Haut-Karabagh : un conflit dans l’impasse ? 

En 2020, après 44 jours de combats intenses et meurtriers, l’Azerbaïdjan déclare avoir repris le contrôle sur 70 % de la région du Haut-Karabagh. Depuis, le conflit s’est enlisé, l’Azerbaïdjan souhaitant mettre la main sur les 30 % restants de la région, l’Arménie de son côté bien décidée à défendre la région autonome. Depuis le cessez-le-feu signé sous égide russe en novembre 2020, les affrontements n’ont pas cessé. Localisés à la frontière, ils se sont transformés en escalade militaire en septembre 2022. Bilan : 300 morts supplémentaires venant s’ajouter aux 8 000 personnes ayant perdu la vie en 2020.1 Retour sur un conflit oublié et une catastrophe humanitaire qui se déroulent, une fois de plus, aux portes de l’Europe.  

Par Camille Léveillé 

Le Haut-Karabagh isolé 

Le 12 décembre dernier, Ilham Aliev, le dirigeant autoritaire azerbaïdjanais a franchi un nouveau pas. Déclarant un blocus sur la seule route reliant le Haut-Karabagh à l’Arménie, l’Azerbaïdjan a coupé plus de 120 000 personnes du reste du monde, les privant de nourriture et de médicaments. En juin dernier, mêmes les véhicules de la Croix-Rouge et ceux du contingent russe présents sur place n’étaient plus autorisés à exfiltrer les malades nécessitant des soins urgents ni à ravitailler la population en nourriture. Le décision du dirigeant azerbaïdjanais semble faire l’unanimité au sein de sa population. « Disons que le choix d’Ilham Aliev était aligné avec la volonté de la population, il y avait un vrai consensus. Pendant trente ans, la voie de la résolution pacifique n’a rien donné, plus personne n’y croyait. »2 confesse Khadidja Ismayilova, une journaliste indépendante dans les colonnes du Figaro. Renforçant ainsi sa position, cette guerre est pour lui le moyen d’asseoir sa puissance militaire et de réussir là où son père a échoué. Le budget militaire azéri ne cesse de croître et, Ilham Aliev devrait allouer 10 milliards d’euros pour la reconstruction de la région autonome.3 Pour l’Arménie, l’objectif de Bakou est de mener une opération d’épuration ethnique en contraignant tous les Arméniens de la zone à fuir pour reprendre le contrôle de ce territoire tant disputé. Et, l’Arménie n’est aidée par aucun Etat. Si officiellement Bakou ne reconnaît pas le blocus de la zone et considère que la « réintégration » de la dernière partie du Haut-Karabagh comme une priorité relevant de la  « souveraineté territoriale », la Cour Internationale de Justice n’est pas de cet avis et a publié plusieurs injonctions visant à lever ce blocus.  

Une situation humanitaire dégradée  

 
Pour les 120 000 Arméniens vivant dans la région séparatiste aujourd’hui coupée du monde, le quotidien est rude. Les Azerbaïdjanais ont coupé la seule ligne électrique à haute tension entre l’Arménie et le Haut-Karabagh. Depuis, les coupures de courant sont régulières et durent jusqu’à plusieurs heures. « Les premiers jours du blocus, tout a été vendu très rapidement, rapporte Shmavon Adamyan, propriétaire d’une épicerie à Stepanakert. Ensuite, le gouvernement a introduit le rationnement et les gens formaient d’énormes files d’attente pour obtenir une ou deux carottes pour nourrir leurs enfants. »4 Mais, depuis l’interdiction de circuler pour les convois alimentaires, la famine guette la population. « Une phase critique commence avec un fort risque de famine si la situation ne se débloque pas. Les habitants sont en état de survie alimentaire, or la faim déshumanise. Mais, la population essaye aujourd’hui de résister en faisant preuve de solidarité » soutient Hovhannès Guevorkian, Représentant du Haut-Karabagh en France et d’ajouter : « La solidarité existe encore et ce, malgré la faim. »  

Affrontement diplomatique de puissances  

Au-delà des implications militaires induites par ce conflit, le Haut-Karabagh est un laboratoire diplomatique où chaque Etat impliqué compte bien tirer son épingle du jeu. « Historiquement, la Russie a toujours protégé les Arméniens par une solidarité chrétienne. A la fin des années 2010, on voit que l’attitude russe est de plus en plus ambiguë. En raison du pétrole et du gaz azerbaïdjanais, Moscou a revu sa position et ne souhaite pas froisser Ilham Aliev. Son soutien à l’Arménie a donc faibli et Moscou ne prend plus vraiment partie et souhaite apaiser les tensions notamment au travers de son contingent qui a un mandat d’action jusqu’en 2025. Les Arméniens, eux, ont très mal vécu la tiédeur russe alors même que les Turcs eux ont toujours été sans ambiguïté du côté azéri et continuent à leur apporter un soutien indéfectible. Les Azéris se fournissent en armes, notamment en drones Bayraktar TB-2, auprès d’Ankara, et dès 2020, l’Etat major turc a fusionné avec l’Etat major azéri, démontrant des liens quasi fraternels qui unissent les deux Etats » explique David Gaüzère, Président du Centre d’Observation des Sociétés d’Asie Centrale (COSAC). Mais, une troisième voie diplomatique s’est ouverte, celle des Européens, avec en tête de file la France. Pour la première fois depuis six ans, la ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, s’est rendue, fin avril, à Bakou. Un symbole fort pour les officiels azerbaïdjanais puisque, idéologiquement, la France serait plus encline à soutenir l’Arménie. Nos liens historiques sont forts, la France accueille la plus grande diaspora arménienne d’Europe et le régime arménien est bien plus démocratique. L’objectif de cette visite ? « La France n’a qu’un objectif et n’a pas d’autre souhait que de contribuer à la paix et trouver le chemin de la paix », a déclaré la ministre en présence de son homologue. Il s’agit d’un processus « long et difficile mais il est possible de réussir » a-t-elle ajouté.5 Pourtant, même si ces paroles sont pleines de bonnes volontés, « elles ne seront pas suivies de moyens. La France manque cruellement de vision stratégique. Elle siège aux côtés de la Turquie à l’OTAN, ne souhaite pas froisser Ankara » dévoile David Gaüzère et de poursuivre : « Dans ce conflit, toutes les parties prenantes ont une vision très court-termiste. Les Russes et les Occidentaux sont partagés. Bakou courtise tous les Etats occidentaux pour développer des routes alternatives à la Russie pour des nouveaux oléoducs et gazoducs. L’Azerbaïdjan achète beaucoup d’équipements militaires et se ré-arme notamment auprès de la Turquie et d’Israël. Le problème est que la France ne porte plus de voix indépendante dans le camp occidental, ce qui est dommage. Ainsi, la France aurait pu non seulement défendre la cause arménienne mais elle aurait surtout pu développer de nouveaux marchés prometteurs notamment sur l’hydroélectricité ». « D’une part, Les Etats médiateurs doivent prendre conscience qu’ils engagent leur responsabilité devant la communauté internationale et qu’ils doivent à ce titre représenter des garanties. Ils ne peuvent – comme ils ont fait à l’issue de l’agression que nous avons subie en 2020 – se comporter en observateurs qui négocient pendant 25 ans pour simplement regretter qu’une partie – l’Azerbaïdjan – viole tous ses engagements pour se lancer dans une guerre d’agression. Ce semblant de processus de paix représente une pure perte de temps et, surtout, il anéantit les principes du Droit international et la crédibilité des Etats impliqués. D’autre part, il faut aligner la logique des négociations sur celle des droits fondamentaux des habitants du Haut-Karabagh qui constituent leur point d’achoppement.» ajoute le représentant du Haut-Karabagh en France.  

Quelle issue envisageable ?  

Pour Hovhannès Guevorkian, il n’existe que peu d’issues à ce conflit : « Le régime de Bakou considère que la paix définitive consiste à réaliser le nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabagh, c’est-à-dire au prix de leur mort ou de leur expulsion. Si rien n’est fait par la communauté internationale, nous nous dirigeons vers ce scénario qui constitue un crime contre l’Humanité. Pour notre part, nous sommes prêts à nous asseoir à la table des négociations pour amorcer un processus de paix avec l’Azerbaïdjan. Mais, nous devons avoir la certitude que l’accord que nous signerons sera respecté par ce dernier car celui de 2020 ne l’a pas été alors même que nous avons concédé 70 % de notre territoire suite à la guerre. Plus on attend, plus le Haut Karabagh se meurt. L’ONU doit faire le nécessaire pour que le nettoyage ethnique définitif n’ait pas lieu. » souligne-t-il. Pourtant, il y a quelques semaines, véritable coup de théâtre. Fin mai, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a annoncé vouloir reconnaître la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Karabagh. Si personne ne s’attendait à une telle annonce, elle ne signe pas la fin du conflit. « L’annonce du Premier ministre arménien vient ajouter une inconnue à un tableau géopolitique déjà complexe. » note David Gauzère et de conclure : « L’avenir du conflit au Haut-Karabagh est intimement lié à celui du conflit russo-ukrainien. Si les Russes résistent en Ukraine, ne remportent pas le conflit mais parviennent par un processus de paix à geler les positions, que la diplomatie reprend la main et qu’une fin des hostilités est proclamée, le statu quo prévaudra au Caucase et en Asie centrale et le mandat du contingent russe sera prolongé après 2025 dans le Haut-Karabakh. En revanche, si les Ukrainiens entament une logique de rouleau-compresseur militaire et battent l’armée russe, l’on peut raisonnablement penser que le pouvoir changera de main en Russie. Or, le nouveau gouvernement souhaitera en priorité consolider son assise en interne avant de s’adresser à ses zones d’influence. Dans ce cas, l’Azerbaïdjan serait seule et il n’y aurait plus de frein pour s’emparer, avec l’aide de la Turquie, de la partie autonome du Haut-Karabagh, chasser, voire génocider, les Arméniens restants et conquérir le Syunik, région arménienne entre l’Azerbaïdjan et l’enclave azérie du Nakhitchevan. Un nouveau couloir serait alors ouvert et l’Azerbaïdjan pourrait facilement étendre son territoire bénéficiant du manque de soutien militaire des alliés de l’Arménie. Cette variante est dans les plans du dirigeant azéri qui a déjà montré une détermination inébranlable, teintée de sadisme et de cruauté, lors du dernier conflit en 2020 ».