Elections à Taïwan : et après ?

Le 13 janvier 2024, les indépendantistes du Parti démocrate progressiste (PDP) remportaient pour la troisième fois consécutive l’élection présidentielle taïwanaise. Ce nouveau succès électoral donnera-t-il lieu à une indépendance pleine et entière pour l’île ? Rien n’est moins sûr. Entre divisions politiques internes et environnement international crispé, les marges de manœuvre de Taïwan paraissent plus que jamais limitées.

Par Alban Wilfert

Un probable maintien du statu quo

« Taiwan est déjà un pays souverain, indépendant, nommé République de Chine »,1 a déclaré Lai Ching-te, aussi dit William Lai, lors de la campagne électorale dont il est ressorti victorieux. Illustrant l’évolution de la doctrine du camp indépendantiste, Taïwan serait un Etat déjà indépendant de facto, aussi n’y aurait-il guère d’intérêt à aller plus loin. L’objectif d’une indépendance constitutionnelle, s’émancipant de la politique d’une seule Chine inscrite dans la Constitution, semble ne pas être d’actualité.

Indépendantiste revendiqué et opiniâtre de réputation, le nouveau président taïwanais n’est pas en mesure de se montrer plus ambitieux. Elu avec à peine 40% des voix, Lai ne dispose pas de majorité au Yuan législatif, le parlement de l’île. Le Kuomintang (KMT), Parti nationaliste chinois favorable à un rapprochement avec Pékin, y a un siège d’avance et le Qinmindang, parti au positionnement ambigu, y apparaît comme faiseur de roi. Peu probable que des décisions audacieuses soient prises…

Relations transdétroit : tensions croissantes ou apaisement ?

Plutôt que le statut politique de Taïwan, ce sont les moyens de maintenir la paix face aux menaces de Pékin qui ont fait l’objet de clivages lors de la campagne électorale. Pour le KMT, concéder à la Chine populaire l’aspiration à une réunification pacifique théorique est une nécessité, toute autre attitude pouvant être perçue comme une provocation à punir. A l’inverse, pour le DDP, donner pareil signe de renoncement à l’indépendance reviendrait à montrer sa faiblesse et donc à s’exposer au risque d’une annexion.

De fait, la RPC prend au sérieux cette problématique. En attestent ses cyberattaques sur Taïwan : jusqu’à six millions ont été recensées chaque jour de la campagne électorale, en hausse de 80% par rapport à l’année précédente.2 8 Taïwanais sur 10 auraient par ailleurs été désinformés par des SMS ou des mails parlant d’une guerre immédiate si les indépendantistes l’emportaient.3 Comme une manifestation de la cyberdissuasion chinoise, un rappel des moyens d’action non militaires de la Chine en cas de déclaration d’indépendance ?

De même, la guerre commerciale pourrait s’intensifier. En décembre 2023 encore, Pékin « imposait des droits de douane sur certaines importations de produits chimiques », rappelle Jeremy Mark, géoéconomiste à l’Atlantic Council.4 On peut donc s’attendre à de nouvelles pressions de ce genre. Toutefois, la Chine restant, comme une grande partie du monde, dépendante des semi-conducteurs taïwanais,5 elle aurait beaucoup à perdre à pousser la guerre commerciale à un niveau qui la desservirait.

Taiwan sur la scène internationale : de mal en pis ?

Peu après l’élection présidentielle, Nauru a mis un terme à sa reconnaissance de Taipei comme gouvernement de la Chine, au profit de Pékin. A force de saper la diplomatie taïwanaise, le Parti communiste chinois est parvenu à réduire à 12 le nombre d’Etats reconnaissant la République de Chine comme telle. En 2016, avant l’arrivée au pouvoir de l’indépendantiste Tsai Ing-wen, ils étaient 22. Taïwan y a vu le résultat de pressions de la RPC, dans le cadre de sa stratégie d’essor dans l’océan Pacifique Sud.6

Dans ce contexte, les Etats-Unis jouent un numéro d’équilibriste. Ils ont félicité Lai pour son élection, tout en rappelant que leur relation avec Taïwan est « non-officielle, en phase avec la politique américaine d’une seule Chine »7 et, par là même, qu’ils s’opposent à l’indépendance de Taïwan. Un sujet délicat, deux mois après le sommet de l’APEC à San Francisco où Xi Jinping et Joe Biden ont affiché une volonté de détente mais où la question taïwanaise est restée un sujet de friction en raison des livraisons d’armes de Washington à Taipei. Pas sûr que les élections américaines à venir, qui pourraient voir le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, n’aident à résoudre le problème.

© Pexels/ Chris

1https://www.economist.com/interactive/2024-taiwan-election

2https://www.europe1.fr/international/elections-a-taiwan-la-chine-continue-de-faire-pression-avec-des-cyberattaques-4224818

3 Ibid.

4https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/19/les-reactions-mesurees-de-la-chine-apres-l-election-de-lai-ching-te-a-taiwan_6211742_3210.html

5 Ibid.

6https://www.scmp.com/news/china/politics/article/3248957/how-far-and-how-fast-will-president-elect-william-lai-go-push-taiwan-further-away-mainland

7https://www.state.gov/on-taiwans-election/