FinTech françaises : l’œil sur le Qatar ?

Après le PSG, la FinTech ? Alors que l’année 2023 a vu une forte baisse des levées de fonds des start-up françaises de technologie financière, la politique volontariste et très orientée nouvelles technologies du Qatar pourraient faire de ce pays une source de nouveaux financements. Non sans risques pour notre souveraineté.

Par Alban Wilfert

Le Qatar, une industrie financière en diversification rapide

« Le Qatar a travaillé dur pour s’adapter aux évolutions technologiques internationales et se profile comme une économie axée sur la technologie. Les FinTech offrent une opportunité importante de stimuler la diversification économique du Qatar, l’un des quatre piliers de la Vision nationale 2030 du Qatar. Elle offre également une opportunité massive pour les PME des pays du Conseil de coopération du Golfe, en particulier au Qatar, d’obtenir un meilleur accès au financement, l’un des principaux défis auxquels elles sont confrontées au niveau mondial. »1, déclarait Abdulaziz Bin Nasser Al Khalifa, PDG de la Banque Qatarie de Développement (QDB), en 2021.

Si l’économie du Qatar a longtemps reposé sur les hydrocarbures, sa diversification dans le secteur financier entame aujourd’hui une nouvelle ère, avec les FinTech. Une ambition dont le Qatar se donne les moyens. La « Qatar FinTech Strategy » fait l’objet d’une task force pilotée par la QDB, la Banque centrale qatarie (QCB) et le Centre financier qatari (QFC), les trois plus grandes institutions financières du pays. Le gouvernement du pays établit, quant à lui, des zones franches où sont proposées des formations et des exonérations de frais pour les entreprises.

D’ores et déjà, le secteur financier du pays connaît l’une des croissances les plus rapides de la région grâce à l’adoption de technologies de pointe et à la transformation numérique, d’après le ministre du Commerce et de l’Industrie du pays, Sheikh Muhammad bin Hamad bin Qassim Al Thani.2 Le marché de la FinTech dans le pays était estimé à 850 millions de dollars en 2020 et pourrait atteindre 2 milliards en 2025.3 Le lancement de la Qatar Fintech Strategy en 2023, qui doit lui permettre de s’imposer comme un champion mondial dans le secteur, prévoit notamment de tripler le nombre de licences attribuées à des entreprises Fintech dans les 5 prochaines années. Parmi celles qui sont déjà implantées dans le pays, la plupart se positionne sur les transferts d’argent en ligne, la gestion des données ou les services bancaires de détail. Opay, la principale société qatarienne du secteur, propose ainsi un service de rémunération en ligne. Certains ont déjà du succès à l’étranger comme Spendwisor, spécialiste des paiements digitaux, qui a conclu un partenariat avec la start-up américaine LISNR. Quant à Areeba Technologies Services and Solutions, issues du Qatar FinTech Hub Accelerator, elle est déjà présente dans plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Sans compter les acteurs étrangers déjà implantés au Qatar comme Goals 101, une société indienne de gestion des données destinées aux banques.

Une FinTech française en besoin de financements

Une expansion qatarie qui tombe à point nommé pour la France ? On pourrait le croire. Après avoir atteint un sommet en 2022 avec 2,5 milliards d’euros, les fonds levés par les FinTech françaises – plus de 900 entreprises dont 10 licornes – ont chuté en 2023, n’atteignant que 1,1 milliard.4

Pas de panique. « La fintech subit comme les autres secteurs de la tech la raréfaction du financement dans un contexte de hausse des taux d’intérêt »,5 indique Mikaël Ptachek, président de l’Observatoire de la FinTech. Selon lui, il ne faut pas y voir un point de rupture mais simplement la fin d’une phase atypique de surabondance des liquidités. Il n’empêche, la baisse des financements dans les start-up françaises dans leur ensemble est de 36% en 2023, contre 57% dans la seule FinTech. A titre d’exemple, l’assureur en ligne Luko a fait l’objet, après l’échec de sa levée de fonds de décembre 2023, d’une proposition de rachat par Allianz, pour la somme de… 4 euros.6

Le besoin de financements se fait donc sentir, et le marché qatari semble prometteur. La main-d’œuvre du pays est qualifiée et sa population technophile. Dès 2021, 85% des transactions financières des clients de la Doha Bank étaient assurées par voie numérique, et 95% des transferts d’argent via des services bancaires sur mobile ou sur internet.7 Des habitudes de consommation qui présagent d’une forte demande… En 2022, la Qatar Investment Authority, le fonds souverain qatari, a par exemple investi 250 millions d’euros dans la française InnovaFeed, réalisant ainsi l’une des plus grosses levées menées par des fonds non français depuis 2021.

Garder la main : la FinTech, enjeu de souveraineté

La FinTech est « un contributeur croissant à l’emploi qualifié, au financement de l’économie, à la protection du patrimoine des Français, et plus globalement à notre souveraineté », rappelle Alain Clot, président fondateur de l’association professionnelle France FinTech.8

En cas de rachat du Qatar, la « perte de souveraineté » des « acteurs et superviseurs européens », sous le coup de la RGPD, serait donc un risque, fait remarquer Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France.9

Ce n’est pas tout. La monnaie est une prérogative régalienne et « perdre la main sur la monnaie, c’est le début de la perte de souveraineté politique », d’où l’importance de « l’initiative européenne » en la matière, alertait déjà le secrétaire d’Etat Cédric O en 2020.10 « En matière de FinTech, nous avons le devoir d’innover mais en même temps nous avons celui de réguler ».11 C’est dans cette logique que la DSP2, entrée en vigueur l’année suivante, a étendu la régulation financière aux acteurs de la FinTech, les soumettant aux mêmes règles que les banques. Pensée pour la protection des données des utilisateurs, cette directive a néanmoins réduit les marges de manœuvre des FinTech et bridé leur capacité d’innovation.

Pour garder la main sur la fintech française, il faudra donc d’abord œuvrer à rendre les conditions plus bénéfiques au développement du secteur. Le principal obstacle restant le manque de capitaux disponibles pour les start-up et acteurs émergents du secteur, il s’agira notamment de renforcer les dispositifs de soutien et d’accompagnement. Car le Qatar n’est pas le seul eldorado de la fintech : l’Asie du Sud-est, Singapour en particulier, accueille déjà de nombreuses fintech françaises séduites par un régime fiscal intéressant, des programmes d’accompagnement de l’innovation, une règlementation progressive et des autorités volontaires. Autre levier d’action : rendre l’environnement d’investissement plus favorable. Enfin, le renforcement du contrôle des investissements étrangers en France (IEF) au 1er janvier 2024 devrait aussi contribuer à ce que des acteurs de ce secteur stratégique ne tombe sous pavillon étranger.

1https://www.prnewswire.com/news-releases/qatar-fintech-hub-un-incubateur-de-la-qatar-development-bank-publie-son-premier-rapport-mondial-sur-la-situation-des-fintech-au-qatar-et-au-moyen-orient-899683520.html

2https://www.teamfrance-export.fr/infos-sectorielles/23610/23610-la-fintech-de-pointe-place-le-qatar-en-tete-de-la-region-mena

3https://www.gccbusinessnews.com/qatar-provides-wide-opportunities-for-global-fintech-companies-minister/

4 https://www.presse-citron.net/les-fintech-francaises-face-a-un-ralentissement-des-financements/

5 Ibid.

6 https://www.linfodurable.fr/les-fintech-font-le-dos-rond-et-esperent-des-jours-meilleurs-42856

7 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/a9a0c217-cf71-4c07-95b9-f5c24f82d075/files/2c5c8693-4591-4b51-beed-a826c4ade2ae

8 https://francefintech.org/a-clot-france-fintech-les-levees-de-fonds-ont-atteint-23-milliards-deuros-en-2021/

9 https://www.banque-france.fr/fr/governors-interventions/entre-montee-des-risques-et-innovation-financiere-lecosysteme-fintech-la-croisee-des-chemins

10 https://mesinfos.fr/ile-de-france/fintech-quels-enjeux-de-regulation-et-quelles-ambitions-pour-demain-29576.html

11 Ibid.