La Suède face à la guerre des gangs

30 000 sur 10,4 millions. C’est le nombre de personnes en Suède qui seraient impliquées dans la criminalité liée aux gangs.1 Depuis une dizaine d’années, la situation sécuritaire du pays se dégrade. Ces derniers mois, la violence a passé un nouveau cap. Les fusillades et les attentats à la bombe ne se cantonnent plus aux quelques grandes villes du pays mais atteignent désormais de plus petites communes, ternissant l’image d’un pays “calme et paisible”…

Par Camille Léveillé

Septembre noir”

Septembre 2023 : 12 morts, 61 fusillades.2 La Suède connaît, depuis quelques années déjà, des taux de violences inédits. En 2021, le ratio de mort violente était de 4 pour 1 million de personnes. En comparaison, la moyenne européenne est à 1,6.3 Et, la situation ne va pas en s’arrangeant. Ces derniers mois ont fait basculer le pays dans une nouvelle ère de la violence. Avec près de 300 fusillades en 2022, la Suède détient le taux d’homicide par armes à feu le plus élevé d’Europe. « Aucun autre pays d’Europe ne connaît une telle situation » résumait Ulf Kristersson, Premier ministre conservateur, en septembre dernier.

Impitoyable guerre des gangs

L’escalade de cette violence de ces derniers mois est liée à un affrontement interne au sein de l’un des gangs les plus importants du pays, Foxtrot, un groupe criminel dont les revenus sont principalement issus du trafic de stupéfiants. Rawa Majid, surnommé le “Renard kurde” qui dirige le réseau, est entré en conflit avec un de ses anciens proches, membres du gang, après que ce dernier ait créé sa propre organisation criminelle. En représailles, Rawa Majid a assassiné la mère de son rival en septembre dernier. Depuis ce meurtre, la Suède s’embrase. Selon Nils Duquet, directeur du Flemish Peace Institute et spécialiste du trafic illicite d’armes à feu et de la violence armée en Europe, la facilité d’accès aux armes à feu est un des facteurs permettant aux gangs de continuer à faire des ravages. « Les armes issues de la guerre en ex-Yougoslavie se retrouvent aujourd’hui en Suède. Elles sont acheminées depuis de nombreuses années. Au fil du temps, leur nombre grandit et le volume d’armes en circulation aujourd’hui est significatif. Traditionnellement, l’accès aux armes à feu était compliqué, il fallait avoir des connexions, aujourd’hui cela n’est plus vrai. En 2015, le marché a été inondé par des pistolets factices chargés à blanc mais qui, une fois modifiés peuvent être convertis en véritables armes. Malgré une nouvelle régulation européenne en 2017, qui limite la vente de ces armes factices, force est de constater qu’elles se retrouvent dans de nombreuses fusillades » explique le chercheur. Le gouvernement de la coalition de droite, élu en septembre 2022, remet la faute sur une politique d’immigration jugée laxiste ces dernières années. La Suède a été l’un des Etats européens accueillant le plus de réfugiés, jusqu’en 2016, sa législation en matière d’asile étant alors l’une des plus ouvertes. « Une politique d’immigration irresponsable et une intégration ratée nous ont conduits ici »4 a déclaré le Premier ministre conservateur. L’opposition met en cause des facteurs sociaux. La violence touche aujourd’hui des quartiers défavorisés, dans lesquels les politiques publiques n’ont pas été à la hauteur des besoins des habitants, entraînant de facto une détérioration des services publics dans ces espaces déjà touchés par la pauvreté. Selon Felipe Estrada Dörner, professeur de criminologie à l’université de Stockholm, les facteurs socio-économiques constituent le plus grand risque de basculer dans la criminalité. Une violence qui se répand dans tout le pays. « Si les violences ont commencé dans les trois plus grandes villes du pays, Stockholm, Malmo et Goteborg, aujourd’hui les incidents liés aux armes à feu se répandent sur tout le territoire, cela explique que ce sujet est devenu éminemment politique » note Nils Duquet.

La jeunesse en première ligne

L’une des principales sources d’inquiétude des forces de sécurité du pays réside dans l’âge des auteurs de ces fusillades mais aussi dans celui des victimes. Le 11 septembre dernier, un garçon de 13 ans a été abattu à Handen, au sud de la capitale, dans le cadre d’un règlement de compte. Les chiffres sont impressionnants. En 2022, 45 % des suspects de meurtres et d’homicides involontaires commis avec une arme à feu étaient âgés entre 15 et 20 ans.5 « Le plus souvent ces jeunes ont grandi dans des quartiers défavorisés. Ils se sentent abandonnés. Pour eux, le gang représente une porte de sortie, un moyen d’être respecté. Ils deviennent alors une proie pour les criminels qui se rendent compte que ces jeunes sont prêts à tout, même à tuer » souligne Nils Duquet, et de poursuivre : « Les jeunes sont plus impulsifs. Ils n’hésitent pas à user des armes mises à leur disposition ». Les mineurs constituent une ressource clé pour les criminels : la peine maximale de prison encourue par les mineurs est de 4 ans, pour les adultes elle est de 10 ans minimum.

Quelles solutions ?

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Lors de son intervention télévisée en septembre dernier, le Premier ministre préconisait de recourir à l’armée dans le cadre d’une coopération avec la police. Celle-ci peut désormais faire appel à l’armée pour s’appuyer sur son expertise en matière d’explosif, d’analyse de la sélection des cibles ou encore de l’utilisation des nouvelles technologies. La seconde étape de la réforme souhaitée entend modifier la loi pour abaisser le seuil de gravité de la violence à partir duquel la police peut recourir aux militaires. La priorité est de muscler l’arsenal législatif : « Pour pouvoir lutter contre ce fléau, la Suède doit disposer d’une législation efficace, et nous ne l’avons pas aujourd’hui, car elle date des années 1960 »6 souligne Lise Tamm, procureure générale. Le Gouvernement a proposé d’adopter une loi relative aux « zones de contrôle et de fouille temporaires », qui s’appliquerait dès le début de cette année. Dans ces espaces, la police pourrait contrôler et fouiller toute personne sans même avoir besoin de se justifier. Une autre proposition vise à interdire à une personne de séjourner dans un lieu précis pendant une période donnée afin de prévenir les fusillades et les actes de vengeances. Depuis peu, le recrutement d’enfants pour participer à des activités criminelles est devenu un délit. Du côté de la technologie, 2500 nouvelles caméras devraient être déployées d’ici l’année prochaine. Si la loi est adoptée, la police pourra utiliser la reconnaissance faciale, aidée par de l’intelligence artificielle, notamment pour faciliter l’identification des criminels. Mais, les réponses législatives et répressives seules ne sauraient venir à bout de ce cercle vicieux. « Aujourd’hui, la solution proposée par les pouvoirs publics est largement concentrée sur la répression. Tant que l’on ne s’attaquera pas à la racine du problème, que les jeunes n’auront pas de perspectives d’avenir, le cycle de la violence ne sera pas rompu » déplore Nils Duquet. Les sociaux-démocrates, parti d’opposition, souhaitent axer les mesures sur les plans sociaux et éducatifs. Un renforcement des services sociaux notamment le soir et le week-end dans les zones jugées à risque, une obligation de soins pour les jeunes impliqués ou encore la création de conseils de lutte contre la criminalité juvénile sont quelques-unes de ces propositions. « Il est essentiel d’investir dès aujourd’hui des moyens qui serviront à empêcher la propagation de cette violence à une plus large échelle, notamment européenne » conclut Nils Duquet.

1 https://bit.ly/3Rp3s71

2 https://bit.ly/3NuBzcv

3 https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-suede-face-a-la-violence-meurtriere-des-gangs-1787105

4https://www.epochtimes.fr/plus-de-cameras-plus-de-police-plus-de-militaires-la-lutte-de-la-suede-contre-lextreme-violence-2486443.html

5 Conseil national suédois pour la prévention de la criminalité.