Identités numériques : de nouveaux usages dans le monde

Aide au développement, inclusion financière, protection des mineurs en ligne, transition numérique de secteurs industriels… les identités numériques favorisent l’émergence de nouveaux usages au service des citoyens, utilisateurs-consommateurs à travers le monde. Parfois combinées à d’autres technologies comme la blockchain, elles jouent aujourd’hui un rôle clé pour faciliter l’accès au numérique et renforcer la confiance de leurs utilisateurs.

Par Amélie Rives


Lidentification biométrique pour laide au développement

Les Mercy Corps au Nigéria, Cash Consortium et Concern Worldwide en Somalie ou encore BRAC au Bangladesh, partagent la même préoccupation : éviter que des bénéficiaires non éligibles ou des usurpateurs d’identité n’empêchent les bénéficiaires légitimes de recevoir les aides qui leur sont destinées. Pour y répondre, elles se sont alliées à Simprints, qui ambitionne de renforcer la transparence et l’efficacité de l’aide au développement grâce à ses solutions d’identification et d’authentification biométriques. Le dispositif ? « Vero », un scanner d’empreintes biométrique développé avec les acteurs de terrains, « Simprint IDApp », une solution d’identification numérique biométrique conçue pour capter même des empreintes digitales abîmées, et une application mobile permettant de capter des images biométriques depuis l’appareil photo d’un téléphone ou d’une tablette… avant de les stocker de façon sécurisée et chiffrées dans le Cloud pour pouvoir les supprimer de l’appareil. Facilement intégrable aux solutions mobiles des acteurs de terrain comme Dimagi, ODK, Magpi ou Medic Mobile, utilisés par les soignants opérants dans les bidonvilles de Dhaka avec l’association BRAC, il permet de retrouver avec rapidité et fiabilité les dossiers médicaux des patients et d’assurer le suivi des soins et services fournis. Quant à Gavi, l’Alliance pour les Vaccins, c’est pour améliorer la couverture vaccinale dans les pays en développement qu’elle s’est alliée à Simprints et NEC Technologies en 2019. Près 20 millions d’enfants ne reçoivent encore aucune série complète de vaccins aujourd’hui1, notamment dans des pays où ils ne sont pas automatiquement enregistrés à la naissance et échappent ainsi aux campagnes de vaccination. Objectif de ce partenariat : créer pour les enfants de 1 à 5 ans des identités numériques liées à un dossier médical en combinant le scanner biométrique d’empreintes digitales de Simprint et le moteur d’authentification d’empreints de NEC. D’après des tests réalisés dès 2020 en Tanzanie, en Bangladesh ou encore au Ghana, la solution aurait permis une authentification extrêmement précise, avec un taux de certification de 99 %2. Dans l’Est du Ghana, le déploiement de ce dispositif à plus large l’échelle permettra désormais « d’améliorer la couverture et les taux d’achèvement des vaccinations essentielles qui protègent notre population et d’économiser l’argent et les ressources dont notre système de santé a tant besoin. » se réjouissait le Dr Alberta Adjebeng Biritwum-Nyarko, du Service de santé du Ghana.3

En Ethiopie, lidentité numérique pour faciliter linclusion financière

Selon la Banque mondiale, près de 850 millions de personnes dans le monde n’avaient pas de carte d’identité officielle fin 2022. L’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud seraient principalement concernés. Des zones géographiques dans lesquelles la sécurité et la résilience des technologies et des infrastructures financières sont souvent précaires. Autant de freins à l’inclusion financière pour des populations encore trop éloignées des services financiers. En Ethiopie, si 46% des plus de 15 ans détenaient un compte auprès d’une institution financière en 2022, seuls 11% de cette même population possédaient une carte bancaire et 26% avaient déposée de l’argent dans une banque physique ou mobile4. En cause : l’insuffisance de fonds disponibles, le manque de confiance dans les institutions financiers, et l’absence de documentation officielle. Des obstacles que les dispositifs d’identité numérique sécurisés peuvent contribuer à surmonter. Le programme national d’identification (NIDP) éthiopien enregistre et fournit des numéros d’identification numérique uniques pour chaque résident. L’objectif d‘ici à la fin 2025 est d’atteindre les 70 millions de citoyens et résidents enregistrés. Cette identité numérique sera bientôt obligatoire pour toute opération bancaire et transaction avec les institutions financières, ont annoncé les autorités nationales. Cette ambition s’appuie sur le programme Fayda du NIDP et son numéro d’identification numérique à 12 chiffres, lancé en 2022 et qui aurait enregistré 3,5 millions de participants au cours de sa phase pilote. Ce programme fournit une preuve d’identité unique sur le principe « une personne, une identité » et donnera à terme, accès à tous les services numériques du pays. Vérification d’identité pour les clients des banques, confidentialité et sécurité des données bancaires, Fayda promet aussi de contribuer plus largement à la transparence, la stabilité et la sécurité du secteur financier et de sa numérisation massive. Pleinement opérationnel dans le courant de l’année 2024, il devrait encourager la transformation numérique de l’Ethiopie et renforcer l’inclusion financière, notamment des femmes, mais aussi des populations les plus précaires et moins éduquées, et les communautés rurales.5

Lidentité numérique pour assurer la protection des mineurs en ligne

Selon l’Association E-enfance, 82% des mineurs ont déjà été exposés à des contenus pornographiques en ligne. « C’est en quelque sorte une effraction psychique, une forme de violation de l’intimité de l’enfant. C’est très destructeur, un véritable traumatisme. » alerte Justine Atlan, directrice générale de l’association. En octobre 2023, la loi française « Sécuriser et réguler l’espace numérique » ouvrait la voie au blocage et référencement des sites pornographique en infraction sur les moteurs de recherche par l’Arcom. L’objectif est bien de contraindre ces sites à mettre en place des outils fiables et sécurisés de vérification de l’âge de leurs visiteurs. Depuis, les expérimentations techniques se multiplient pour développer des solutions permettant d’évaluer de façon fiable l’âge de leurs utilisateurs tout en préservant leur anonymat. Car si des dispositifs de vérification de la majorité existent, il s’agit souvent d’instruments déclaratifs facilement contournables par les mineurs et les fraudeurs ou de mécanismes exigeant la présentation d’une carte bancaire ou autres documents d’identité, à laquelle les utilisateurs sont souvent réfractaires — et pour cause. Pour répondre à ce double enjeu de sécurité et de fiabilité, une « preuve de majorité » sous forme d’une attestation digitale stockée dans un portefeuille numérique et présentable en un clic sur un site web depuis un téléphone ou un ordinateur, pourrait permettre de garantir que seul les utilisateurs autorisés (en âge légal) ont accès à certains contenus et services. C’est le pari que fait Archipels avec son portefeuille d’identité décentralisée, qui permet de générer et stocker cette attestation valable à vie sur tous les sites partenaires de l’entreprise. Le fonctionnement est simple : l’internaute souhaitant accéder à un site protégé ou acheter un produit réservé aux majeurs pourra d’abord prendre sa pièce d’identité en photo, et la date de naissance fera l’objet d’une reconnaissance intelligente qui permettra d’en déduire son âge. Autre solution : prendre en photo son visage, qu’un algorithme d’IA analysera pour estimer son âge. Un dispositif qui peut être appliqué aux sites réservés aux adultes, y compris les jeux en ligne, mais aussi aux bookmakers, sites de vente d’alcool en ligne, etc. Au Royaume Uni, l’application Yoti a elle aussi intégré une solution d’identité numérique, le Digital ID connect, un réseau d’identités numériques « réutilisables », parmi son arsenal d’outils assurant la vérification de l’âge des internautes sur certains sites restreints.

Agritrust, une identité numérique pour favoriser le développement du numérique agricole

La transformation numérique du secteur agricole s’accompagne d’une dématérialisation croissante des démarches administratives. Pour simplifier et sécuriser les transactions dématérialisées (télédéclarations PAC, signatures des contrats de vente des productions, etc.), Agritrust, solution d’identité numérique développée spécifiquement pour le secteur agricole, établie via FranceConnect et le Registre National des Entreprises, permet de lier l’identité des exploitants agricoles avec celle de leur exploitation.Enregistrée de façon sécurisée dans une application mobile, Agritrust, permet de stocker et chiffrer l’identité numérique agricole mais aussi aux exploitants de s’identifier et d’effectuer des démarches et achats sécurisés, authentifiés et instantanés, en ligne comme en physique. L’identité numérique agricole permet également de garantir la prise en compte du consentement des exploitants quant à l’usage de leurs données non personnelles, rendue obligatoire par le Data Governance Act. Mise au point par Agdatahub, la plateforme européenne d’intermédiation de données agricoles et agroalimentaires, et conçue en co-innovation avec des acteurs clés de l’écosystème industriel français comme Orange Business Services, IN Groupe ou encore Dawex, elle est accessible aux 380 000 exploitations agricoles françaises et aux 10 millions d’exploitations européennes.

La blockchain pour gérer les identités numériques 

Après l’Estonie en 2015, c’est au tour de l’Amérique du Sud de se tourner vers la blockchain pour gérer les identités numériques. Fin 2023, le Brésil se lançait ainsi dans l’émission de documents d’identification numériques pour ses plus de 214 millions de citoyens. Les États de Rio de Janeiro, Goiás et Paraná seront les premiers à adopter cette carte d’identité numérique basée sur une blockchain privée développée par le Serpro, le service national de traitement des données du Brésil, et reposant sur b-Cadastros, la blockchain du service fiscal. Les nouvelles cartes d’identité seront dotées d’un QR code permettant aux utilisateurs d’en générer un « double numérique ». Objectifs : remplacer les traditionnelles documents papier, centraliser le système d’identification civile du pays, et fournir un système d’authentification pour faciliter et sécuriser l’accès aux services publics. En Argentine, les résidents de Buenos Aires peuvent désormais accéder à leurs documents d’identité via un portefeuille numérique basé sur une blockchain. Un dispositif basé sur QuarkID développé par l’entreprise Web3 Extrimia, alimenté par la technologie zkSync Era et son protocole basé sur Ethereum. Il permet aux habitants d’accéder à leurs certificats de naissance, de mariage, à leurs déclarations de revenus et certificats académiques. Les données de santé et de gestion des paiements devraient à termes y être intégrées. Des réflexions sur l’utilisation de la blockchain pour la gestion de l’identité numérique sont également en cours en Europe, où la blockchain est listée parmi les « services de confiance » d’un nouveau cadre pour une identité numérique européenne prévu par le règlement e-IDAS 2.

1Gavi, NEC, and Simprints to deploy world’s first scalable child fingerprint identification solution to boost immunisation in developing countries

2Gavi, NEC, and Simprints to deploy child fingerprint solution to boost immunization: Press Releases | NEC

3What are biometrics and how can it be responsibly used to help tackle malaria? | World Economic Forum (weforum.org)

4Data (worldbank.org)

5https://microdata.worldbank.org/index.php/catalog/3823/download/50748