UE-Inde :  un nécessaire approfondissement des relations

Le rapport entre l’Union européenne et l’Inde fait figure de priorité affichée par chacune des deux parties qui  tiennent toujours à rappeler le rapprochement naturel entre les « deux plus grandes démocraties du monde ».  Malgré les dissonances qui rythment parfois la relation, Bruxelles et New Delhi se montrent déterminés à passer un nouveau cap.  

Par Théo Lhen-Tallieu  

Une relation économique historique cultivée  

Dès ses premiers pas, le projet européen et ses dirigeants ont orienté leur regard vers l’Asie, plus particulièrement le sous-continent indien. En 1962, les six membres fondateurs établissent les premiers contacts avec New Delhi. Le premier accord de coopération commerciale signé en 1981 inscrit la relation dans le long-terme. En 1994, la communauté européenne, devenue UE, et l’Inde, signent un accord élargi qui constitue aujourd’hui encore le document de référence fixant le cadre juridique qui régit les échanges. Les sommets annuels Inde-UE depuis 2004 le confirment, ce partenariat historique tient aujourd’hui une place décisive pour chacune des parties qui tirent un intérêt certain à l’approfondissement de la relation. Après une hausse de près de 70% des échanges commerciaux entre 2009 et 2019, en 2021, l’UE était le troisième partenaire commercial de l’Inde.1 Il s’agit toujours d’un marché prisé pour les exportations de biens européens, qui atteignaient près de 50 milliards de dollars l’an dernier.2 

L’épineux dossier russe  

Outre ce rapprochement inédit dans le domaine économique, certains dossiers politiques sèment la discorde à l’image du conflit russo-ukrainien. Après avoir fait le choix de ne pas condamner le Kremlin pour son invasion de l’Ukraine, le Premier ministre Narendra Modi a permis à la Russie de trouver des débouchés économiques majeurs, limitant ainsi les sanctions économiques poussées par les instances européennes. Une situation dont profite la Russie qui octroie des avantages pour adresser le marché indien avec un baril de brut de l’Oural vendu à 35 dollars par baril, moitié moins cher que le baril de brent, référence européenne.3 Si certains observateurs soulignent un opportunisme indien, caché sous les traits de la neutralité, les dirigeants européens continuent d’établir un peu plus la coopération. Ursula von der Leyen insistait l’an dernier sur le partage de valeurs communes unissant l’Inde et l’Union avant de déclarer la création d’un conseil de commerce et de la technologie, le second de l’UE après celui avec les Etats-Unis.  

Éviter la dépendance à la Chine : un objectif commun  

Après avoir été longtemps second derrière la Chine, l’Inde est finalement devenu le pays le plus peuplé du monde. Une situation démographique qui contraint le pays à l’action pour constituer, comme le veulent les ambitions de New Delhi, le premier pôle manufacturier mondial. Pour cela il lui faudra dépasser la Chine, qui en plus d’incarner le principal concurrent asiatique, affronte l’Inde sur des dossiers territoriaux à l’image de l’Himalaya ou encore de la rivalité d’influence dans l’océan Indien. Cette opposition constitue l’occasion directe d’une coopération accrue entre Bruxelles et New Delhi, qui sont revenues à la table des négociations  en juin 2022 pour boucler un nouvel accord commercial dans l’objectif de réduire leur dépendance à la Chine, alors que 20% du commerce extérieur de l’Inde dépend encore de ses échanges avec Pékin. Suivant cette dynamique, les discussions sur un possible accord de libre-échange s’accélèrent, après plusieurs tentatives avortées en 2013, 2018 et 2021. En visite à New Delhi en février dernier, le chancelier Olaf Scholz tentait d’accélérer la conclusion de cet accord, tandis que les espoirs les plus optimistes attendent sa signature courant 2023.  

Coopération sécuritaire accrue  

Tandis que New Delhi accélère la rénovation de son matériel de sécurité, les partenaires européens se manifestent pour bénéficier d’un riche marché en plein boom. « Le budget du ministère de l’Intérieur indien augmente chaque année, les investissements sont visibles pour l’achat d’équipements – véhicules, caméras piétons… – et d’infrastructures avec la construction de nouveaux bâtiments pour les services de police, et la création récente de 15 cyber police stations à New Delhi par exemple. Dans tous ces domaines, les entreprises européennes alliées avec les forces de sécurité intérieures par des partenariats public-privé disposent souvent de plusieurs atouts majeurs : l’antériorité, l’expérience et une véritable connaissance de terrain. » précise Fabrice Cotelle, Attaché régional de Sécurité Intérieure de la France en Inde. Dans le dernier rapport du SIPRI publié en mars 2023, l’Inde figure en tête des importateurs mondiaux en matière d’armement. En dépit du grand programme « Make in India » porté par le Premier ministre Modi, destiné à rendre le pays autosuffisant, une forte dépendance subsiste concernant le matériel militaire. La France, second partenaire commercial pour les achats d’équipements de défense et de sécurité derrière la Russie, s’affirme comme l’acteur européen principal sur ces questions. De véritables opportunités de coopération s’affirment dans un contexte propice à l’implantation de nouveaux acteurs. La présidence indienne du G20, portant les sujets de la lutte contre la corruption et l’appréhension des menaces cyber, ou encore la tenue du premier salon Milipol India en octobre rythmeront l’année de temps forts. « Pour cette première édition, nous attendons près de 150 exposants avec des pavillons internationaux français, américains et israéliens, mais aussi des groupes internationaux tels Axon et Motorola et des sociétés leader indiennes comme Clear trail, SMPP, MKU, TATA, JSL, TVS, Vehere… » explique Anne Frayssinet, Directrice des évènements du pôle sécurité de Comexposium. « Parmi les invités présents, les chefs de police des différents Etats indiens et les chefs de service du ministère de l’Intérieur local, tout comme la fédération indienne des drones et autres dirigeants de société. La coopération internationale sera un sujet phare, avec notamment une session menée par Interpol. Une édition qui permettra d’aborder les enjeux en matière de cybercriminalité ou la menace drones, mais aussi les besoins spécifiques identifiés par New Delhi avec notamment la lutte contre les infractions commises en ligne à l’encontre des enfants ou la place des femmes dans la police. » ajoute-t-elle.  « Les entreprises françaises doivent oser et croire au projet indien. Elles doivent pour cela s’affranchir des appréhensions bureaucratiques, qui collent à l’image de l’administration locale. Les difficultés administratives ne représentent jamais un blocage définitif aux affaires quand la volonté de travailler ensemble est forte. » précise Fabrice Cotelle. 

Objectif 2025 

Lancée en 2020, la feuille de route 2025 du partenariat stratégique Inde-UE prévoit l’élargissement de la coopération à de nouveaux horizons, de la coopération de sécurité à la transition écologique. Le premier Conseil du commerce UE-Inde en mai a permis d’avancer sur certains dossiers clés avec le lancement de projets majeurs dans le domaine de la coopération de recherche sur l’informatique quantique, les usages de l’intelligence artificielle mais également les deux parties se sont engagées à promouvoir les échanges de talents dans le domaine du numérique pour combler les déficits. Aussi, alors que l’UE ambitionne de parvenir à la neutralité carbone en 2050 et l’Inde en 2070, les deux partenaires se sont engagés à coopérer via la stimulation des échanges entre start-up sur la transformation des déchets en hydrogène ou encore le recyclage des batteries de voitures électriques. La prochaine réunion ministérielle du Conseil de commerce est prévue pour début 2024 en Inde. Certaines limites resteront tout de même à dépasser pour atteindre les ambitions portées par l’approfondissement du partenariat. Parmi les points de tensions, la taxe d’ajustement carbone aux frontières de l’UE qui entrera en vigueur en 2026 touchera directement les importations en provenance d’Inde. New Delhi dénonce toujours ces coûts supplémentaires comme des pratiques commerciales déloyales.4 En matière de coopération numérique également, l’UE émet encore des réserves après analyse du dernier projet de loi de protection des données indien daté de novembre 2022, accordant au gouvernement, via son ministère de l’Electronique un contrôle relatif des données en cas de transfert à l’étranger. Difficile dès lors de trouver un terrain d’entente, l’UE souhaitant qu’une autorité indépendante soit créée dans la droite ligne de la posture prônée par le RGPD.5