Nouvelles caméras-piétons : plus de sécurité, nouvelles inquiétudes 

Les nouvelles technologies offrent aujourd’hui aux forces de l’ordre des opportunités inédites. Parmi elles, la transmission d’images en direct issues de caméras piétons sont d’ores et déjà expérimentées. Si les premiers résultats terrain semblent positifs avec notamment une désescalade de la violence perceptible, il n’en demeure pas moins des inquiétudes chez certains acteurs notamment en faveur de la protection des libertés individuelles… 

Par Diane Cassain  

La technologie : un atout pour le policier 

Mi-avril, et pour une durée d’un mois, les équipes de Jean-Michel Weiss, directeur de la police municipale, de la sécurité et de la prévention de la ville de La Grande-Motte et secrétaire national de la FA-FPT Police municipale, ont pu tester 8 des nouvelles caméras piétons développées par Axis. Un investissement à hauteur de 13 000 euros pour disposer d’une toute nouvelle fonctionnalité : la transmission d’images en direct. Une première en France et une aubaine pour Jean-Michel Weiss et le maire de la commune qui voient dans ces caméras, une sécurité supplémentaire pour les agents. « Le système que nous avons testé permet de renforcer la sécurité des agents sur la voie publique. La sécurité de mes hommes m’importe beaucoup, tout équipement qui permettrait de la renforcer me semble indispensable » souligne le directeur de la police municipale. « La transmission d’images en temps réel permet également aux agents de terrain d’être plus sereins. Les images arrivent directement au CSU dès le déclenchement de la caméra. Aussi, si une situation s’envenime, l’opérateur présent au centre de supervision pourra déployer des renforts en urgence. Une autre fonctionnalité permet à l’opérateur d’accuser bonne réception des images transmises. Le policier de son côté, reçoit, via la caméra, une notification lui permettant de savoir que ses images ont été vues et qu’il est en sécurité dans le cadre de son intervention ou que les renforts arrivent rapidement » poursuit Dominique Gueguen, Sales Engineer chez Axis Communication. La caméra filme en résolution Full HD (2MP). La transmission en temps réel est d’une résolution inférieure (640×360), permettant d’optimiser la diffusion en direct au travers des réseaux. Quant à la vision nocturne ou infrarouge, le constructeur suédois a fait le choix de ne pas en équiper ses caméras. « Nous avons souhaité que la caméra filme ce qui est le plus proche possible de la réalité du policier municipal à un instant T. Si la caméra voit des choses que l’agent ne pouvait percevoir au moment de l’intervention, le jugement émis derrière serait biaisé. » souligne Dominique Gueguen. Enfin, les caméras sont dotées d’une mémoire tampon : lorsque le policier déclenche la caméra, cette dernière enregistre déjà depuis 30 secondes. « Cette possibilité est offerte mais ce n’est pas une obligation. On peut aussi paramétrer un enregistrement de chute. Si l’agent municipal est bousculé et projeté à terre, la caméra enregistrera automatiquement avec la possibilité de récupérer jusqu’à 30 secondes ou 1 minute avant et donc comprendre ce qu’il s’est passé avant, et quel a été l’enchaînement des faits » note Dominique Gueguen et d’ajouter : « En résumé, l’agent se sent mieux protégé en cas d’incident et le déclenchement de la caméra incite au bon respect de la procédure. Cela profite donc à tous : le policier comme le citoyen. » 

Un nouveau cadre réglementaire 

Dès 2016, une expérimentation visait à autoriser les polices municipales à s’équiper de caméras piétons. Deux ans plus tard, l’expérimentation prenait fin et la pratique était pérennisée. En 2020, le Président de la République a annoncé vouloir généraliser l’usage de ces caméras. En 2021, le ministre de l’Intérieur avait commandé 30 000 caméras piétons pour équiper les forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire. Si plusieurs constructeurs se partagent le marché, Motorola Solutions a remporté l’appel d’offre pour la Police nationale et la Gendarmerie. Aujourd’hui, de nombreuses polices municipales sont équipées par des constructeurs divers : Annecy, Perros-Guirec, Aubervilliers, Ouistreham, Le Havre ou encore Caen. En 2022, le législateur a franchi un nouveau cap : la publication du décret d’application de la Loi de Sécurité Globale autorisant désormais la transmission des images filmées par une caméra piéton en temps réel, lorsqu’« il existe un risque immédiat d’atteinte à l’intégrité »1 des forces de l’ordre. « Jusque là, le cadre réglementaire nous manquait pour pouvoir déployer cette solution alors même que nous avions la maturité technologique » explique Dominique Gueguen.  

Des données protégées 

Conscients du danger que peut représenter l’envoi de ces données sensibles en matière de cybersécurité, Axis crypte les enregistrements de bout-en-bout. « La transmission en direct vers le portail cloud est cryptée, tout comme le stockage des vidéos sur la caméra. L‘ensemble de la chaîne est concernée. me si la caméra venait à être volée, les données seraient illisibles. Nous utilisons un portail cloud qui permet de visualiser les images pendant 24 heures seulement, laissant le temps à l’agent de revenir à son poste et déposer la caméra. Le stockage est donc temporaire et dans le seul but de permettre de pouvoir relire la vidéo le temps que l’agent revienne au CSU. Les vidéos enregistrées sur le portail cloud sont également cybersécurisées grâce à un cryptage des données. Sans la clé permettant d’accéder au portail cloud, sur un navigateur autorisé préalablement, l’accès aux vidéos est impossible. Enfin, le déchargement de la vidéo de la caméra vers le logiciel d’exploitation vidéo (VMS) est également crypté. » détaille Dominique Gueguen.  

Un débat de longue date 

Pour autant, cette nouvelle possibilité offerte aux agents de polices municipales ne fait pas l’unanimité. La retransmission en direct des images d’une caméra piéton est parfois jugée liberticide ou perçue comme une mesure contribuant à une société d’hypersurveillance. « On s’approche d’une société de surveillance généralisée. C’est le mythe d’une société sécurisable sans aléa. » déplore Sophie Mazas, la Présidente de Ligue des droits de l’Homme dans l’Hérault2, et d’ajouter : « Ce n’est pas parce que l’outil est technologique qu’il est impartial. Le contexte et le facteur humain ne sont pas pris en compte et surtout on ne connaît pas le comportement du policier en amont du déclenchement de la vidéo ». 

« La loi, telle quelle est aujourd’hui en vigueur, est la résultante d’un point d’équilibre entre le travail des députés et un double contrôle, du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel. L’usage des technologies doit être un outil d’appui aux forces de sécurité, il est donc nécessaire d’avoir une analyse précise des cas d’usage dans lesquels ils peuvent être employés. Nous avons consulté l’ensemble des acteurs publics et privés pour trouver le meilleur équilibre entre la préservation des libertés et la protection des biens et des personnes. » explique Jean-Michel Mis, ancien député et rapporteur du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. 

Sur le terrain, le recours aux caméras semblent apaiser les tensions : à Rillieux-la-Pape, dans la banlieue lyonnaise, une baisse de 70 % des outrages à agents a été constatée.3 Des éléments confirmés par Jean-Michel Weiss « Les caméras permettent en effet une réelle désescalade de la tension. » et d’ajouter « nous recherchons également des outils d’une grande robustesse, simples d’utilisation et dont la qualité de l’image fera la différence. C’est ce qui a notamment été apprécié lors de notre expérimentation et va nous conduire à acquérir prochainement des caméras de retransmission en temps réel. » 

La loi relative aux Jeux Olympiques 2024 adoptée récemment, autorise le recours aux algorithmes pour le traitement des images enregistrées par des caméras ou des drones, capables de détecter en temps réel des évènements prédéterminés (mouvements de foules, un sac abandonné ou des comportements suspects)… « Je pense qu’il serait pertinent que les députés mènent une mission d’information sur les enjeux de protection liés à l’usage de ces technologies afin d’avoir un retour sur les premiers usages des technologies dans le cadre de la loi Sécurité Globale et de la loi sécurité intérieure. Ainsi, les parlementaires pourront ajuster le point d’équilibre si nécessaire. Ce mécanisme est dailleurs sensiblement celui prévu dans le cadre de la loi Olympique qui permettra de rendre compte devant le Parlement des expérimentations. » conclut Jean-Michel Mis.