La DNRED, une institution historique en pleine transformation

Héritière d’une longue tradition de renseignement douanier, la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) est une institution historique à l’identité forte, aujourd’hui en pleine transformation. Challengée quotidiennement par une criminalité toujours plus imaginative, elle se modernise pour faire face à des menaces de plus en plus sophistiquées et à un environnement technologique en rapide évolution. 

Rencontre avec Florian Colas, Directeur de la DNRED 

Propos recueillis par Amélie Rives 

Des missions historiques pour des défis bien actuels 

La France présente un modèle douanier « fort », qui combine les activités traditionnelles de contrôle des marchandises et du passage des frontières avec des capacités d’investigations poussées. A la fois service spécialisé de renseignement et service douanier à compétence nationale, la DNRED est un acteur central de lutte contre les trafics frauduleux et les criminalités organisées. 

L’Europe est aujourd’hui au cœur du développement des grands réseaux de fraude et de criminalité. Pour éviter que le continent, et la France en particulier, ne deviennent une plateforme poreuse à ces trafics, nous devons nous assurer qu’ils demeurent des territoires « à risques » pour les trafiquants. La lutte contre le trafic de stupéfiants représente près de la moitié de nos activités. Aujourd’hui, nos efforts portent notamment sur la détection des compromissions et complicités dans les grandes plateformes logistiques : les emprises portuaires et aéroportuaires nationales et internationales. En 2022, 48 des 125 tonnes de stupéfiants saisies par la douane française sur le territoire français et à l’étranger l’ont été grâce à l’action de renseignement de la DNRED. Priorité au niveau interministériel, la lutte contre la contrebande et le commerce illicite de tabacs s’incarne, elle, dans une politique ambitieuse qui a porté ses fruits : 649 tonnes de tabacs de contrebande ont pu être saisis en 2022 par la douane française, dont 381 tonnes grâce à l’action de renseignement de la DNRED en France et à l’étranger. La lutte contre le trafic d’armes fait également l’objet d’une attention particulière, tout l’enjeu étant d’éviter qu’il n’alimente d’autres trafics, la criminalité et plus largement la violence. En 2022, nous avons contribué à 648 des 1135 saisies douanières. Nous avons aussi multiplié nos actions dans la lutte contre les contrefaçons, les trafics de bien culturels ou encore le blanchiment d’argent et les fraudes financières. 

2023 a aussi ouvert un nouveau chapitre en matière de lutte contre la grande fraude fiscale. Ce phénomène a pris une ampleur sans précédent ces dernières années et constitue à la fois un enjeu de justice sociale, de maîtrise des comptes publics et de confiance en l’action de l’Etat. Pour renforcer nos moyens de détection et de prévention, le ministre chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, a annoncé en mai 2023 la création d’un service dédié au renseignement fiscal au sein de la DNRED, qui devra être opérationnel en 2025. Il ciblera en particulier la dissimulation d’avoirs dans les paradis fiscaux et les entités opaques comme les trusts, le recours à des cabinets de défiscalisation et l’optimisation abusive des grandes multinationales. 

La DNRED joue également un rôle de premier plan dans la mise en œuvre des sanctions commerciales et financières prises à l’égard de certains Etats. Depuis 2022, nous sommes pleinement mobilisés pour identifier et signaler les entités concernées par les sanctions européennes contre la Russie sur le territoire français, mais aussi pour lutter contre les contournements ou tentatives de contournement de ces mesures. A ce titre, et dans le cadre de la collaboration avec la Direction générale du Trésor, Tracfin et la Direction générale des Finances publiques, la DNRED a ouvert des enquêtes pour mettre en œuvre ces sanctions. 6 yachts, 7 hélicoptères et 4 œuvres d’art ont notamment été gelés par les services douaniers français. La valeur des moyens de transport immobilisés est estimée à 215 millions d’euros. 

Sadapter à un environnement technologique en pleine mutation 

Nous opérons dans un environnement technologique en constante et rapide évolution, particulièrement en matière de numérique, et nos adversaires savent de mieux en mieux exploiter et tirer profit de ces nouvelles technologies. Au point que certains outils traditionnellement réservés aux acteurs régaliens leurs sont désormais accessibles. 

Pour faire face à ces menaces qui se sophistiquent, nous avons créé, en janvier 2022, une Direction Technique. Elle est, entre autres, chargée de la transformation numérique de l’organisation, notamment pour répondre aux nouveaux enjeux de cybersécurité et de valorisation de la donnée et pour accompagner le développement de technologies au service de la collecte de renseignement. 

Nous menons déjà des expérimentations sur certaines technologies innovantes, notamment en matière d’exploitation de données accessibles en sources ouvertes. Dans le cadre de la détection de trafic de tabac sur Internet, l’unité Cyberdouane expérimente ainsi une application de webscrapping. Cette démarche fait écho au Plan Tabac, qui vise à adapter la riposte douanière à l’ampleur inédite prise par le marché parallèle du tabac. Nous étudions aussi l’extension du webscrapping à d’autres marchandises de fraude, comme les stupéfiants. 

En parallèle, le projet de loi « douanes », porté par notre ministre, Gabriel Attal, en discussion au Parlement, vise à moderniser notre cadre d’action et à l’adapter à ce nouvel environnement numérique. Il fera notamment évoluer les pouvoirs d’investigation de nos agents pour permettre une meilleure saisie et une exploitation plus efficace des preuves numériques. Le texte prend aussi en compte l’émergence de nouvelles techniques de blanchiment au moyen de crypto-actifs et réforme le dispositif de lutte dédié. De nouvelles responsabilités nous sont confiées : prévenir et bloquer la diffusion de contenus illicites. 

Coopérations internationales et dynamiques européennes 

Nos missions étant par nature souvent transnationales, nos actions s’inscrivent dans un cadre de coopération internationale très développé, notamment avec les Etats-Unis et l’Allemagne, disposant de modèles douaniers assez proches du nôtre. Nous coopérons activement avec eux, tout particulièrement sur les problématiques de stupéfiants, d’armes et de sanctions internationales. 

Pour relever ces défis transnationaux, pour contrôler les flux entrants et éviter que les biens frauduleusement importés ne circulent librement au sein de l’Union, nous devons faciliter l’échange et le partage de données entre administrations des Etats-membres. Au niveau communautaire, nous pouvons compter sur Europol pour la lutte contre la criminalité, sur l’OLAF pour la lutte contre la fraude ou encore sur le Parquet européen pour les infractions qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union. La prochaine étape devra être la création d’une agence européenne des douanes, projet sur lequel la France est particulièrement motrice, sous l’impulsion de notre directrice générale, Isabelle Braun-Lemaire. 

A l’heure du retour des compétitions de puissances, nos missions participent aussi des efforts du gouvernement pour protéger notre économie et notre tissu industriel. Elles constituent une partie de la réponse aux stratégies de prédation de certains de nos compétiteurs, qui n’hésitent pas à actionner des leviers comme le contrôle des exportations pour la recherche d’avantages économiques.