Un nouveau pas vers une défense européenne ?

Deux ans après le début de la guerre en Ukraine et le retour de la haute-intensité sur le sol européen, la Commission européenne a présenté, ce 5 mars 2024, sa toute première stratégie industrielle européenne de défense. Le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP), nouvelle initiative législative, défend une « approche plus structurelle et à plus long terme pour parvenir à une préparation industrielle dans le domaine de la défense. Cela garantira la continuité du soutien apporté à la base industrielle et technologique de défense européenne, afin d’accompagner son adaptation rapide à la nouvelle réalité ». Un pack de mesures aux objectifs « ambitieux mais nécessaires » pour Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur de l’UE.

Mieux préparer les Etats membres

Le conflit en Ukraine a rappelé les Etats membres à l’impérieuse nécessité de disposer d’une industrie de défense qui saura faire face à un conflit de haute intensité. Après des années de réduction des budgets de défense et de décisions visant à réduire l’acquisition de matériel militaire, l’heure est aujourd’hui au rétropédalage. Et, l’Union européenne l’a bien compris. En présentant sa nouvelle stratégie industrielle de défense, l’idée est d’exploiter pleinement le potentiel de toute la base industrielle de défense européenne pour une meilleure préparation aux conflits futurs. « Avec notre nouvelle stratégie industrielle de défense, lUnion définit une vision claire pour renforcer notre préparation industrielle dans le domaine de la défense. Avec le programme européen pour lindustrie de la défense, la Commission présente immédiatement un instrument ambitieux pour commencer à mettre concrètement en œuvre la stratégie » témoigne Thierry Breton. « Après des décennies de sous-utilisation, nous devons investir davantage dans la défense, mais nous devons le faire mieux et ensemble. Une industrie européenne de la défense forte, résiliente et compétitive est un impératif stratégique et une condition préalable à l’amélioration de notre état de préparation en matière de défense » précise Josep Borrell, Haut-représentant de l’UE.

Acheter en Europe

Depuis l’invasion russe en Ukraine, les dépenses des Etats membres dans la défense ont considérablement augmenté. Parmi eux, les pays frontaliers de la Russie, les plus inquiets, sont ceux qui consacrent la plus grande part de leur PIB. En 2023, la Pologne y a consacré 3,9 % et l’Estonie 2,5 %. La France a presque atteint l’objectif fixé par l’OTAN de 2 % du PIB investi dans les dépenses militaires (1,9 %). Mais, tout l’enjeu est désormais d’acquérir du matériel européen, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 68% des achats d’armement réalisés dans l’UE au profit de l’Ukraine se font auprès de constructeurs américains… « L’augmentation des budgets de défense de la part des Etats membres doit nécessairement entraîner lacquisition de matériels militaires produits en Europe. Cela crée de la prospérité et nous permet de renforcer notre autonomie stratégique. Lobjectif est clair. D’ici 2030, 50% des équipements militaires commandés par les Etats membres doivent être fournis par l’industrie européenne » défend Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive pour une Europe adaptée à l’ère du numérique.

Des mesures ambitieuses

Dans le cadre de la mise en œuvre de cette stratégie de défense, les Etats membres ont été invités à acquérir au moins 40 % des équipements de défense de manière collaborative d’ici 2030. Mais attention, acquérir ensemble ne signifie pas acquérir pour l’UE. « Nous navons pas vocation à devenir un dét d’armes. La vocation cest de mener une politique industrielle, dans le secteur critique de la défense. Le rôle de lUnion européenne est de favoriser le développement dune politique industrielle de défense sans pour autant devenir le client » précise Josep Borell. Pour créer des conditions favorables, le défi du financement de l’industrie de défense est l’un des points essentiels. « Nous devons également mobiliser le secteur financier pour soutenir les industries de défense. La BEI doit, elle, changer sa façon de travailler » défend Thierry Breton. Les organes de la BEI ont en effet été appelé à adapter les exclusions actuelles liées à l’industrie de défense en termes d’accès aux instruments financiers de l’UE. Un « signal positif » qui servira également à créer un effet de cascade pour les banques privées, qui pourraient suivre cette voie. Une telle modification aura également des effets positifs en cascade, en donnant un signal positif important au marché financier et aux banques privées. L’Union européenne compte bien mettre la main au portefeuille, la proposition législative prévoit la mobilisation d’1,5 milliard d’euros du budget de l’UE pour la période 2025-2027, afin de renforcer la compétitivité de la BITDE. Un budget qui sera utilisé pour « prévoir un régime de sécurité d’approvisionnement en équipements de défense à l’échelle de l’UE, fournira un cadre permettant de réagir efficacement à d’éventuelles crises futures d’approvisionnement en produits de défense, permettra le lancement de projets de défense européenne d’intét commun, avec un soutien financier potentiel de l’UE, et mettra en place une structure de gouvernance, à laquelle les Etats membres sont pleinement associés, afin de garantir la cohérence globale de l’action de l’UE dans le domaine de l’industrie de la défense »1. Des mesures qui répondent, selon Thierry Breton à un « objectif existentiel, celui de la protection de nos concitoyens ».

L’Ukraine en toile de fonds

« Nous devons également renforcer notre soutien militaire à l’Ukraine, notamment en soutenant sa base industrielle de défense. Cette stratégie marque un changement de paradigme vers une Union qui sera un acteur fort en matière de sécurité et de défense et un meilleur partenaire » évoque Josep Borrell. Un soutien qui passe nécessairement par une production à un rythme plus important car « l’Ukraine a besoin de 200 000 munitions par mois. Nous voulons soutenir lUkraine et nous devons nous donner les moyens de le faire » poursuit le Haut-représentant. Par ailleurs, avec cette nouvelle stratégie l’Ukraine pourrait bénéficier des programmes d’acquisitions conjoints. « Ce faisant, on prépare pas à pas larrivée de lindustrie de la défense ukrainienne dans lindustrie de la défense européenne » dévoile Thierry Breton. « Si lon veut disposer dune industrie de défense digne de ce nom à l’échelle européenne, cest aujourdhui que nous devons agir » conclut Margrethe Vestager.

1 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_24_1321