Mouvances extrémistes, théories du complot et démocratie

Alors que le procès “WaffenKraft”, lors duquel 4 individus accusés d’avoir préparé un attentat sur fond d’idéologie néonazie, vient de se clôturer, la montée en puissance globale des mouvements extrémistes inquiète.

Retour sur les menaces qu’ils représentent, les moyens de lutte mais aussi les théories qu’ils soutiennent avec Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, chercheur associé à l’IRIS et associé au programme E-liberalism studies, IERES, Georges Washington DC.

Par Diane Cassain

Un paysage d’extrémisme contrasté

« Il est récurrent d’entendre parler de montée des extrêmes. Ces mouvements existent depuis de nombreuses années, à gauche et à droite. Pour l’ultra-gauche pendant les années 1970 et jusque dans les années 1980, existaient en Allemagne la bande à Baader, en France Action directe, en Italie les Brigades rouges et en Belgique les cellules communistes combattantes dont les actions n’ont jamais véritablement été élucidées. Depuis quelques années, la nouveauté reste l’apparition des black blocks qui ont des modus operandi entraînant un niveau de conflictualité très élevé à l’encontre des forces de l’ordre. Pour ce qui est de l’ultra-droite, les services de renseignement et le gouvernement ont largement pris conscience du danger sécuritaire que ces groupements représentent » souligne Jean-Yves Camus. Depuis 2017, la Direction Générale de la Sécurité Intérieure a déjoué 9 actions de mouvement d’ultra-droite, aucune d’entre elles n’ayant été létale. « L’extrémisme islamiste demeure aujourd’hui le plus inquiétant, même après avoir perdu sa base arrière dans la zone irako-syrienne. En effet, émerge une très jeune génération d’apprentis-djihadistes qui ne prête même plus allégeance à l’Etat islamique ou à Al Qaeda et n’a jamais séjourné sur zone. Ceci étant, il reste à l’islamisme radical d’autres bases arrières, notamment en Afrique et dans la zone afghane/pakistanaise. L’existence ou non d’une base arrière, avec ce que cela implique comme lieu de repli ou d’entraînement est fondamental. Cette dernière dispose de capacités de financement et peut être un lieu de repli ou d’entraînement pour les sympathisants. C’est ce qui distingue le djihadisme des autres idéologies. L’ultra-droite et l’ultra-gauche ne disposent pas de base arrière. » poursuit le directeur de l’Observatoire des radicalités de la Fondation Jean Jaurès. Si des attentats de grande ampleur comme ceux de Charlie Hebdo ou du Bataclan semblent aujourd’hui compliqués à réaliser pour la mouvance djihadiste, les attaques à l’arme blanche ou les attentats à la voiture bélier sont à redouter, la menace étant aujourd’hui endogène.

Les environnementalistes radicaux : nouvelle inquiétude

Si la cause environnementale s’est déjà exprimée violemment par le passé, notamment lors d’une manifestation ayant dégénérée en 1977 contre la centrale de Creys-Malville, le mouvement se radicalise. « Dès les années 1980/1990, un mouvement politique, les Verts, est né pour capter ces militants écologistes. Les politiques de ce groupement étaient réformistes, convaincus que la cause écologique pouvait être réglée grâce à une action politique. Aujourd’hui, la nouvelle génération de militants soutient que l’action politique a atteint ses limites. La conflictualité est justifiée par une urgence à agir. Les environnementalistes radicaux ne parlent plus tant des gains politiques qui pourraient être réalisés que de l’urgence à sauver la planète ». Récemment, à Sainte-Soline, manifestants pacifistes et violents étaient alors réunis pour lutter contre un projet de méga-bassines. « Plusieurs envahissements d’entreprises, exactions fortes contre les forces de l’ordre, destructions de biens, des centaines de gendarmes ou de policiers blessés, plusieurs appels à l’insurrection »1 ont été relevés selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui a par ailleurs prononcé la dissolution du groupe des Soulèvements de la Terre en Conseil des ministres le 21 juin dernier. Une première dans l’histoire des groupements écologistes.

La dissolution des groupes extrémistes : arme efficace ?

Depuis 2017, le gouvernement s’est lancé dans une stratégie de dissolution des groupements extrémistes, sur la base de l’article L212-1 du Code de sécurité intérieure qui prévoit la possibilité de dissoudre une association ou groupement de fait sous 7 motifs. Parmi eux : la provocation à des manifestations armées, l’atteinte à l’intégrité du territoire national ou à la forme républicaine du Gouvernement, la provocation ou contribution à la discrimination, à la haine ou à la violence ou encore des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.2 « Ce mouvement d’accélération des dissolutions de groupements est le résultat d’une approche proactive. Il y a eu des dissolutions d’associations islamistes, des fermetures de lieux de cultes, des interdictions de groupe d’extrême-droite (le Bastion Social et Génération identitaire) et quelques tentatives du côté de l’ultra-gauche. La dissolution est un signal politique et non une arme létale, elle éloigne quelques sympathisants mais ne permet pas de mettre un terme à un mouvement. Il y aura toujours des militants qui seront déterminés à mener leur combat. On ne peut pas nier que ces dissolutions ont le mérite de poser un cadre et de montrer que l’Etat met des limites à la radicalité, laquelle existe dans toute démocratie » développe Jean-Yves Camus, et d’ajouter : « En revanche, cela peut inciter les groupes à passer dans une lutte clandestine, ce qui peut poser problème aux services de renseignement. Les groupes interdits, par exemple Génération Identitaire et le Bastion social, pour éviter le délit de reconstitution de ligue dissoute, se sont organisés autrement. Les militants les plus résolus sont désormais strucurés en groupes, localement, travaillant en réseau, organisés au plan d’une grande ville ou une région avec un noyau dur qui est, dans la plupart des cas, composé d’un faible nombre de personnes. Les préfets ne pourront jamais interdire l’ensemble des manifestations notamment d’ultra-droite qui sont extrêmement nombreuses même si peu de personnes sont présentes ». La dissolution de ces groupes doit s’accompagner d’une surveillance accrue pour connaître leur progression et cartographier les nouvelles alliances. « Il faut, à plus long terme, rester très attentif à l’immense arsenal qui ne manquera pas de se constituer et circuler après la stabilisation ou la fin du conflit russo-ukrainien, comme cela fut le cas à la fin du conflit en ex-Yougoslavie. Il sera probablement prisé par toutes les mouvances radicales comme par le banditisme » souligne-t-il.

Montée en puissance des théories complotistes

Aujourd’hui, bon nombre de mouvements extrémistes s’appuient sur des théories du complot, menant des opérations de désinformation pour rallier de nouveaux sympathisants ou justifier leur combat. « Sur internet, les informations ne sont pas forcément toutes hiérarchisées. Même si de gros efforts ont été faits pour éviter que des fausses informations remontent, si vous tapez « guerre raciale » sur un moteur de recherche, l’ouvrage de Guillaume Faye, « Guerre civile raciale », ou d’autres du même type, arrive rapidement sur les pages de recherche. Malheureusement, le citoyen ne fera pas nécessairement le tri entre un ouvrage portant une théorie du complot et un autre qui fournira des informations fiables et vérifiées. Le principal problème des réseaux sociaux reste le fonctionnement en toile d’araignée : les sites se renvoient les uns vers les autres, forment un écosystème clos qui produit un enfermement mental. Si l’on ajoute à cela l’accélérateur de conspirationnisme qu’a été la pandémie de Covid-19, on peut facilement comprendre pourquoi les théories du complot sont aussi présentes. Aux Etats-Unis, elles ont notamment été un moteur dans la prise du Capitole du 6 janvier 2022. Il s’agissait d’une menace pour la démocratie. Pour autant, je reste réservé sur le fait que nos démocraties européennes puissent être véritablement remises en cause par les différentes théories du complot qui abondent sur les réseaux. » souligne Jean-Yves Camus.

Lutter contre les extrêmes : vers une culture du résultat

« La culture du résultat reste la seule manière de passer au-delà de ces théories et de la menace. Aujourd’hui, pour que les citoyens retrouvent une forme de satisfaction et de confiance, l’action politique doit s’incarner dans un résultat. Il s’agit d’un problème considérable car le temps du mandat, n’est plus, selon moi, adapté à la complexité du monde actuel. Les économies sont trop interdépendantes pour qu’il soit possible d’agir sur un phénomène. Il est illusoire de penser qu’un problème qui se passe en France en 2017, année électorale, puisse être résolu en 2022, et pourtant lorsque l’on est en campagne, promettre est nécessaire. Une partie de la solution se trouve peut-être dans l’allongement du mandat politique. Ainsi, nos élus seraient-ils plus en mesure de tenir leurs promesses électorales » conclut Jean-Yves Camus.