2024: l’année du spatial?

« Toutes les civilisations deviennent soit spatiales, soit éteintes. » nous prédisait l’éminent astrophysicien Carl Sagan. Cette hypothèse semble aujourdhui se vérifier, tant les enjeux liés à l’espace sont devenus cruciaux et devraient augmenter dans les décennies à venir. Du partenariat scientifique et stratégique à la course à la militarisation de lespace, les enjeux liés à l’espace représentent autant dopportunités pour lhumanité que de conflictualités entre puissances. Retour sur une année 2024, qui signe de belles promesses, scientifiques et stratégiques, mais qui devra aussi affronter des risques majeurs en termes de sécurité.

Par Hugo CHAMPION

La guerre des étoilesaura-t-elle lieu?

L’année 2024, qui connaît un conflit de haute intensité avec l’une des plus grandes puissances militaires mondiales, commence par un nouveau risque majeur pour la sécurité collective de l’espace. En février dernier, Mike Turner, président américain de la Commission permanente sur le renseignement de la Chambre des représentants, s’inquiétait d’un projet d’arme nucléaire spatiale russe. Si la menace a été relativisée par John Kirby, porte-parole du Conseil national de sécurité de la Maison Blanche, il n’en demeure pas moins qu’un déploiement d’armes nucléaires présenterait des risques de destruction de satellites et mettrait en péril le Traité de l’espace de 1967, qui interdit le déploiement d’armes nucléaires dans l’espace. Ce contexte sous hautes tensions réinterroge les projets de défense de l’espace aérien, notamment en Europe, où les membres de l’Union européenne renouvellent l’idée d’un bouclier anti-nucléaire commun.

L’European Sky Shield Initiative (ESSI), projet d’un bouclier antimissile européen basé sur une initiative allemande lancé en août 2022 à Prague, interroge la volonté de trouver une solution européenne et communautaire. Thierry Breton, lors de la 34e Conférence Européenne de défense et de sécurité en octobre dernier mettait en exergue le développement technologique supporté par le Fonds Européen de Défense (FED) de deux solutions d’intercepteurs hypersoniques. L’annonce du Commissaire européen au marché intérieur renvoie l’Allemagne à sa réelle volonté de penser une défense collective souveraine et communautaire. Et d’expliquer : « autant de briques qui pourraient constituer, le moment venu, les bases d’un véritable bouclier européen de défense aérienne et anti-missile, un Eurodôme ». L’année 2024 devrait, avec une potentielle réélection de Donald Trump à la Maison Blanche, remettre au premier plan la question d’une puissance commune de dissuasion, sans l’OTAN.

La Chine, quant à elle, a rendu son « livre bleu » de l’espace en février dernier, dans lequel elle annonce vouloir devenir la première puissance spatiale en 2030. Si l’Inde a inauguré en août dernier son premier robot sur le sol lunaire – l’alunisseur Vikram –, son rival chinois entend faire de cette année 2024 un bond en avant dans la course à la puissance spatiale. La China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC), principale force de l’industrie spatiale du pays, prévoit à elle seule d’effectuer près de 70 missions de lancement spatial en 2024, plaçant ainsi plus de 290 engins spatiaux dans l’espace.

Programmes à la pointe et clubs très fermés

En février 2023, l’armée américaine a abattu un ballon chinois considéré par le Pentagone comme un ballon espion. Dès lors, les enjeux liés à la zone dite de « très haute altitude » (THA), qui se situe entre l’espace aérien et le début de la zone orbitale1, sont apparus comme hautement stratégiques. « Depuis de nombreuses années, lespace aérien traditionnel et lespace extra-atmosphérique procurent des intéts économiques et militaires aux grandes puissances. La très haute altitude, elle, na suscité jusqu’à maintenant que très peu dactivités »2, explique au Salon du Bourget 2023 le colonel Guillaume Bourdeloux, directeur général du Salon international de l’aéronautique et de l’espace de Paris-Le Bourget.

Les réglementations et la juridiction de la THA présentent des contours encore flous, ce qui offre des opportunités significatives d’étendre le champ d’application de la puissance aérienne. En effet, l’exploitation de cette zone connaît des applications envisagées dans le domaine de la communication, de la surveillance, en matière de renseignement et de guerre électronique.

La France développe de nombreux programmes pour répondre aux enjeux de ce nouvel espace en plein essor. Le lancement de Stratobus, plateforme stratosphérique dont le développement est piloté par Thales Alenia Space, avec cinq industriels français et deux partenaires étrangers, est prévu fin 2025. Ce dirigeable destiné au renseignement militaire, autonome grâce à l’énergie solaire, est capable d’emporter 250 kg de charge à 19 km de haut. Doté d’un radar haute portée, de la 5G et d’antennes de guerre électronique, il couvre une zone de 1000 km de diamètre. En janvier dernier, la Direction Générale de l’Armement a diffusé un premier aperçu du planeur hypersonique V-MAX. L’engin, développé par ArianeGroup avec le soutien de l’Onera (laboratoire public français de l’aérospatial), s’inscrit dans le développement des planeurs hypersoniques qui rebondissent sur les hautes couches atmosphériques et dont la vitesse et la manœuvrabilité remettent en question les capacités de défense et de surveillance contemporaines. La France rejoint alors le club fermé des Etats qui possèdent de tels programmes, comme la Russie, la Chine et les Etats-Unis. Une deuxième version du VMaX devrait voir le jour et être testée fin 2024 ou en 2025.

La découverte de lespace: une aventure collective?

Si l’espace est devenu un théâtre de conflits entre grandes puissances, il offre également des possibilités de nouer des partenariats stratégiques. Au niveau européen, alors que les deux programmes phares de l’Agence spatiale européenne (ESA), Arianne 6 et Vega-C, ont récemment connu des déconvenues, le sommet spatial de Séville qui s’est tenu en novembre dernier a permis de pérenniser l’avenir du spatial européen. Après le lancement de la dernière fusée Ariane 5 en juillet 2023, les pays européens ne disposent plus de lanceurs spatiaux. Cette situation, inédite depuis 44 ans, est source de préoccupations. Mais l’Europe, qui détient un savoir et une technicité réputés, doit œuvrer à lever des faiblesses industrielles et commerciales qui menacent son autonomie dans le domaine. A l’issue du sommet, la France a réussi à trouver un compromis avec l’Allemagne et l’Italie pour financer à hauteur de 340 millions d’euros par an le programme Ariane 6. Cette décision augure un premier jalon posé sur la route de l’autonomie stratégique. La France noue également des partenariats avec la Chine, à travers une mission conjointe entre le CNES et l’administration spatiale nationale chinoise (CNSA), qui doit étudier les plus lointaines explosions d’étoiles, les sursauts gamma. A l’heure des ingérences chinoises qui font rage et de la guerre des puissances qui se renforce, avec des menaces à ne pas sous-estimer qui pèsent sur le Vieux continent, ce partenariat questionne. Sur le plan international, Djibouti est rentré en novembre dernier dans le cercle restreint des pays africains dotés de son propre satellite. La république africaine pourra compter, grâce au lanceur de SpaceX, sur Djibouti 1A pour collecter en temps réel des données sur les évolutions environnementales, notamment sur la sécheresse, véritable enjeu national. Le lancement du deuxième satellite du pays est prévu pour le premier trimestre 2024. La présence forte de la Chine sur la base de Djibouti n’est pas non plus sans rappeler la dynamique — bien que le régime de Xi Jinping s’en garde — de volonté expansionniste et de stratégie de puissance du pays.

Dans la course à l’Espace, la coopération s’impose, tant la découverte de ce qui se passe au-dessus de nos têtes a toujours inspiré l’Homme. La France et l’Europe détiennent des atouts considérables pour répondre aux enjeux de demain. Mais le chemin vers les étoiles ne sera pas une trajectoire tranquille. En route pour les étoiles en gardant la tête sur les épaules pour ne pas rater le virage de l’Espace !

1 La limite basse de la THA se situe entre 15 et 18 km d’altitude tandis que la partie supérieure se situe entre 100 et 160km d’altitude.

2 https://www.defense.gouv.fr/salon-du-bourget-2023-dossier/tres-haute-altitude-nouvel-espace-conflictualite.