Corée du Nord : vers un arsenal sécurisé

En mars dernier, la Corée du Nord a annoncé avoir réussi à miniaturiser une ogive nucléaire et à l’installer sur un missile à courte portée.1 Bien que non testée, cela signifie qu’elle a désormais la capacité technique de lancer des armes nucléaires sur des cibles en Corée du Sud et au Japon.2  

Par Jean-François Bélanger 

Ce développement intervient à la fin d’une période de changements importants des forces nucléaires de Pyongyang. Au cours des six dernières années, le régime a réussi à mettre au point une ogive thermonucléaire (toujours à confirmer), à lancer un missile balistique intercontinental (ICBM) capable d’atteindre les territoires américains en utilisant du combustible solide (ce qui permet de réduire les délais de réaction), et a démontré sa capacité à lancer des missiles à partir de lanceurs mobiles et de sous-marins, des techniques de lancement beaucoup plus difficiles à détecter que les lancements statiques à partir de silos. 

Depuis 2022, la Corée du Nord a testé plus de 100 missiles, dont certains au-dessus du Japon. Si bon nombre de ces essais ont eu lieu à la suite d’exercices militaires conjoints entre la Corée du Sud et les Etats-Unis, destinés à démontrer leur capacité à neutraliser le régime de Pyongyang si nécessaire, beaucoup d’autres ont été effectués dans le seul but de présenter les capacités techniques du pays et les progrès accomplis. 

Que signifie ce nouveau développement ? Kim Jong-Un est souvent dépeint comme un dirigeant irrationnel et, à ce titre, inapte à posséder l’arme nucléaire. C’est un élément important de la rhétorique de non-prolifération de Washington et de ses alliés. Pourtant, il y a quelque chose de profondément rationnel dans les démonstrations faites par le régime à ce jour. Bien qu’il utilise une tactique provocatrice et dépassée, celle de la guerre froide, la Corée du Nord envoie un signal clair : elle est désormais, ou du moins sur le point de devenir, un Etat nucléaire doté d’un arsenal sécurisé. En somme, elle signale sa capacité de dissuasion. 

Stratégie nucléaire et posture de dissuasion de la Corée du Nord 

Que signifient ces avancées technologiques pour la Corée du Nord ? En bref, la dissuasion nucléaire repose sur l’hypothèse de la survie. Les théoriciens et décideurs craignaient que les Etats disposant d’arsenaux plus importants ne soient tentés de frapper les premiers dans un conflit afin de désarmer un adversaire et d’assurer la victoire. Une capacité de seconde frappe, le simple fait de disposer d’armes nucléaires dans des endroits sûrs et difficiles à trouver, comme les sous-marins, augmente le coût d’une première frappe de façon exorbitante en raison de la capacité de représailles.3  

Le fait de disposer de capacités nucléaires sécurisées de cette manière rend la dissuasion nucléaire stable, car aucun pays n’est incité à utiliser ses armes en premier. Cela garantit une impasse. 

Pyongyang prend donc des mesures pour empêcher une frappe de désarmement en développant une capacité de seconde frappe avec leurs missiles lancés à partir de sous-marins. Le régime se méfie depuis longtemps d’une frappe des Etats-Unis qui détruirait ses installations nucléaires et son arsenal. Les discussions « bloody nose » menées sous l’administration Trump en réponse aux tirs de missiles nord-coréens mettent en évidence cette possibilité.  

Cela s’inscrit dans le processus de mise à jour de la doctrine nucléaire nord-coréenne pour y inclure de nombreux scénarios proactifs dans lesquels il envisagerait d’utiliser des armes nucléaires, la plupart d’entre eux étant conçus comme des moyens de sauvegarder l’arsenal nucléaire du pays. Le régime se réserve le droit d’utiliser des armes nucléaires si un adversaire planifie, ou pense planifier, une frappe nucléaire contre Pyongyang. Mais aussi en cas d’attaque par décapitation contre les dirigeants du régime, ou s’il planifie d’attaquer des objectifs jugés stratégiques par l’Etat. Plus important encore, il déclare que toute menace contre ses systèmes de commandement et de contrôle nucléaires fera l’objet de représailles nucléaires. Une position nettement plus agressive que la précédente, publiée en 2013, qui était davantage axée sur la dissuasion passive et ne mentionnait pas les frappes nucléaires préventives.  

L’avenir de la péninsule coréenne 

Doit-on s’inquiéter d’une possible escalade nucléaire due aux avancées technologiques en cas de nouvelle montée des tensions, comme celle que nous avons connue entre 2016 et 2018 ? Il y a toujours un risque, mais il peut être atténué. Il est peu probable que la Corée du Nord utilise des armes nucléaires, sauf pour mettre fin à une agression territoriale. Même dans ce cas, les dirigeants sont susceptibles de considérer cette option en balance avec la possibilité de fuir en Chine, par exemple, en cas d’attaque terrestre, malgré leur nouvelle doctrine nucléaire. 

Les véritables risques résident dans la période de transition vers un arsenal nucléaire entièrement sécurisé. Le Japon a déclaré qu’il abattrait les missiles qui survolent son territoire.4 Une erreur de calcul ou un accident pourrait provoquer une escalade. Il en va de même pour les tensions nées des exercices militaires conjoints entre la Corée du Sud et les Etats-Unis. 

La solution réside-t-elle dans de nouveaux efforts de dénucléarisation ? Non. La Corée du Nord a déclaré à plusieurs reprises qu’elle n’envisageait plus de discussions sur la dénucléarisation. Ces dernières années, de nombreux Etats qui avaient renoncé à leurs programmes nucléaires se sont heurtés à Washington. L’Irak et la Libye demeurent des cas omniprésents dans l’imaginaire du régime nord-coréen.  

Avec la miniaturisation d’une ogive nucléaire et l’essai de missiles venant d’un sous-marin, la Corée du Nord est proche de devenir un Etat avec un arsenal nucléaire sécurisé avec une capacité de seconde frappe. Il pourrait être utile de commencer à l’aborder en tant que tel et de la contraindre par le biais de l’architecture de contrôle des armements en place.