Comment atteindre la souveraineté numérique ?

Alors qu’Anne Le Hénanff, députée du Morbihan et rapporteure de l’avis sur la souveraineté numérique de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes admet volontiers que le terme de « souveraineté numérique » est aujourd’hui « peut-être un peu galvaudé », apporter une définition claire et partagée de tous à cette expression devenait plus que nécessaire. C’est désormais chose faite. « La souveraineté numérique est la capacité pour un Etat de conserver un accès autonome à son espace numérique et aux services numériques liés à l’exercice de sa souveraineté, en sécurisant son autonomie et laccès aux contenus quil a définis comme stratégiques, ainsi que les données quil juge stratégiques et/ou sensible ».1 La définition est claire et les moyens pour atteindre cette ambition sont détaillés en 10 recommandations. Il ne reste donc plus qu’à toutes les entités concernées de s’en saisir pour faire de la France un acteur de premier rang mondial dans le domaine.

Maîtriser nos données

Aujourd’hui, pour espérer atteindre une souveraineté numérique, il est essentiel, pour un Etat, d’avoir la maîtrise de ses données, ce qui n’est pas forcément le cas dans certaines administrations françaises qui, souvent, manipulent des données dites sensibles. « La question centrale est celle de savoir quelles données nous devons protéger au mieux. Toutes les solutions ne doivent pas forcément être françaises ou européennes mais nous devons être certains que nos données sensibles sont hébergées sur des cloud respectant la qualification SecNumCloud » défend Anne Le Hénanff. Par ailleurs, l’avis soulève d’autres propositions pour tendre vers une meilleure maîtrise de nos données, publiques et sensibles notamment. L’extension du rôle du préfet pour qu’il s’assure que les données sensibles des collectivités soient bel et bien hébergées dans un cloud souverain en fait partie. « Le préfet aurait un rôle de garant de l’efficacité de la démarche » poursuit la députée. Mais, avant d’en arriver à cette étape, les administrations et établissements sensibles pourraient déjà réussir à cartographier les données sensibles qu’ils détiennent. Enfin, la députée propose un accompagnement des plus petites collectivités et établissements, scolaires et de santé notamment, qui ne disposent pas forcément des moyens humains et financiers nécessaires pour être en conformité.

Simplifier la commande publique

Les membres de la commission supérieure du numérique et des postes s’accordent pour dire que la France et les Etats européens « seraient très naïfs de penser que la commande publique ne doit pas jouer toute sa part à l’élaboration dune offre numérique européenne et souveraineté ». Aux Etats-Unis par exemple, des réglementations liées à la commande publique ont véritablement favorisé le financement d’entreprises américaines. C’est pourquoi la Commission propose la création d’une “Buy European Act” qui « réserverait une partie des marchés publics à des offres européennes, notamment sur les marchés sensibles et essentiels ». Le code des marchés public actuel est trop complexe et se doit d’être simplifié pour éviter de décourager les nouveaux acteurs du numérique de répondre à des appels d’offres.

Porter le sujet au plus haut niveau

En septembre dernier, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications annonçait la mise en œuvre d’une stratégie nationale pour le cloud et la souveraineté numérique. Si l’avis d’Anne le Hénanff note « le renforcement et la continuité de la volonté française » sur ce sujet, il semble essentiel qu’aujourd’hui la souveraineté numérique soit « définie au plus haut niveau de lEtat à savoir par le président de la République et le Premier ministre ». Il semble également essentiel que les sujets du numérique soient traités de manière transverse par les ministères. Le fonctionnement en “silo” empêche la mise en œuvre d’une politique uniforme et cohérente selon les secteurs. « La dimension interministérielle doit prendre le pas » souligne Anne Le Hénanff. Enfin, la création d’un Conseil de défense de la stratégie du numérique rattaché au président de la République permettrait de suivre ces sujets en continue et pas uniquement lors d’une cyberattaque ou en cas de crise cyber.

Si cet avis n’est pas contraignant, Anne Le Hénanff espère aujourd’hui que les ministres et les autres membres du Gouvernement puissent s’en saisir pour s’en inspirer et, pourquoi pas, en instaurer certaines.

1 Avis n°2023-06 du 12 septembre 2023