Prévention du blanchiment d’argent, du financement du terrorisme et lutte contre la criminalité organisée : une autre priorité du continent sud-américain

Combattre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive est au coeur des actions de l’Amérique latine. En charge de cette mission d’envergure, le Groupe d’action financière de l’Amérique latine (GAFILAT) réunit 18 pays engagés dans la lutte contre l’expansion des réseaux criminels.

Rencontre avec son secrétaire exécutif, l’avocat argentin Esteban Fullin.

Par Geoffrey Comte

Un double péril

« La majeure partie des crimes comme les blanchiments d’actifs sont commis au cœur même de notre continent. L’Amérique du Nord et l’Europe incarnent toujours les principaux débouchés du narcotrafic. L’Amérique latine représente un espace très vaste où la perception du risque et de la menace du financement du terrorisme demeure lacunaire. Ce dernier n’y a pas la même forme qu’ailleurs, étant avant tout lié aux actes terroristes commis par des organisations criminelles contrairement à d’autres régions où prédominent les références idéologiques et religieuses » souligne Esteban Fullin.

Le système bancaire, suivi par les activités des notaires et avocats, puis l’industrie automobile et enfin le marché de l’immobilier1 sont les secteurs les plus vulnérables aux blanchiments d’argent. La contrebande génère des profits estimés à près de 2 % du PIB de l’Amérique latine, soit quelque 150 milliards de dollars américains par an, pénétrant les industries de la métallurgie, du tabac, de l’alcool, des médicaments ou encore du textile.2 Les crimes contre l’environnement sont devenus le troisième crime le plus lucratif au monde, dépassés seulement par le narcotrafic et la contrebande. « Les activités minières illégales produisent des profits illicites tout en provoquant des dégâts environnementaux importants. Ces gains nourrissent directement les groupes irréguliers présents au sein des différents territoires nationaux » pointe le Secrétaire exécutif du GAFILAT. Au niveau mondial, l’exploitation minière illégale génère entre 12 et 48 milliards de dollars par an tandis que les profits issus de la déforestation atteignent entre 51 et 152 milliards de dollars.3 La traite des personnes, quant à elle, touche 3,6 millions de personnes dans les Amériques et représente une valeur de 150,2 milliards de dollars par an de par le monde, au travers de l’exploitation sexuelle et l’imposition du travail forcé, dont 74% des victimes sont des femmes et jeunes filles.4

Une perte sèche pour la sphère publique

En 2017, les fraudes de l’impôt sur le revenu et de la TVA ont atteint 6,3 % du PIB de l’Amérique latine, soit 335 milliards de dollars.5 « En Amérique du sud, les taxes et la pression fiscale demeurent globalement élevées, ce qui encourage l’évasion fiscale. Cette dernière se trouve à l’origine d’une large partie de gains illicites, sans être directement liée aux réseaux criminels. Elle représente un véritable manque à gagner pour les pouvoirs publics, détournant des recettes qui auraient pu être appliquées à des politiques sociales, voire de sécurité. Le fléau de la corruption touche lui l’ensemble de la chaîne des fonctionnaires, du plus petit au plus haut échelon » indique Esteban Fullin.

Frictions politiques, harmonisation technique

Sur les recommandation du Groupe d’action financière (GAFI), le GAFILAT doit participer à la création d’un système régional de prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. « Tous les pays du continent sont engagés dans ces combats. Assujettir les politiques de soutien aux alignements politiques reste un défi de taille pour notre organisation. Le politique ne doit pas prendre le pas sur la coopération technique. Mais le problème majeur demeure l’accès aux ressources fiscales et humaines pour réaliser ce double objectif, tant à l’échelle du GAFILAT que des pays eux-mêmes. En Amérique latine, les agendas nationaux accordent la priorité à l’éradication de la pauvreté et de la faim avant ces questions de prévention. La criminalité organisée continue d’être un immense challenge, condamnant les services de police, les systèmes judiciaires comme les finances publiques à un travail gargantuesque » précise l’avocat argentin. Et de poursuivre : « Nous travaillons étroitement avec l’Union européenne, au travers de programmes tels que COPOLAD, et avec ses pays membres, notamment l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Leurs apports financiers servent les intérêts de nos 18 pays partenaires sans exiger de contrepartie, ce qui est vital à nos efforts. Au-delà de l’aspect financier, les savoir-faire et l’expérience de l’Europe sont très intéressants pour développer notre propre boîte à outils en Amérique latine ».

Vers une meilleure sécurité financière

Les évaluations mutuelles et autres réunions annuelles permettent de partager les bonnes pratiques et d’anticiper les menaces à venir. « Au cours des dernières années, nous avons donné naissance à un réseau d’information pour la récupération des biens, appuyé la formation du personnel et avons fourni des software gratuits au profit du secteur public pour établir des listes de contrôles. Pour les années à venir, nous nous focaliserons sur les risques liés à la gestion des actifs virtuels, au secteur des organisations non-lucratives ainsi que les questions liées à la transparence économique. Concernant les cryptos actifs, certains pays se dirigent vers leur acceptation comme un moyen de paiement légal tandis que d’autres y sont plus réticents. Notre rôle est donc d’éclairer les risques desdits actifs et de mettre à disposition les moyens de légiférer pour chaque pays. D’autre part, le blanchiment de capitaux ne peut être compris seulement comme l’emprisonnement des personnes responsables de crimes financiers. Notre souhait est de combiner répression pénale et récupération des biens mal acquis pour une meilleure transparence et saper plus durement les sources illicites de revenus. En tant qu’organisation publique, nous travaillons principalement avec les Etats et les administrations publiques. Nous visons donc à un rapprochement avec le secteur privé, par l’intermédiaire du développement d’accords privés publics, afin d’améliorer les systèmes de prévention des blanchiments d’actifs » annonce Esteban Fullin.

1 Grupo de Acción Financiera de Latinoamérica, Tercera Actualización del Informe de Amenazas Regionales en materia de Lavado de Activos (2019-2021), Buenos Aires, Argentina, GAFILAT, 2022.

2 ALAC, Quinto Encuentro de la Alianza Latinoamericana Anti Contrabando, ALAC, 7 y 8 de mayo 2019, en San José de Costa Rica (2019)

3 Grupo de Acción Financiera de Latinoamérica, Tercera Actualización del Informe de Amenazas Regionales en materia de Lavado de Activos (2019-2021), op. cit.

4 Organización Internacional del Trabajo, Estimaciones mundiales sobre la esclavitud moderna: trabajo forzoso y matrimonio forzoso – Resumen Ejecutivo, s.l., OIT, 2022.

5 Grupo de Acción Financiera de Latinoamérica, Tercera Actualización del Informe de Amenazas Regionales en materia de Lavado de Activos (2019-2021), op. cit.