Au coeur des « cults » nigérianes

Un incendie dans les quartiers nord de Marseille en 2020 aura mis en lumière l’étendue de la criminalité originaire du Nigeria dans la cité phocéenne. Progressivement identifiées depuis la fin des années 2000 en Italie puis en France, les cults se sont depuis implantés sur tous les continents. Entre trafic d’êtres humains, occupations illégales de bâtiments et agressions à la machette, le cultisme se renforce et continue de sévir au grand dam des services de police qui peinent à en réfréner la violence.

PAR ALEXIS PAPIN

Aux origines de la « Nigerian Connexion »

Née sur le sol nigérian, la criminalité organisée a fait de certaines régions du pays de véritables zones de non-droit où les cults ont acquis un pouvoir sans pareil. Historiquement, ces groupes prennent leurs racines dans les années 1950 et 1960 pendant lesquelles de premières confréries étudiantes émergent dans le sud du Nigeria, au coeur de la région d’Edo. Luttant pour l’accession à la justice sociale et le respect des droits de l’Homme, ces groupements non violents ont rapidement dérivé vers de nouvelles activités. Un constat d’échec qui désole aujourd’hui Wole Soyinka, lauréat du prix nobel de littérature en 1986, l’un des membres fondateurs du premier groupement cult : les « Pyrates ». « Nous avons perdu nos valeurs morales » explique l’ancien cultiste, regrettant les dérives issues de sa création.1 Dans les années 1970 déjà apparait la faction des Black Axe, aujourd’hui implantée dans le monde. Née au sein de l’université de Benin City, la « confraternité de la hache noire » a rapidement fait de la ville une véritable « Mecque des cults » expliquaient Joan Tilouine et Celia Lebur, auteurs de Mafia Africa, une enquête sur lapiste de ces groupes.2 Alors que le cultisme prolifère, les membres de la diaspora tentent de jouer le jeu de la médiation avec la jeune génération, sans succès. L’an dernier Interpol organisait l’opération JACKAL, mobilisant 14 pays sur 4 continents contre le réseau financier criminel de la Black Axe et d’autres organisations criminelles affiliées pour une prise totale d’1,2 million d’euros et de près de 12 000 cartes SIM.3

Entre criminalité et spiritualité

Plus que ses origines, la spécificité des cults réside dans leurs rites. Ce lien à la spiritualité caractéristique n’empêche pas une large divergence dans les croyances qui divisent voire opposent les bandes rivales. Certaines s’appuient sur l’héritage de l’ancien royaume de Benin City quand d’autres revendiquent un héritage issu des vikings et leurs traditions. Aujourd’hui, les nombreuses ramifications font que le cultisme a d’innombrables représentants : Eiye, Maphites, Jurists, Vikings… qui disposent de rites propres, issus de traditions ancestrales précoloniales. Les processus d’initiation ultra violents entraînent la mort de nombreux des prétendants pour intégrer ces organisations. Les rites sacrificiels sont également légion et plongent certaines régions du Nigeria dans la peur, alors que les populations civiles sont des cibles potentielles pour les divers gangs comme dans l’Etat de Lagos. Les enlèvements ont lieu sur comme en dehors des campus. Face à ce phénomène, dès 2004 une première loi interdisait l’action de près de 100 de ces organisations. En 2022, Abuja amendait une loi sur la prévention et la lutte contre les enlèvements prévoyant un renforcement des peines pour les ravisseurs et les complices, mais fixant également l’interdiction de paiement des rançons sous peine de 15 ans d’emprisonnement.4 Un travail législatif croissant mais pour autant inefficace, tandis que le pays continue de lutter contre cette criminalité organisée en même temps qu’il affronte le djihadisme porté par Boko Haram.

Des groupes appuyés sur la diaspora

Si l’ensemble des cultistes s’étendent désormais sur tous les continents, c’est bien parce qu’ils s’appuient sur les routes migratoires qu’empruntent les ressortissants nigérians, fuyant les violences à la recherche d’une vie meilleure, condamnés à être confrontés aux gangs qui gangrènent la vie de leur pays d’origine. « Les groupes criminels nigérians sont d’une extrême brutalité, notamment envers leurs propres compatriotes, d’autant plus concernant les femmes qu’ils n’hésitent pas à prostituter » indique Xavier Raufer, criminologue. Le long de la dangereuse route qui mène à l’Europe, les cults contrôlent des pans entiers de l’activité criminelle autour des points de passage clés. Présents en Tripolitaine et Sicile, les groupes voient leurs rangs gonflés par ceux dont les espoirs ont été déçus sur la route. La diaspora sert de base pour étendre leur influence alors que chaque cult développe ses propres succursales sur les terres d’accueil des ressortissants. Déjà bien implantés en France, en Italie, en Autriche, en Slovénie et aux Pays-Bas, cette criminalité organisée se répand petit à petit dans d’autres pays. En 2022, la police suisse notait la présence d’un groupe affilié aux Black Axe à Zurich. Malgré le secret autour de l’action des cults, les confraternités s’appuient sur des associations de charité à l’image du Norsemen Club Incorporated pour les Vikings, la Greeen Circuit Association des Maphites ou encore le Neo Black Movement of Africa qui, selon les autorités canadiennes et américaines, n’est en rien différente de la Black Axe à laquelle elle est liée.

Extrême violence difficile à réfréner

À la frontière entre la secte et la société criminelle, les cults reposent sur une stricte hiérarchisation. Pour les Eiye, l’Ibaka supervise toutes les activités extérieures tout en incarnant le chef spirituel. Les Black Axe et les Maphites reposent sur des conseils suprêmes qui dirigent des conseils zonaux, attitrés par régions. Construites comme de véritables organisations transnationales, la loi du silence règne au sein des cults. Cette stratification et la confidentialité expliquent la résilience de chacun des groupes qui gagne en influence dans divers domaines d’activités criminelles, particulièrement actifs dans les trafics humains et le proxénétisme. Parfois, les cultists se mêlent à d’autres organisations criminelles comme en Sicile où la mafia locale accepte la présence de cults qui y acheminent la cocaïne. « Quiconque tient tête à la mafia en Sicile meurt. L’activité des criminels nigérians en Italie ne s’explique pas par un choix mais par le fait qu’ils soient contraints d’obéir en payant l’impôt et en acceptant de ne pas porter d’armes à feu. C’est aussi ce qui explique le fait que les massacres à la machette soient légion entre ces gangs. » ajoute Xavier Raufer. Lutter contre cette forme de criminalité appelle à réfléchir sur les capacités de prévention de nos appareils policiers. « En France, il n’existe pas au sein du ministère de l’Intérieur de cellule dédiée aux phénomènes criminels nouveaux, pourtant nécessaire. L’exemple des gangs nigérians montre bien que les capacités préventives sont à développer sans quoi des groupes similaires viendront s’installer, en suivant par exemple les routes du trafic d’armes, conséquence de la guerre en Ukraine. » conclut le criminologue.

1 « L’histoire des cults, les gangs nigérians aux croyances occultes », Brut, 25 mars 2023.

2 « Mafia Africa, sur la piste des « Cults » Nigérians », France Culture, 18 mars 2023.

3 « Coup de filet international contre des réseaux criminels financiers d’Afrique de l’Ouest », Site institutionnel d’Interpol, 14 octobre 2022.

4 Onireti Ayoade, « Why Nigerian kidnap law banning families from paying ransoms may do more harm than good », The Conversation, 14 septembre 2022.