L’intelligence décisionnelle : un impératif stratégique pour une excellence gouvernementale

Selon Gartner, d’ici 2024, 60 % des investissements gouvernementaux en matière d’IA et d’analyse des données influenceront directement les décisions et les résultats opérationnels en temps réel.

Quelle place pour l’intelligence décisionnelle ? Comment l’IA peut-elle avoir un impact significatif sur les individus, les entreprises et les gouvernements ? Comment les gouvernements s’adaptent-ils au changement ?

Par Mélanie Bénard-crozat

Des impacts positifs de l’IA

Avec des services personnalisés, prédictifs et préventifs dans des domaines aussi divers que l’éducation, la planification des transports et la lutte contre les incendies, de meilleurs résultats peuvent avoir un effet multiplicateur sur l’économie et la vie des citoyens. Le National Health Service du Royaume-Uni a mis en place une base de données nationale d’imagerie thoracique COVID-19.1 Ask Jamie à Singapour, un assistant virtuel, aide les citoyens et les entreprises à s’orienter dans les services publics de quelque 70 agences gouvernementales par le biais d’un chat et d’une voix alimentés par l’IA.2 Le pays aurait investi 371 millions de dollars dans l’innovation en IA. « L’accessibilité massive de l’IA est un grand bouleversement. Elle va permettre des performances exponentielles, dans la recherche pour trouver des nouveaux médicaments, dans l’enseignement pour mieux adresser les besoins spécifiques de chaque élève. En matière de prédiction, les avancées pourraient être considérables. Selon une étude de Harvard Medical School, la data permettrait de prévoir à 98% si une femme va contracter un cancer du sein dans les 5 prochaines années… Dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, l’IA peut permettre de mieux prédire la demande, la météo, les expéditions et donc réduire ce chiffre désastreux : plus de 30 % de la nourriture est aujourd’hui gaspillée dans le monde. » témoigne Frédéric Genta, délégué interministériel en charge de la transition numérique de la Principauté de Monaco, à Davos. Dans les pays du Golfe, les stratégies nationales d’IA se voient allouer des moyens financiers colossaux. L’Arabie saoudite y a investi 500 milliards de dollars. Selon PwC Middle East, l’IA pourrait contribuer à près de 14 % du produit intérieur brut (PIB) des Emirats arabes unis d’ici 2030 et son impact dans le secteur public devrait avoisiner les 23 %. Elle pourrait toucher directement les flux de trésorerie des gouvernements et lutter contre l’évasion fiscale (analyse avancée pour détecter la fraude et les paiements incorrects dans les systèmes de subventions et de transferts). Des investissements capables d’accélérer une diversification nécessaire en dehors du pétrole et du gaz à mesure que le monde s’éloigne progressivement des combustibles fossiles. Grâce à l’amélioration de l’efficacité opérationnelle et de l’expérience des citoyens, l’IA pourrait permettre aux gouvernements d’économiser jusqu’à 447 milliards de dollars d’ici 2026, selon Accenture.

Quid de l’intelligence décisionnelle ?

Les gouvernements sont confrontés au besoin pressant de prendre des décisions plus rapides et plus précises qui ont un impact sur les résultats opérationnels. Identification et réponse rapide aux risques, efficacité opérationnelle accrue, allocation ciblée des ressources ou encore amélioration des services aux citoyens, la liste des promesses établies en matière d’intelligence décisionnelle par des entreprises comme Neyo Ltd, ou TECHVIFY Software est longue. Pour améliorer ces processus de prise de décision, les plateformes basées sur l’IA permettent une automatisation de la réponse aux incidents grâce à la surveillance et à l’analyse en temps réel des performances du système qui permet de détecter les anomalies et lancer des processus de remédiation, réduisant ainsi les temps d’arrêt et les interruptions de service. Dans la formulation des politiques, l’IA peut contribuer à l’analyse de vastes quantités de données afin d’identifier les tendances et de prédire les résultats des décisions politiques. Selon McKinsey, l’IA pourrait ajouter jusqu’à 1,4 point de pourcentage de croissance supplémentaire du PIB par an pour les pays qui l’intègrent pleinement dans leur économie d’ici à 2030.3 « Cela induit une réduction du temps moyen de résolution (MTTR), une amélioration des niveaux de service, une réduction des coûts grâce à l’automatisation et l’optimisationdes tâches opérationnelles »4 soutient le dirigeant de Neyo, Chirag Karnik. La ville de Los Angeles a réussi à améliorer la disponibilité de ses services critiques tout en minimisant les pannes et les interruptions en utilisant cette plateforme. L’Etat de Californie a détecté et répondu de manière proactive aux menaces de cybersécurité. Le Département de la défense des États-Unis (DoD) a lui optimisé son infrastructure informatique, réduisant les coûts opérationnels et améliorant l’efficacité globale, selon Chirag Karnik. La sécurité publique explore les modèles d’apprentissage automatiques qui analysent les données historiques pour prévoir les points chauds de la criminalité et permettre un maintien de l’ordre proactif, mais aussi pour améliorer l’anticipation des catastrophes naturelles et renforcer la coordination des activités d’intervention d’urgence. Tout cela repose sur la qualité et la disponibilité de la donnée. Mais Gartner le soutient : « l‘intégration de l’IA pour l’intelligence décisionnelle n’est plus une option mais un impératif stratégique qui façonnera le cours de l’excellence gouvernementale dans les années à venir ».

Des obstacles majeurs pour les gouvernements

Les gouvernements vont devoir adresser quelques défis : manque de talents spécialisés, investissements limités dans la recherche et l’innovation, réglementations souvent imprécises visant à garantir que l’IA est appliquée de manière éthique, sûre, transparente et centrée sur l’humain dans tous les secteurs.5

Autre défi : les données cloisonnées et de mauvaise qualité. Garantir la précision des informations issues de l’IA et établir des cadres de gouvernance solides pour garantir une utilisation éthique et responsable de l’IA est vital. Pour répondre aux challenges, des réglementations en matière d’IA ; une main-d’œuvre hautement qualifiée ; une recherche et une innovation de pointe mondialement reconnues ; une combinaison de financements nationaux et étrangers et une infrastructure informatique et de données de classe mondiale seront nécessaires. L’Europe a ouvert très nettement la voie avec une réglementation de l’IA basée sur les risques. En créant un cadre de gestion des risques et de conformité, « cela permet de continuer à innover et à déployer l’IA à un rythme sûr » soutiennent certains experts. « Le défi de l’IA n’est pas technologique mais humain. Nous devons maitriser et utiliser la pleine quintessence de ce dont nous disposons. Ce changement peut être fantastique mais aussi dramatique. Il faut donc réguler, être prudent car les humains sont en train de perdre le contrôle. Former, sensibiliser et informer est crucial. Il faut tester, entraîner. L’IA est une culture de l’humanité. » poursuit Frédéric Genta.

En matière de formation, la Finlande a lancé dès 2018 des cours disponibles dans plus de 20 langues et suivis par près de 750 000 personnes dans le monde.6 SAP Labs Singapore, un centre d’innovation, devrait former en IA environ 500 professionnels en début de carrière d’ici 2025.7

Côté recherche et innovation, le gouvernement américain a annoncé l’octroi d’une subvention d’un milliard de dollars pour la création de 12 nouveaux instituts de R&D sur l’IA et l’information quantique.8 Le ministère britannique de la recherche et de l’innovation s’est engagé à consacrer 530 millions de livres sterling à la R&D dans le domaine de l’IA.9

« L’IA va surtout nécessiter des infrastructures pour se développer : des plateformes de données, du cloud computing et des puces ; et des investissements. Cette croissance va être exponentielle. Et tout gouvernement, tout investisseur doit intégrer l’IA dans sa stratégie. » ajoute le représentant monégasque. Rappelons que 25% du capital risques est dépensé en IA aujourd’hui.

Si le développement de l’IA est abordé avec discernement, elle pourrait transformer fondamentalement les sociétés du monde entier. Selon le McKinsey Global Institute elle pourrait générer une production économique mondiale supplémentaire d’environ 13 000 milliards de dollars d’ici 2030, stimulant le PIB mondial d’environ 1,2 % par an.10

1 “SMART box boosts regional data to the NCCID,” NHS England, April 1, 2021.

2 “‘Ask Jamie’ virtual assistant,” GovTech Singapore, accessed June 1, 2022.

3 bit.ly/48OBZ5w

4 bit.ly/48LEsxE

5 Kevin Buehler, Rachel Dooley, Liz Grennan, Alex Singla, “Getting to know—and manage—your biggest AI risks,” McKinsey, 2021.

6 “Welcome to the Elements of AI,” Elements of AI, 2022.

7 bit.ly/3IwetiW

8 Michael Kratsios and Chris Liddell, Trump White House Archives, August 26, 2020 ; Kyle Wiggers, VentureBeat, August 26, 2020.

9 Transforming our world with AI: UKRI’s role in embracing the opportunity, UK Research and Innovation, February 2021.

10 bit.ly/3IuTw7Z