Le partenariat franco-suédois : un rapprochement prometteur des industries de défense

Partenaires européens de longue date, la France et la Suède opèrent un rapprochement à grande vitesse, sur fonds de guerre en Ukraine. Au coeur de la coopération franco-suédoise, la relation entre les industries de défense donne le ton de la convergence stratégique de plus en plus marquée entre les deux pays.

L’architecture de défense suédoise en évolution

Tandis que le pays s’est construit l’image d’un bastion de la neutralité depuis le début du XIXe siècle, la guerre en Ukraine marque un grand basculement de la posture adoptée par Stockholm. Après avoir condamné l’invasion russe en Ukraine en 2022, la Suède se montre désormais bien plus volontaire pour se rapprocher de l’Alliance atlantique, en témoigne la demande d’adhésion déposée le 18 mai 2022 conjointement avec la Finlande. Après un long blocage de la part de la Turquie et la Hongrie, le 10 juillet dernier les deux pays ont annoncé une ratification à venir pour finaliser l’intégration de la Suède au sein de l’OTAN. Une perspective encourageante pour les acteurs suédois de la défense car plus que l’annonce d’un changement de posture historique, il s’agit là de la promesse donnée à une réévaluation de l’outil militaire national, Stockholm se préparant même à l’éventualité du combat. « On ne peut pas exclure que la force militaire ou de nouvelles menaces […] soient utilisées contre la Suède. » peut-on lire dans un rapport sur la politique de sécurité de la Suède présenté le 19 avril par la commission de la Défense du Parlement suédois au ministre de la Défense, Pål Jonson.1 Face à cette crainte, le gouvernement s’oriente vers un nouveau plan de réarmement qui devrait être avancé d’un an et ainsi prendre effet dès 2025. Parmi les dossiers les plus urgents, les munitions, les pièces détachées, les équipements médicaux et les réserves de carburant nécessaires à un combat de haute intensité font figure de priorités, en plus du besoin urgent d’officiers alors que l’adhésion à l’OTAN devrait accroître ce besoin en personnel militaire de haut niveau. Pour répondre à ses besoins, la Suède se tourne naturellement vers de nouveaux partenariats pour compléter les apports de sa base industrielle de défense (BITD). Illustrant ce renforcement sans précédent, la Suède a tenu l’ambitieux exercice Aurora au printemps 2023 avec près de 26 000 soldats mobilisés et des unités de 14 pays alliés dont la France. Plus qu’une simple opération séduction à destination des otaniens, c’est un véritable renforcement opérationnel des forces suédoises qui se profile.

Un renforcement de l’industrie de défense en perspective

Le riche tissu industriel suédois permet déjà au pays de jouir d’une image de fournisseur de matériel de défense fiable, irriguant autant son propre marché que celui de ses partenaires. « Sur les contrats d’envergure que sont les aéronefs, les bateaux ou encore les blindés, la BITD suédoise est très performante, capable de fournir en national, au même titre que la France, ce qui fait que nous sommes en général concurrents à l’exportation. » explique Jérôme Chevalier, Attaché de Défense au sein de l’Ambassade de France en Suède. Cette capacité de production nationale connait une expansion progressive. En 2022, le secteur des industries de défense représentait un chiffre d’affaires total de 4,4 milliards d’euros, contre 4,1 milliards en 2021. L’Association suédoise de l’industrie de la sécurité et de la défense, SOFF, se renforce progressivement en intégrant près de 180 structures de toutes tailles aujourd’hui et représentant près de 28 400 salariés. La Suède jouit d’une crédibilité internationale croissante en matière d’équipements de défense. Les exportations dans ce secteur sont à la hausse, passant de 1,9 milliard d’euros en 2021 à 2,4 milliards l’année suivante. « La Suède revient dassez loin en termes d’équipements puisquils investissaient très peu auparavant, et étaient tombés à 1,2% de leur PIB consacré à l’investissement de défense. Ils rehaussent progressivement le cap pour tendre à 2%, mais ils rencontrent encore des difficultés à prioriser leurs besoins, ajoute Jérôme Chevalier. Au fil de nos discussions, nous essayons désormais de convaincre nos partenaires suédois d’investir dans la BITD européenne. »

La France comme partenaire européen majeur

Après de nombreux contrats passés avec les industriels américains, notamment l’achat de missiles sol-air Patriot en 2017, la relation des industries de défense françaises et suédoises a connu un ralentissement certain de l’aveu de Niklas Alm, Secrétaire général adjoint de SOFF : « Il existe une bonne dynamique de coopération mais nous estimons qu’elle pourrait être encore meilleure. Les 5 à 10 dernières années ont été plutôt lentes mais désormais les récents rapprochements concernant les chaînes de production et les domaines de la recherche et développement nous permettent de mieux nous projeter. » La convergence stratégique entre les deux pays constitue également un contexte favorable à ce rapprochement alors que la Suède est en passe de devenir le 23e pays membre à la fois de l’Union européenne et de l’OTAN. Un renforcement qui se traduit par une coproduction de matériels de défense. Déployé sur le terrain ukrainien, l’obus Bonus est le fruit de la coopération entre Nexter et Bofors. « Il y a un renouveau dans la relation darmement en particulier par des contrats de type étatique. Le dernier en date, portant sur la trame anti-char Akeron MP est un exemple emblématique car il a une contrepartie qui est le fait que le missile soit construit par MBDA pour donner ensuite lieu à une coopération de recherche avec SAAB pour le faire évoluer vers une nouvelle version qui répondra à des spécifications communes. Dans le même temps, le missile NLAW de SAAB intéresse la France à ce stade pour une procédure identique, en partant cette fois de la production suédoise. » développe l’Attaché de Défense à l’Ambassade de France à Stockholm. Cette année le Fonds européen de défense (FED) s’est vu doter d’1,2 milliard d’euros supplémentaires pour soutenir des projets collaboratifs de recherche et de développement et promouvoir l’innovation dans la défense européenne. « L’officier de zone de la Direction générale de l’armement (DGA) a déjà souligné la formation en cours d’une dizaine de projets entre industriels français et suédois, prétendant à un financement du FED. » confie Samantha Douarin, chef de projet Sécurité au sein de Business France.

Perspectives nouvelles

Dans cette dynamique de coopération se tiendront les prochains French Swedish Defence & Security Days les 6 et 7 novembre prochains. Pour sa troisième édition, le séminaire bilatéral permettra de faire encore une fois la part belle à la coopération entre les deux pays et d’ouvrir le dialogue aux entreprises de toutes tailles. « L’idée est d’accompagner tous les acteurs français désireux de se positionner sur le marché suédois en leur donnant accès à une discussion avec SOFF, le ministère de la Défense ou encore l’Administration suédoise du matériel de défense (« Försvarets Materielverk » ou FMV) pour en identifier les besoins tout en capitalisant sur l’expérience reconnue des acteurs français à répondre à des appels d’offres. » précise Aurélie Devidal, chargée d’affaires Business France en Suède. « Nous savons que les grands industriels suédois que sont SAAB ou GKN peuvent impressionner les petites entreprises françaises, pour autant il est à noter que la plupart des contrats passés concernent des systèmes et des sous-systèmes intégrés, ajoute Jérôme Chevalier. Les PME sont particulièrement enclines à apporter leur expertise sur de tels dossiers et ainsi contribuer directement à l’accélération de la coopération bilatérale. »

Les inscriptions pour les French Swedish Defence & Security Days restent ouvertes à toute entreprise souhaitant y participer : https://extranet-btob.businessfrance.fr/french-swedishdefencesecuritydays2023/

1 SZUMSKI Charles. « Une attaque russe contre la Suède n’est pas à exclure, selon la commission suédoise de la Défense », EURACTIV, 20 juin 2023.