Mayotte, de l’île aux parfums à la fragrance de la peur

Crises sécuritaire, hydrique et migratoire, Mayotte est sous le feu des projecteurs après la recrudescence des épisodes de violences fin 2023. Mais la situation se dégrade depuis de nombreuses années déjà. L’ile paradisiaque des années 1990 a laissé peu à peu place à une île dévastée par la violence des gangs, l’immigration clandestine, la manque d’eau et l’explosion de la pauvreté.

Par Mélanie Bénard-crozat

Pauvreté, chômage, immigration clandestine : l’île de tous les records

Devenu le 101e département français en 2011, Mayotte cumule les records et les difficultés structurelles. L’âge moyen y est de 23 ans selon l’INSEE, en faisant ainsi le plus jeune de France, contre 41 ans en métropole. Le nombre de naissances est souvent un record. Chaque année depuis 2012, la population augmente de 3,8%, toujours selon les statistiques de l’INSEE culminant à 310 000 selon une note de janvier 2023. Le taux de chômage est lui aussi le plus important de France atteignant les 70%. Au deuxième trimestre de 2022, l’INSEE évaluait le taux d’emploi des 15-64 ans à seulement 30%. Un nouveau triste record selon les spécialistes. Mayotte affiche un taux de pauvreté cinq fois plus important qu’en métropole soit 77% (contre 14,6% au niveau national). Le niveau de vie médian des habitants de Mayotte est sept fois plus faible qu’au niveau national, le PIB par habitant : quatre fois inférieur. Pour autant, l’archipel fait figure de territoire riche face à ses voisins immédiats, les Comores — le pays le plus pauvre au monde — et Madagascar qui alimentent toutes deux massivement l’immigration clandestine. Toujours selon l’INSEE, la moitié des habitants de Mayotte ne possède pas la nationalité française. Toutefois, près d’un tiers de ces mêmes personnes étrangères sont nées sur le sol mahorais. Un excédent migratoire qui contribue à l’augmentation de la population, multipliée par 4 en 30 ans, principalement alimenté par les Comores voisines qui se situent à seulement 70 km. Les immigrés comoriens, rejoints par des ressortissants de pays d’Afrique de l’Est, composent plus de 48% de la population du département français.

Une conjonction de points qui donne naturellement naissance à un sentiment d’insécurité fort et grandissant. Sentiment légitime confirmé par une réalité écrasante : gendarmes en faction devant les écoles, habitants barricadés dans leurs maisons, trois fois plus de vols avec ou sans violence qu’en métropole… « On ne peut pas fermer les yeux le soir. On a peur de sendormir au cas où il y ait une intrusion. Il nous faut la sécurité qu’il n’y a pas à Mayotte. » témoigne Riziki Saindou, Président de l’association Mayotte Grand Paris.1 Touchés par une pénurie d’eau sans précédent due à une sécheresse exceptionnelle, à un manque d’infrastructures et d’investissements, les Mahorais cumulent les difficultés.

Des réponses sécuritaires et humanitaires

Face à l’insécurité croissante, le gouvernement a lancé l’opération de lutte contre l’immigration illégale et de destruction des bidonvilles baptisée « Wuambushu » (« reprise » ou « poil à gratter« , en mahorais). L’objectif était de dissoudre les bidonvilles locaux, où la violence règne en maître, et interpeller 60 chefs de bande, reconduire près de 10 000 sans-papiers vers les Comores et faire baisser drastiquement l’insécurité sur l’île. Les effectifs de police et de gendarmerie ont été doublés en trois ans sur l’île selon les sources du ministère de l’Intérieur. «Six unités de force mobile (près de 450 gendarmes) sont déployées de manière permanente, dont l’arrivée début 2024 d’un peloton d’intervention de la garde républicaine » décrit-on place Beauvau. Une quinzaine de gendarmes du GIGN ont renforcé les effectifs sur place pour mener des nouvelles opérations coup de poing. Une Task Force Police Judiciaire a également été créée pour renforcer les capacités d’investigation des unités locales. Elle pourra être complétée par les enquêteurs de l’Unité nationale de police judiciaire de la gendarmerie. La levée des barrages mis en place par des habitants désabusés témoignent des premiers résultats obtenus mais l’annonce de Wuambushu2 atteste qu’il reste beaucoup à faire pour assainir la situation sur l’archipel.

Autre moyen pour lutter contre l’immigration illégale qui a suscité de nombreux débats : la fin du droit du sol à Mayotte annoncé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en février. « Il ne sera plus possible de devenir Français si l’on n’est pas soi-même enfant de parents français » a-t-il déclaré, annonçant un projet de révision constitutionnelle pour y parvenir. Des chercheurs doutent pourtant de l’efficacité de la mesure, et évoquent une possible « atteinte disproportionnée à l’indivisibilité de la République ».

Quelles solutions en devenir ?

Il s’agit de répondre à une « une accumulation de problèmes » qui n’ont pas été gérés comme les problématiques liées à l’eau, souligne Riziki Saindou — coupures d’eau à répétition, pénuries de plus en plus importantes, menaces sanitaires qui se multiplient, risques d’épidémies en hausse — et de poursuivre : « c’est un gros problème de santé publique ajoutée à une insécurité exponentielle ». Pour faire face, l’ONG Solidarités procède déjà dans certains quartiers, à la distribution de filtres. S’ils ne permettent pas d’avoir une eau potable qui réponde aux normes de conformité établies par l’Agence régionale de santé, l’utilisation de ces filtres permet d’obtenir une eau débarrassée à plus de 99% des bactéries. L’idée, à terme, c’est de convaincre les autorités sanitaires de se saisir de ces solutions pour permettre aux personnes de ne pas tomber malades. Des solutions alternatives à travers la récupération, le stockage et l’utilisation de l’eau de pluie sont également développées. « La récupération de leau de pluie est intéressante dans la mesure où cela peut se faire au niveau local, ça ne coûte pas cher et cest rapide à mettre en place. » témoigne Anthony Bulteau, coordinateur terrain à Mayotte pour l’ONG.2

L’Etat, entre autres mesures, annonçait en février, le maintien du gel du prix de vente de l’eau embouteillée dans les commerces jusqu’au 15 avril. Les autorités ont également décidé de la mise en place du stock stratégique dans les administrations et les collectivités locales. Ce stock de précaution pourra ainsi être distribué en cas de rupture ou de nécessité. Mohamed Fahardine, vice-président du Medef, témoigne de l’impact économique de cette crise : « les entreprises nen peuvent plus et nous nous dirigeons vers une insécurité alimentaire »déclare-t-il.3 Maymounati Ahamadi, conseillère départementale, a proposé de lister les dommages engendrés par les actes de délinquance et les blocages afin que les élus puissent faire débloquer une enveloppe à destination du monde économique.

Quant au sujet du droit du sol, « il ne va pas réduire tous les problèmes ». Pour le Président de l’association Mayotte Grand Paris il faut « renforcer les contrôles aux frontières mahoraises. »4 Une proposition qui va dans le sens de ce que les élus de Mayotte proposent en demandant au gouvernement d’autoriser l’action de Frontex pour sécuriser les frontières et d’accorder un titre de séjour aux bacheliers d’origine étrangère « qui ne peuvent ni rester ni être expulsés, situation qui créé un terreau propice au développement de la délinquance » peut-on lire dans les documents officiels. Ils proposent aussi l’encadrement militaire des jeunes délinquants dans le cadre de travaux d’intérêt éducatif pour les mineurs ou d’intérêt général pour les majeurs et souhaitent la mise en place d’une dotation exceptionnelle à la police municipale pour augmenter leur capacité de flagrance et leur réaction rapide sur le terrain.

Parmi les 19 pistes évoquées, figurent aussi l’abrogation du titre de séjour territorialisé, la fin du régime juridique d’exception, la mise en place de l’état d’urgence sécuritaire et la fin de la délégation de mission régalienne à des associations « dont l’activité engendre un appel d’air et provoque des tensions communautaires croissantes à Mayotte » et l’interdiction d’implantation de nouveaux camps de migrants sur le territoire.

Les élus souhaitent organiser prochainement un congrès et émettre ses propositions au gouvernement et regrettent l’insuffisance des réponses apportées par l’Etat face à ces phénomènes qui déstabilisent le département de Mayotte.5

Face à la recrudescence des insultes et agressions, Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental, a rappelé que le combat des Mahorais devait être contre l’immigration clandestine et non dirigé contre les étrangers ajoutant que « toute personne prête à collaborer avec Mayotte est la bienvenue sur notre territoire ! »

Un projet de loi d’urgence sera présenté le 22 mai à l’Assemblée nationale. La conseillère départementale espère« renouer le lien avec la population en colère » et attend « une réponse forte ». Maymounati Moussa Ahamadi fonde ses espoirs sur cette future loi : « Le Conseil Départemental ne fait pas la loi, mais 120 propositions qui sont le choix des Mahorais » explique t-elle et de conclure : « cette loi ne sera pas une loi dexception, au contraire, cest un premier pas vers le droit commun ».6

1 https://la1ere.francetvinfo.fr/fin-du-droit-du-sol-a-mayotte-qu-en-pensent-les-mahorais-qui-vivent-en-ile-de-france-1464789.html

2 https://www.solidarites.org/fr/en-direct-du-terrain/a-mayotte-des-solutions-alternatives-pour-parer-a-la-crise-de-leau/

3 https://lejournaldemayotte.yt/2024/02/02/19-propositions-des-elus-de-mayotte-au-gouvernement-contre-linsecurite-et-limmigration-clandestine/

4 https://la1ere.francetvinfo.fr/fin-du-droit-du-sol-a-mayotte-qu-en-pensent-les-mahorais-qui-vivent-en-ile-de-france-1464789.html

5 https://lejournaldemayotte.yt/2024/02/02/19-propositions-des-elus-de-mayotte-au-gouvernement-contre-linsecurite-et-limmigration-clandestine/

6 https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/maymounati-moussa-ahamadi-et-soihirat-el-haddad-on-attend-quelqu-un-de-paris-entre-ce-jeudi-et-la-semaine-prochaine-1462965.html