Menaces sécuritaires et guerre d’influence en Afrique de l’Ouest

Entre la montée d’un sentiment anti-français ayant conduit au départ des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso, une remise en cause de nos intérêts et une multitude de défis sécuritaires à colmater, l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui l’antichambre d’une guerre d’influence à peine voilée…

Par Camille Léveillé

Une région aux multiples défis

Si la situation sécuritaire de l’Afrique de l’Ouest se dégrade depuis de nombreuses années déjà sous le poids d’une menace terroriste prégnante, le Golfe de Guinée n’échappe pas à son lot de menaces diverses. La piraterie était, pendant de nombreuses années, la principale menace à l’encontre des navires mais le phénomène s’était peu à peu estompé. En 2021, les attaques ont chuté de 60 % par rapport à 2020. Tendance confirmée en 2022 où 2 personnes ont été enlevées dans la zone contre 71 en 2021 et 142 en 2020.1 Une accalmie de courte durée… Un pétrolier danois a été attaqué en mars dernier. S’il a été rapidement localisé, une partie des membres de l’équipage ont eux été enlevés par les pirates. Le 10 avril, soit deux semaines après cette attaque, c’est au tour d’un pétrolier singapourien d’être pris pour cible. Les 20 membres d’équipage ont été retrouvés quelques jours plus tard, tous sains et saufs. Et, la zone doit faire face à d’autres menaces comme la pêche illégale qui accroit l’insécurité globale. 40 à 50 % de la pêche serait illégale, entrainant 1 à 2 milliards de dollars de ressources perdues par an. Les responsables ? Majoritairement les navires russes et chinois.2 La principale conséquence ? Les pêcheurs locaux doivent prendre de plus en plus de risques car les ressources se font rares près des côtes, les bateaux n’étant pas adaptés, des marins perdent la vie au large. Autre conséquence : l’insécurité alimentaire se fait grandissante, le nombre de personnes dans cette situation a doublé ces deux dernières années.3 Le trafic de drogue ajoute une nouvelle brique au climat sécuritaire tendu. Selon le rapport du Maritime information cooperation & awareness Center (MICA), l’Afrique de l’Ouest est « l’une des artères majeures du trafic de drogue dont les effets délétères vont de la santé publique à la corruption des institutions civiles ».4 La menace djihadiste, transnationale, laisse planer de nombreuses incertitudes notamment depuis sa migration, à partir de 2021, vers le Sud. Dans de nombreux Etats du Golfe, les attaques se multiplient notamment dans les régions du Nord du Togo et du Bénin. « Le gouvernement est présent, les forces de lordre et de sécurité se battent. Elles-mêmes subissent des pertes, mais le résultat escompté n’est pas là et la peur sempare de toutes les populations des Savanes »5 témoignait récemment un conseiller municipal de la zone.

Entre intérêts et remise en question

« Nous sommes bousculés, et parfois peut-être nous étions-nous endormis. En nous disant, c’est notre pré carré, c’est « chez nous ». Beaucoup d’entreprises raisonnaient comme ça. La concurrence est arrivée et a bousculé les positions acquises »6 déclarait Emmanuel Macron en juillet dernier lors d’un voyage officiel au Cameroun. “Bousculé”, c’est peu dire. Le retrait des troupes françaises au Mali, après 9 ans d’intervention, couplé à celui, plus récent, des troupes au Burkina ont modifié l’échiquier géopolitique. « Le désengagement militaire ne doit pas entraîner un désengagement économique, social et culturel. A mon sens, ce serait une erreur car l’Afrique de l’Ouest reste une des régions où la France a le plus d’intéts. Il serait illusoire de penser quil suffise de se retirer de la zone pour que nos relations s’améliorent. Le destin ouest africain est nécessairement entremêlé avec le destin français en raison de l’héritage historique. Le défi est de repenser une stratégie avec ces nouveaux paradigmes. Jusqualors, même si la France ne faisait pas de Françafrique, elle faisait de la coopération avec les anciens codes de la Françafrique. Pour cette raison, elle est taxée de néocolonialisme quand bien même nos intentions sont louables. Ce nouveau contexte doit nous permettre de trouver de nouveaux partenariats basés sur des termes plus égalitaires. La co-gestion de bases militaires pourrait par exemple être un premier pas » explique Djenabou Cissé, chargée de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique. Dans le même temps, Russes et Chinois s’empressent de multiplier les manoeuvres diplomatiques. En février 2023, le ministre des affaires étrangères russe a ainsi rendu visite au gouvernement malien et a promis son aide « à la région sahélo-saharienne et même aux pays riverains du golfe de Guinée » pour lutter contre le terrorisme.7

Quelles solutions ?

Si avec le Mali et le Burkina Faso, les relations sont au plus bas, la France mise aujourd’hui sur d’autres pays du Golfe. Des signaux faibles tendent par exemple à démontrer que la Côte d’Ivoire ne se laisse pas influencer par le géant russe qui mène régulièrement des campagnes de désinformation massives sur les réseaux sociaux en Afrique. Elle a, avec le Nigeria, condamné, à l’ONU, l’agression russe en Ukraine alors que le Mali et le Sénégal ont eux choisi l’abstention. D’autant que le réseau culturel français au Nigeria est excellent. Les 10 Alliances Françaises et l’Institut français à Lagos sont les premières briques d’une diplomatie d’influence qui, selon le Sénat, aurait tout intérêt à se renforcer. D’autres recommandations sont énumérées dans un récent rapport : « jouer pleinement le jeu de linfluence pour contrer les compétiteurs stratégiques de la France dans le Golfe de Guinée et ainsi éviter une évolution semblable à celle du Sahel ; assumer une diplomatie dinfluence et une mobilisation des technologies de communication et des réseaux sociaux à un niveau suffisant pour lutter efficacement contre les actions de désinformation et de déstabilisation menées par les compétiteurs stratégiques de la France dans la région ; tenir un discours positif sur la poursuite de nos intéts partagés et proposer des partenariats attractifs, en particulier à destination de la jeunesse ».8« On ne se bat pas avec les mêmes armes que nos compétiteurs stratégiques qui, eux, font de la désinformation. La France a investi le champ informationnel très tard. En matière de désinformation, il est vital de ne pas tomber dans le piège de l’absence de réponse. Nous pensions à tort que répondre à une attaque de désinformation revenait à donner du crédit à cette dernière. Or, la France doit être offensive dans sa défense. Aujourdhui, nous sommes trop vulnérables. Nous devons mener des actions pour démentir et prouver notre bonne foi. La présence, c’est linfluence » dévoile Djenabou Cissé, et d’ajouter : « La France doit apprendre à investir les bons canaux. Les tribunes dans la presse nationale française dans lesquelles nous nous insurgeons des campagnes de désinformation russe ne sont lues, sur place, que par des élites. Si lon veut toucher les populations et la jeunesse, il est nécessaire de mener des campagnes dinfluence sur les réseaux utilisés : Facebook, Whatsapp, Telegram en particulier ». La France dispose de nouveaux partenariats potentiels et d’un tissu culturel important, pour continuer à protéger ses intéts sur un terrain fortement miné…

1 https://www.meretmarine.com/fr/marine-marchande/la-piraterie-dans-le-golfe-de-guinee-n-a-pas-disparu-alerte-un-rapport-pour-la

2 https://www.lefigaro.fr/international/golfe-de-guinee-peche-illegale-et-trafics-au-coeur-de-la-cooperation-maritime-20230303

3 Rapport d’information, “Quelle stratégie française dans le Golfe de Guinée ?”, Sénat, 2023

4 Rapport “Sureté des espaces maritimes 2022”, MICA Center

5 https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230218-togo-de-plus-en-plus-de-d%C3%A9plac%C3%A9s-face-%C3%A0-la-menace-terroriste-dans-la-r%C3%A9gion-des-savanes

6 Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations franco-camerounaises, à Yaoundé le 26 juillet 2022

7 https://bit.ly/3nyrvFJ

8 Rapport d’information “Quelle stratégie française dans le golfe de Guinée ?”, mars 2023