 2021, ce plan sur cinq ans, doté de 54 milliards d’euros a pour objectif clair de « développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir ». En ligne de mire de la stratégie France 2030, on retrouve la volonté de la France de s’engager sur les énergies vertes et de préparer la société de demain. Cela suppose, tant pour les industriels que pour les chercheurs, la mise sur pied de projets d’envergure. Pour révolutionner des secteurs et créer de nouvelles filières, des technologies inédites et souveraines, développées par des acteurs français, sont de mise.

Depuis le lancement officiel du plan France 2030, en 2022, les appels à projets et les programmes de recherche se multiplient pour mettre en place des équipes capables de travailler pendant près de six ans sur des technologies de rupture. La dernière grande annonce en date a été faite en février 2023. L’exécutif a alors investi plus de 40 millions d’euros dans le PEPR NumPEx, Numérique pour l’Exascale. Pour développer des briques logicielles qui permettront d’équiper les futures machines exascale que la France est vouée à accueillir dans les prochaines années, 80 équipes de chercheurs, sous l’égide d’une triple présidence du CNRS, de l’Inria et du CEA font de la recherche au sein de ce PEPR. Si elle est difficile à concevoir pour le grand public, cette technologie exascale, qui correspond à la nouvelle génération de superordinateurs, capable d’effectuer plus d’un milliard de milliards de calculs par seconde, est essentielle à la réponse aux défis qui nous animent désormais. « Cela fait dix ans que l’on réfléchit à l’identification des sujets qu’on sera en capacité de résoudre quand la technologie sera disponible », explique Jean-Yves Berthou, directeur du centre Inria de Saclay et co-pilote du PEPR. Les supercalculateurs existent déjà, bien qu’ils ne soient pas encore répartis à grande échelle sur le globe. « La première machine européenne devrait arriver l’année prochaine en Allemagne et dans deux ans en France. Il faut donc faire évoluer les briques logicielles pour qu’elles s’y intègrent et que cela mène à des applications concrètes », explique le docteur en informatique.

L’exascale, une technologie souveraine construite en collaboration étroite avec des équipes de recherche européenne, donc. « Nous avons des séries d’échanges réguliers pour co-construire avec le monde entier et mettre en place un nouveau cadre à l’international, souligne Jean-Yves Berthou. Il n’y a pas un moment T où la solution existe. Les Etats-Unis ont déjà une machine qui tourne mais ils n’ont pas résolu toute la question pour autant. Il y a bien sûr une volonté d’être les premiers, mais cela n’empêche pas la collaboration internationale. » Côté français, toutefois, des centaines de chercheurs vont se pencher sur ce sujet jusqu’en 2028 en espérant avancer le plus possible pour, à travers cette enabling technology, adresser de nouveaux challenges.

Des défis bien connus

Le premier d’entre eux, celui qui occupe l’esprit de tous les industriels et de la plupart des citoyens est celui du climat. L’ordinateur exascale va permettre de « comprendre et prédire des phénomènes extrêmes », assure Jean-Yves Berthou. NumPEx travaille d’ailleurs en collaboration étroite avec le programme de recherche TRACCS, également financé par la stratégie France 2030. Son but : « accélérer le développement des modèles de climat conçus par la France », note le CNRS, qui copilote le programme avec Météo-France. Les chercheurs travailleront notamment à la création de « services climatiques », des logiciels qui regroupent l’ensemble des informations connues sur le climat et les analyses de risques sur les activités économiques, l’environnement et la société. Le calcul haute performance permis par l’exascale « permettra de réduire la consommation énergétique des simulations climatiques, d’utiliser plus efficacement les ressources de calcul et donc de réaliser davantage de modélisations pour le même coût énergétique », note le CNRS.

IA et Cloud de confiance

Pour ce faire, les chercheurs de TRACCS seront également amenés à regarder de très près les innovations de rupture lancées par les chercheurs en intelligence artificielle. Là encore, plusieurs appels à projets sont actuellement en cours de lancement dans le cadre de la stratégie France 2030. Ils ont pour objectif de développer des technologies d’IA de confiance – notamment pour des applications en santé, en industrie 4.0 mais aussi dans les infrastructures critiques – répondant aux enjeux des territoires et intégrées dans des systèmes embarqués. Les opérateurs BPI France et la Banque des Territoires ont été choisis pour piloter ces programmes, dont les appels à projets sont encore ouverts.

Qui dit futur de la France et technologies souveraines, dit inévitablement : cloud de confiance. Comme l’intelligence artificielle, ce secteur et les programmes de recherche qui l’entourent sont très intimement liés aux autres PEPR de France 2030. Début avril 2023, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, a révélé le nom des lauréats de deux appels à projets lancés un an plus tôt sur le sujet. Ces 39 gagnants vont pouvoir travailler à l’élaboration, d’une part, de solutions bureautiques collaboratives de confiance et d’autre part à l’accompagnement des PME et start-up éditrices de logiciels SaaS ou PaaS dans leur maturité cyber et vers la qualification SecNumCloud de l’Anssi. Un nouveau budget de 3,5 millions d’euros est également venu s’ajouter à ce qui avait déjà été investi, pour la seconde relève du dispositif d’accompagnement qui aura lieu le 19 juillet 2023.

Le pilier de la cybersécurité

Que serait la stratégie numérique de la France si elle n’était pas accompagnée d’un volet cybersécurité ? Bruno Charrat, adjoint au directeur de la recherche technologique au CEA et pilote du PEPR Cybersécurité souligne : « La cybersécurité, c’est assez nouveau dans le discours public et souvent, les gens n’arrivent pas à comprendre que cela s’applique sur des problèmes très concrets. » Neuf projets sont actuellement en cours dans cette optique. Jusqu’en 2028, les équipes de recherche travailleront sur les cinq axes principaux qui composent la stratégie d’accélération cybersécurité. Renforcer les liens et les synergies entre les acteurs de la filière – ce qui a été fait à travers la création du premier campus cyber, à La Défense, et qui essaime petit à petit sur le territoire – soutenir la demande en faisant la promotion de solutions nationales, former plus de jeunes aux métiers de la cyber, soutenir financièrement le développement des entreprises, mais aussi développer des solutions souveraines et innovantes de cybersécurité. « Il s’agit en fait de nourrir en technologies toutes les mesures plus aval de la stratégie pour avoir une continuité : faire à la fois de la recherche fondamentale et être capable d’obtenir des résultats concrets », détaille Bruno Charrat. Si la cybersécurité est un pilier essentiel de toutes les autres filières du numérique, c’est parce que ce monde a ouvert les portes à de nouveaux et juteux crimes. « Il faut analyser la menace, protéger le système by design mais aussi penser à la suite. Car quand bien même nous aurions pensé correctement la menace et bien protégé le système, il faudrait vérifier régulièrement que rien d’autre, imprévu, ne se passe. » ajoute Bruno Charrat. L’un des enjeux du PEPR est donc de réussir à trouver un moyen de faire de la détection en permanence et à tous les niveaux de la chaîne d’information. Les deux derniers projets placés sur l’égide du programme, qui se penchent respectivement sur la « capacité à analyser la résistance de la cryptographie » et sur « la recherche de vulnérabilités dans les systèmes pour permettre l’investigation numérique », permettront sans doute d’avancer sur cette ambition.