Des outils de surveillance augmentés mais encadrés

Le 12 juin 2023, le Sénat a adopté la proposition de loi relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public. Objectif de ce texte : combler le vide juridique pesant sur le développement de ces nouvelles technologies, pour faciliter des expérimentations respectueuses des libertés individuelles et collectives. Un texte qui relance le débat sur la reconnaissance faciale, alors que le gouvernement avait interdit son utilisation dans le cadre des expérimentations de surveillance intelligente prévues à l’occasion des Jeux Olympiques de 2024.

Des usages encore embryonnaires

« En France, les usages pérennes sont limités et principalement le fait des pouvoirs publics, hormis certains usages d’authentification avec consentement déjà déployés par exemple pour déverrouiller les téléphones portables ou ouvrir un compte bancaire à distance. »1soulignait en mai 2023 le rapport de la Mission d’information sur la reconnaissance faciale et ses risques. Depuis l’entrée en vigueur du règlement général de protection des données (RGPD) en 2018, la CNIL n’autorise plus a priori la mise en place de traitements de données biométriques et n’intervient plus qu’a posteriori, à l’occasion de signalements notamment, pour les acteurs privés. « Il est par conséquent difficile d’avoir une vision exhaustive des utilisations commerciales en cours » concluent les auteurs du rapport.

Certains usages sont néanmoins déjà réalisés par les services publics, avec ou sans le consentement des personnes : Fichier du « Traitement des antécédents judiciaires » (TAJ), Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), système « PARAFE » (passage rapide aux frontières extérieures)… Des expérimentations sont également menées par le SGDSN, les collectivités territoriales ou encore Aéroports de Paris… Les pouvoirs publics ont en revanche opposé leur véto à l’utilisation de l’identification en temps réel par reconnaissance faciale dans l’espace public à l’occasion des Jeux Olympiques comme cela avait été un temps évoqué.

Trouver l’équilibre entre sécurité et liberté

Regrettant l’absence de cadre juridique dédié et soucieux de prévenir le glissement vers une société de surveillance, les rapporteurs de la Mission d’information ont émis 30 recommandations sur la reconnaissance biométrique dans l’espace public. Il s’agissait de réguler les pratiques, encadrer les usages, et prévenir les déploiements hasardeux de ces technologies jugées intrusives. Le rapport préconisait d’abord de définir un cadre intégrant des lignes rouges, une méthodologie et un régime de redevabilité. Ensuite de déterminer les modalités d’utilisation en fonction de cas d’usages précis. Enfin, de mettre ces technologies au service du renforcement de la souveraineté technologique française et européenne.

Les auteurs prônaient une utilisation de la reconnaissance faciale guidée par trois grands principes : la subsidiarité, c’est-à-dire qu’elle ne soit utilisée que lorsqu’elle est vraiment nécessaire, un contrôle humain systématique, pour qu’elle ne soit utilisée que comme une aide à la décision, et la transparence, donc une utilisation en toute connaissance de cause pour les personnes concernées. La proposition de loi déposée par les Sénateurs Daubresse et Benelet le 5 avril 2023 se veut ainsi la traduction juridique de ce rapport. Tout l’enjeu est de trouver le point d’équilibre entre la protection des libertés et le renforcement de la sécurité. « A lapproche des Jeux Olympiques, et dans un contexte de violence quotidienne, la question est de savoir si les forces de lordre disposent des outils nécessaires pour prévenir une attaque terroriste avec un dispositif tel quil est prévu actuellement, notamment lors de la cérémonie d’ouverture. » confiait le sénateur Marc-Philippe Daubresse qui a porté cette proposition de loi, à S&D Magazine de poursuivre « Aujourdhui, lauthentification en temps réel nest autorisée que sur réquisition de lautorité judiciaire ou des services de renseignement. Les images issues des caméras de vidéo protection ne sont accessibles aux forces de police qu’a posteriori. Le texte déposé en avril propose de lautoriser également dans le cadre d’événements exceptionnels dans lesquels le risque terroriste est patent. Cela nous permet de répondre au principe constitutionnel de proportionnalité : le dispositif doit être proportionné au risque encouru ».

De nombreux garde fous

Ces nouvelles technologies posent cependant des risques en termes de protection des libertés individuelles. Pour y pallier, les auteurs de la proposition de loi ont strictement encadré les modalités et le champs d’application des expérimentions. Celles-ci se voient d’abord limitées dans leur périmètre : interdiction de catégoriser ou noter des personnes physiques à partir de leurs données biométriques, interdiction de l’identification biométrique à distance, en temps réel, ou a posteriori et obligation de recueillir le consentement des personnes concernées. De même, les cas d’usage sont strictement encadrés. Le texte autorise l’expérimentation de l’usage de la reconnaissance faciale dans l’espace public dans des cas justifiés par un« intét public supérieur. » Les limites s’imposent également dans la durée, puisqu’elles sont prévues sur trois ans « avec évaluation par chaque assemblée et remise dun rapport tous les ans. Dans 3 ans, nous déciderons de pérenniser tout ou partie du dispositif, ou dy mettre fin. »précise le sénateur Daubresse.

Le traitement des données collectées fait aussi l’objet d’un contrôle strict. Il sera réalisé exclusivement par l’État ou sous son contrôle par des agents habilités et aucune interconnexion ou mise en relation automatisée avec d’autres données personnelles ne sera autorisée. « Pour garantir ce dispositif, nous avons aussi renforcé le rôle de gendarme de la CNIL. » précise Marc-Philippe Daubresse. Il faut à la fois éviter que l’image puisse circuler ailleurs, garantir qu’elle soit détruite après comparaison avec une personne recherchée, et surtout « que les algorithmes soient contrôlés et configurés pour le faire, et quun tiers indépendant vérifie bien que les algorithmes font bien ce quils nous promettent. » insiste le sénateur, et de poursuivre : « c’est donc la CNIL qui en sera chargée, plutôt quune nouvelle autorité dédiée. »

Enfin le texte proposela mise en place d’un comité éthique, « pour se préparer aux futures évolutions technologiques. Il comprendrait des scientifiques et universitaires choisis pour leur expertise et indépendants des pouvoirs exécutifs et législatifs, pour garantir et prévenir certaines dérives. » explique le co-rapporteur de la proposition de loi.

1 La reconnaissance biométrique dans l’espace public : 30 propositions pour écarter le risque d’une société de surveillance – Sénat (senat.fr)