Mesures du gouvernement et propositions de l’opposition face au terrorisme

Ce mardi, Manuel Valls a rendu hommage aux 17 victimes des attentats des 7, 8 et 9 janvier devant l’Assemblée nationale et salué « le très grand professionnalisme, l’abnégation, la bravoure de toutes nos forces de l’ordre – policiers, gendarmes, unités d’élite » et détaillé les mesures prises par le Gouvernement pour renforcer la sécurité des Français et lutter contre le terrorisme.

Face à ces événements Manuel Valls a appelé à ne pas baisser la garde. « Non seulement la menace globale est toujours présente mais, liés aux actes de la semaine dernière, des risques sérieux et très élevés demeurent ». Il a rappelé que des moyens exceptionnels sont déployés pour assurer la sécurité des Français : près de 10 000 soldats et plus de 122 000 personnels assurent la protection permanente des points sensibles et de l’espace public.

A une situation exceptionnelle doivent répondre des mesures exceptionnelles. « Mais je le dis aussi avec la même force : jamais des mesures d’exception qui dérogeraient aux principes du droit et des valeurs ».

Deux lois antiterroristes ont été votées il y a quelques semaines à une très large majorité, leurs décrets d’application sont en cours de publication. A cinq reprises, en deux ans, les services de renseignement français (DGSI et DGSE) ont permis de neutraliser des groupes terroristes susceptibles de passer à l’acte. Mais sans renforcement très significatif des moyens humains et matériels, les services de renseignement intérieur pourraient se trouver débordés. On dépasse désormais 1 250 individus pour les seules filières irako-syriennes. Les moyens nécessaires pour tenir compte de cette nouvelle donne seront dès lors affectés. La création de 432 emplois à la DGSI a ainsi été programmée, 130 sont déjà pourvus.

Pour aller plus loin, le ministre de l’Intérieur adressera au Premier ministre, en début de semaine, des propositions de renforcement. Elles devront notamment concerner internet et les réseaux sociaux qui sont plus que jamais utilisés par les terroristes pour l’embrigadement, la mise en contact, et l’acquisition de techniques permettant de passer à l’acte.

Au cours de l’année, sera également lancée la surveillance des déplacements aériens des personnes suspectes d’activités criminelles, le système PNR (passenger name record). La plateforme de contrôle française sera opérationnelle dès septembre prochain.

L’urgence Européenne

Il reste à mettre en place un dispositif similaire au niveau européen. « J’appelle de manière solennelle ici dans cette enceinte le Parlement européen à prendre enfin toute la mesure de ces enjeux, et de voter, comme nous le lui demandons depuis deux ans avec l’ensemble des gouvernements, à adopter ce dispositif qui est indispensable : nous ne pouvons plus perdre de temps ! »

Les événements survenus en Belgique hier, avec l’opération menée par la police contre un groupe de djihadistes revenant de Syrie qui s’apprêtaient à mener un « attentat d’envergure » et la diffusion d’une vidéo d’un jeune parti combattre en Syrie où il encourage d’autres djihadistes à frapper l’Europe avec de nouvelles vagues d’attentats. La Belgique, la Suisse, la France, ou l’Allemagne sont notamment visés. Les images sont tournées à Raqqa, ville syrienne.

« Égorgez-les, Brûlez leurs voitures, tuez-les  », crient ces jeunes dans cette vidéo puis, « Vous voyez un policier, tuez-les, tuez-les tous, tuez chaque infidèle que vous voyez dans les rues mes frères, pour qu’ils soient terrorisés. […] C’est ça le vrai chemin de la dignité, le chemin de la fierté : le djihad dans la voie d’Allah. L’islam est une religion de paix, les frères, mais c’est avant tout une religion de justice. Quiconque nous fait du mal, on lui fait du mal ».

La prison : lieu de radicalisation

Les phénomènes de radicalisation se développent également en prison. Un certain nombre de mesures sont mises en place par le ministère de la Justice depuis 2012. 182 aumôniers musulmans sont ainsi présents dans les prisons françaises. Manuel Valls souhaite donner un cadre clair à cette intervention pour parvenir à une réelle professionnalisation. Il a également annoncé que, sur la base de l’expérience menée depuis cet automne à la prison de Fresnes, la surveillance des détenus considérés comme radicalisés sera organisée dans des quartiers spécifiques créés au sein d’établissements pénitentiaires.

Une formation de haut niveau sera dispensée aux services de la protection judiciaire de la jeunesse pour mieux comprendre le parcours de radicalisation des jeunes.

Enfin, le Premier ministre a demandé aux ministres de l’Intérieur et de la Justice d’étudier les conditions juridiques de mise en place d’un nouveau fichier, qui obligera les personnes, condamnées pour des faits de terrorisme ou ayant intégré des groupes de combat terroristes, à déclarer leur domicile et à se soumettre à des obligations de contrôle.

Réaffirmant son soutien aux communautés religieuses juives et musulmanes, le Premier ministre a alors déclaré « La République doit faire preuve de la plus grande intransigeance face à ceux qui tentent, au nom de l’Islam, d’imposer une chape de plomb sur des quartiers, de faire régner leur ordre sur fond de trafics et de radicalisme religieux » et ajouté « C’est bien un débat au sein même de l’Islam, que l’islam de France doit mener en son sein, en s’appuyant sur les responsables religieux, sur les intellectuels, sur les musulmans qui nous disent depuis plusieurs jours qu’ils ont peur ».

Mercredi s’en est suivi la présentation puis la publication de l’un des principaux décrets d’application de la loi du 13 novembre 2014 qui renforce les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Celui relatif à l’interdiction de sortie du territoire des ressortissants français projetant de participer à des activités  terroristes à l’étranger. Le décret permet une mise en œuvre effective de deux mesures : l’interdiction de sortie du territoire qui vise des ressortissants français, et l’interdiction administrative du territoire qui vise des ressortissants étrangers.

Le décret définit les caractéristiques du récépissé remis à la personne qui fait l’objet d’une mesure d’interdiction de sortie du territoire national, celle-ci étant privée de son passeport et de sa carte nationale d’identité pendant la durée de l’interdiction. Cette mesure est prise par le Ministre de l’Intérieur lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’une personne projette des déplacements à l’étranger pour participer à des activités terroristes ou vers un théâtre d’opérations où agissent des groupements terroristes.

Le décret permet également au Ministre de l’Intérieur de définir le pays de renvoi d’une personne qui fait l’objet d’une interdiction administrative du territoire. Il s’agit d’empêcher une personne d’entrer sur le territoire national lorsque sa présence en France constituerait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre ou la sécurité publique et de pouvoir procéder à son renvoi immédiat si elle y parvenait.

L’interdiction de sortie du territoire pour certains ressortissants français et l’interdiction administrative du territoire pour certains ressortissants étrangers dont la présence en France menacerait l’ordre public sont soumises au contrôle du juge administratif, qui peut être saisi en référé.

Tous les autres décrets seront publiés dans les prochaines semaines, notamment ceux qui permettront le blocage administratif et le déréférencement des sites internet djihadistes. « Dans 1 mois la totalité de ces dispositions seront en vigueur », a déclaré Bernard Cazeneuve. 

Propositions de l’opposition

Après l’unité nationale et politique des derniers jours, l’UMP a présenté cette semaine ses recommandations en matière de lutte contre le terrorisme. « Notre responsabilité, collective, à l’égard des Français est d’empêcher que les attentats que la France vient de connaître ne se reproduisent. Nous ne pouvons en rester au cadre législatif existant. Nous souhaitons que le gouvernement puisse soutenir et adopter en urgence ces différentes mesures, absolument nécessaires à la sécurité des Français. ». Voici les 12 propositions émise par le principal groupe de l’opposition.

1. Renforcer la coopération internationale en matière de renseignement, là où elle s’est dégradée.

2. Réformer l’espace Schengen pour améliorer les contrôles aux frontières et les échanges d’information.

3. Adopter sans délai une loi-cadre sur le renseignement renforçant les moyens juridiques d’intervention des services spécialisés pour les rendre plus efficaces (accès aux fichiers, mise en place du PNR, procédures administratives d’enquête et de surveillance…).

4. Les moyens humains et financiers dont disposent les forces de police et de gendarmerie qui assurent la protection du territoire contre la menace terroriste doivent être préservés. Ils doivent donc être exonérés de l’effort national d’économies.

5. Retrait ou déchéance de la nationalité française pour les terroristes binationaux.

6. Instauration d’une peine complémentaire de crime d’indignité nationale assortie d’une peine de dégradation nationale emportant la privation des droits civiques, civils et politiques, pour les terroristes français.

7. Interdiction administrative du retour des djihadistes étrangers et français binationaux sur le territoire national

8. En prison :

Elargir le dispositif judiciaire de la rétention de sûreté, crée en 2008, pour inclure les actes terroristes, notamment l’association de malfaiteurs.

Création de centres de déradicalisation pour les terroristes djihadistes condamnés.

Permettre les fouilles systématiques pour les détenus radicalisés.

Adapter notre parc pénitentiaire à la réalité carcérale.

Exclure les possibilités d’aménagement de peine et de réduction de peine pour les faits de terrorisme.

9. Créer une infraction spécifique, punissant toute personne qui consultera de manière habituelle, et sans motif légitime, des sites internet qui provoquent au terrorisme

10. Rendre plus rapide les procédures administratives d’expulsion de personnes étrangères faisant l’apologie du djihad et du terrorisme.

11. Mise en place d’un plan national et européen de lutte contre le trafic d’armes, en donnant de nouvelles possibilités procédurales d’initiative aux services enquêteurs pour les perquisitions et les fouilles de véhicules

12. Renforcer l’équipement de protection et harmoniser les conditions d’exercice de la légitime défense entre les forces de police et de gendarmerie.

Dès le prochain Conseil des ministres du 21 janvier, des éléments d’amélioration des dispositifs de renseignement, d’écoute, des renseignements pénitentiaires et de la mobilisation de la défense seront présentés par Bernard Cazeneuve, Christiane Taubira et Jean-Yves Le Drian. Ils devront s’inscrire en particulier dans le débat sur la loi sur le renseignement.