Djaïli Amadou Amal, écrivaine et porte-parole des femmes du Sahel

« La lecture m’a sauvée ». C’est ainsi que Djaïli Amadou Amal, auteure camerounaise, nous décrivait son attachement à la littérature. Ayant décidé de faire de son vécu une force, elle s’engage pour améliorer la condition des femmes autant sur le papier que sur le terrain. Portrait d’une écrivaine hors-pair, source d’inspiration pour les femmes du Sahel et au-delà.

PAR THÉO LHEN TALLIEU

L’écriture comme exutoire

« J’ai eu une scolarité normale. Jai eu la chance non seulement d’être inscrite à l’école mais aussi que mes parents encouragent autant l’éducation des filles que celle des garçons. Mais, tout sest arrêté à 17 ans lorsque j’ai été contrainte d’épouser une personnalité de la ville, qui était beaucoup plus âgée. » Originaire de Maroua, au coeur de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, Djaïli Amadou Amal subit trop jeune le poids des obligations sociales qui sévissent dans le Sahel. Impossible pour elle d’accepter son sort. Nait alors une passion pour la littérature, seule issue pour l’éloigner de son quotidien. « Quand j’ai été prise dans cet étau qu’était le mariage précoce et forcé, je suis tombé e dans une profonde dépression. J’ai fait des tentatives de fugue, de suicide, et naturellement je me suis tournée vers la lecture car elle me conduisait autre part, là où j’avais envie d’être. Puis, j’en suis venue à écrire, pour moi, car j’avais besoin de me confier. Mon cahier était le meilleur ami que je ne pouvais avoir, il ne me jugeait pas, ne me disait pas que je me faisais des idées ou que je rêvais trop. C’est ce qui ma donné la force de partir après cinq ans de vie commune. » explique t-elle. Mais, Djaïli Amadou Amal se heurte à l’oppression après s’être remariée. « Mon second mari me refusait les sorties, de parler aux gens et il se montrait violent. J’ai décidé de fuir, puis mon mari a enlevé mes deux filles. À partir de ce moment là, réussir n’était plus une option. » Refusant le silence, Djaïli Amadou Amal décide de coucher son histoire sur le papier. « Il fallait que je dise tout haut ce que pensaient tout bas toutes les femmes de ma région. En 2010, j’ai publié mon premier roman, « Walaande, l’art de partager un mari ». J’étais alors la première écrivaine de ma région. Cela m’a ouvert l’accès à des conférences, des émissions de télévision, des médias pour pouvoir diffuser mon message, verbaliser la souffrance des femmes et mener le plaidoyer toujours plus loin. » raconte-t-elle.

Briser les tabous, ouvrir le débat

Avec la publication de ce premier livre, Djaïli Amadou Amal décide de faire de son vécu la base de son combat pour l’amélioration des droits des femmes, non sans essuyer certaines critiques et menaces. « Quand j’ai publié mon roman, il y a eu beaucoup de reproches de ma communauté pour avoir ouvert nos concessions et le secret qui entoure la vie dans nos foyers, impénétrables pour les étrangers » décrit l’écrivaine. « Je refuse de me poser la question des risques que je prends. Aucune femme ne devrait avoir peur de sensibiliser à des vérités aussi terribles. Il faut refuser d’être une victime. » En effet, celle que la presse locale a immédiatement surnommé la « voix des sans-voix », entend bien perpétuer son engagement. En 2013, elle publie son deuxième roman, « Mistiriijo, la mangeuse d’âmes », pour lequel le journal camerounais L’Oeil du Sahel la classe comme l’une des cinq femmes les plus influentes du Nord-Cameroun. Un pouvoir dont elle saisit l’ampleur. « C’est là que je me suis rendue compte que même au Cameroun, certains dans le sud ne se rendaient même pas compte de la situation des femmes dans le Sahel. Donc si eux-même ne savaient pas, comment espérer que le monde le sache ? » note l’auteure. « Un jeune homme est un jour venu à moi, me disant : “J’ai toujours pris pour normal ce que ma mère avait enduré. Et j’en attendais autant de ma future épouse.” Sauf quen lisant le livre, il a mesuré son erreur et à quel point le poids des coutumes impose le silence. » et d’ajouter : « Il y a une grande amélioration dans le milieu urbain. C’est aussi dû à une plus grande ouverture sur le monde permise par les réseaux sociaux, qui ne peut que changer les choses. Avec le déploiement des ODD, il y a aussi beaucoup plus d’écoles dans le Sahel. Les femmes ont créé beaucoup plus d’associations et d’ONG qui ont abordé et traité cette question. Je ne suis pas la seule qui ait porté le combat et qui ait osé en parler. »

Un combat de longue haleine

En dépit des avancées, la lutte des femmes reste semée d’embûches, là où les menaces régionales impactent directement leurs conditions de vie. « Chaque fois qu’un bouleversement se manifeste, la condition des femmes chute drastiquement. Lors de la crise sanitaire, les organisations internationales notaient un retour trente ans en arrière sur les questions de l’excision, du mariage forcé, etc. Dans le Nord-Cameroun, il faut aussi dire que le changement climatique génère une forte insécurité alimentaire. Ce sont les filles qui souffrent le plus de cette situation car ce sont elles que l’on envoie se marier beaucoup plus tôt pour délester le foyer parental. Les nombreuses crises sécuritaires, les incursions de Boko Haram dès 2014, ont entrainé la fermeture des écoles pendant plus de 4 ans dans les zones touchées par le terrorisme. Aussi, à l’occasion d’attentats ce sont généralement les jeunes filles qui sont utilisées, elles sont les cibles privilégiées des kidnapping et deviennent des esclaves sexuelles. Nous avons l’impression de faire la danse Bafia : deux pas en avant, un pas en arrière. Dans le nord Cameroun, 60% des filles sont encore mariées avant l’âge de 18 ans. Dans certains pays du Sahel comme le Niger et le Tchad les chiffres sont encore pires. » constate Djaïli Amadou Amal. C’est le sujet de son 4e ouvrage, Cœur du Sahel, paru en 2022, où il est question de mariage par le rapt. Suivant une tradition qui perdure dans les montagnes du Nord-Cameroun, un homme qui désire une femme peut s’arroger le droit de l’enlever pour l’épouser. Pour s’assurer que rien ne viendra entraver son projet, il la viole parfois publiquement – ce qui en fait d’emblée son épouse –, en toute impunité, au vu et au su de tout le monde, sans que nul ne songe à s’en indigner. Même l’Etat apparaît assez permissif : pas plus les rapts que les viols ne sont punis. Le sujet reste tabou. De la même manière, les femmes domestiques sont souvent la proie de leurs employeurs et subissent parfois le viol de différents membres de la famille, sans jamais oser porter plainte. Honteuses d’être des victimes, elles se murent dans le silence, ce qui conforte leurs bourreaux dans l’idée que violer une domestique ne prête pas à conséquence.

L’écrivaine insiste sur la nécessité de toujours renouveler le combat des femmes où qu’elles vivent, s’inquiétant de voir des questions déjà débattues, comme l’IVG, revenir à la table des négociations. « Les femmes doivent prendre conscience que rien nest acquis. Les combats de nos mères et nos grand-mères pour que lon arrive au peu de droits que nous avons aujourdhui doivent être perpétués. À tout moment, à tout instant, chaque femme à travers le monde devrait en prendre conscience afin que dans quelques années nos filles aient les mêmes droits.»

Femme de terrain

Le Goncourt des lycéens de 2020 déclencha une vague inattendue. Pour la première fois, un prix littéraire devenait une cause nationale, en mesure de rassembler. Son roman récompensé, l’Etat a décidé de l’inscrire au programme scolaire de Terminale. « C’était gagné » sourit-elle poursuivant « dun sujet tabou, quon met sous le tapis, le livre est devenu un sujet enseigné, appris. »

Djaïli Amadou Amal agit également au travers de son association Femmes du Sahel. « Nous travaillons en faveur de l’éducation des filles et donnons des fournitures scolaires pour l’équivalent d’une année aux enfants les plus défavorisés. Cette année nous avons pu en fournir à 500 enfants. Nous organisons aussi des campagnes de sensibilisation dans les collèges et lycées pour former les jeunes filles afin qu’elles puissent se prémunir contre les mariages précoces et forcés et le harcèlement sexuel à l’école et sur le chemin de l’école. C’est l’opportunité de leur montrer des modèles positifs auxquels s’identifier, des femmes qui travaillent, qui sont éduquées, afin qu’elles puissent se dire que c’est possible. Notre dernière campagne de janvier, avec le soutien du haut commissariat du Canada a permis d’aller à la rencontre de 10 établissements scolaires du secondaire, nous permettant de nous adresser à près de 10 000 jeunes filles. »

Consciente du pouvoir de la lecture, l’écrivaine continu à la promouvoir et met à disposition, avec son association, des livres dans les écoles primaires de villages isolés. Elle réhabilite et construit des bibliothèques, dont une en cours à Maroua, sa ville natale. Et de conclure : « Que ce soit en France, en Europe ou en Afrique, quimporte où je me trouve : les lecteurs comprennent combien les violences faites aux femmes sont inadmissibles. Alors, pour moi, il y a de lespoir. »