Perspectives de la filière sécurité : excellence, croissance et 2.0

Perspectives de la filière sécurité : excellence, croissance et 2.0

« Depuis deux ans, beaucoup a été fait », souligne Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Une cartographie nationale de référence de ce marché et des acteurs a été établie, des actions coordonnées et concrètes en matière de promotion de la filière au plan européen et international ont été conduites, une première expression de besoin mutualisée a été réalisée, des démonstrateurs et plateformes technologiques associant les centres de recherche et l’industrie ont été lancés.

Autant d’actions qui dévoilent une filière d’excellence qui va désormais poser les pierres de la consolidation pour les deux prochaines années sous l’empreinte 2.0… 

Des forces et des faiblesses identifiées

Structurer un marché. Oui. Mais pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient…

Un travail colossal mais nécessaire a été ainsi réalisé dans l’ombre. À tel point que certains trouvaient les actions bien lentes de la filière à se concrétiser. Mais se structurer demande du temps… et de la connaissance ! Grâce à une étude menée durant plusieurs mois et publiée en novembre dernier par le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Économie et le CICS, nous savons désormais à quoi ressemble le tableau de la sécurité en France, en Europe et dans le monde.« Un beau tableau, porteur d’avenir », a souligné Émile Pérez, directeur de la coopération internationale au sein du ministère de l’Intérieur, non sans rappeler que la DCI est un acteur de la chaîne capable d’accompagner les entreprises nationales dans la promotion de leurs produits et de leurs technologies dans le domaine de la sécurité mais aussi dans le développement à l’international et de la protection de leurs expatriés si besoin est, grâce au maillage des 75 attachés de sécurité intérieure représentant 153 pays.

Porteur d’avenir, en effet. Chiffres à l’appui, cette filière d’excellence pèse 60 milliards d’euros au plan national. Le secteur marchand de la filière de sécurité représente sur le sol national 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 50 % sont réalisés à l’export. Cela représente plus de 300 000 emplois marchands et près de 600 000 emplois publics.

Un concurrence internationale forte

La filière française agit au sein d’un marché international très porteur qui couvre des sujets aussi divers que la protection des grandes infrastructures publiques et privées, la sécurité des transports, la gestion des frontières, le secours aux personnes, la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, la gestion des crises ou la cybersécurité. Mais c’est aussi un marché très concurrentiel. Sur Milipol Paris 2015, formidable vitrine du marché de la sécurité dans le monde, près de 2/3 des exposants étaient étrangers : Russes, Américains, Israéliens, Chinois… Et tous entendent s’approprier le gâteau estimé aujourd’hui à près de 600 milliards !

Y compris la France qui entend faire peser ses atouts, affirmer ses lettres de noblesse et jouer des opportunités qui ne manquent pas.

La filière française sur le podium européen

La filière marchande européenne de sécurité pèse un quart du total mondial et est estimée à environ 550 à 650 milliards d’euros (chiffre composite élaboré par DECISION), dont 350 milliards d’euros pour la partie industrielle (produits de sécurité et cybersécurité) et 200 à 300 milliards d’euros pour les services privés. En rapport, la filière européenne pèse 150 milliards d’euros.

La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni dominent la filière européenne de la sécurité marchande, réalisant près de 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014 (avec 1,74 millions d’emplois), et représentent ensemble 56 % de ce total européen, dont 19 % pour la France seule.

C’est en France que la sécurité pèse le plus (1,3 %) dans le PIB.

Ce secteur regroupe 10 000 entreprises tricolores dont 1 100 pour son cœur industriel et plus de 9 600 dans le domaine des services.

Entre croissance et mutation

La filière de sécurité est également en forte croissance. Entre 2003 et 2013, le chiffre d’affaires des produits et services de sécurité s’est développé sensiblement davantage que le PIB (un point de plus en moyenne), au rythme soutenu de 5 % par an jusqu’à la crise de 2008 et réduit à 2 % par an ensuite. D’ici à 2020, la croissance devrait repartir et retrouver sensiblement le même niveau qu’avant la crise, soit plus de 5 %.

La croissance devrait être de 6 % sur le cœur industriel, tiré par l’électronique et la cybersécurité (plus de 10 %), et de 2,3 % pour les services, au sein desquels les services à forte valeur ajoutée (conseil, formation) se distinguent par une croissance de 7 à 8 %.

L’industrie française de la sécurité bénéficiera de la croissance de la demande en France et surtout en Europe. Mais elle devrait être tirée plus encore par la demande dans les pays émergents qui recèlent un important potentiel de croissance dans la mesure où leur marché est encore loin d’avoir atteint le même niveau que dans les pays plus riches. Ces pays ne disposent pas encore de toutes les technologies avancées ni de l’industrie nécessaire pour les mettre en œuvre, ce qui permettra aux entreprises françaises d’exporter et donc d’apporter un surcroît de croissance à la filière.

C’est aussi une filière en mutation. Ces chiffres moyens cachent en réalité une mutation de la filière. La partie traditionnelle des activités de sécurité (protection physique, services de gardiennage) stagne, alors que des domaines nouveaux comme les produits et systèmes numériques et robotiques, ou la cybersécurité, sont en très forte croissance. Cela traduit une mutation de la société elle-même qui se “numérise” et se prépare aux évolutions telles que les réseaux intelligents, les villes intelligentes, les automobiles et les objets connectés et, plus généralement, l’utilisation exponentielle de capteurs toujours plus performants et miniaturisés dont les informations nécessitent stockage et traitement. Toutes leurs applications nécessitent d’être fortement sécurisées et d’intégrer des dispositions de protection de la vie privée dès leur conception (ingénierie de type “privacy by design”). 

« Ces évolutions offrent de formidables opportunités pour l’industrie et les entreprises françaises et européennes, qui nécessiteront de la part de tous les acteurs impliqués des visions audacieuses et une grande rapidité de mise œuvre pour être saisies », souligne le CICS.

Les pouvoirs publics ont donc lancé cette étude visant à affiner les premières estimations de l’importance économique du secteur de la sécurité contenues dans le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale publié en 2013. En parallèle, la Commission européenne a lancé une étude sur la filière de la sécurité au plan européen. Mais à cela s’ajoutent les travaux conduits par le CoFIS et notamment l’expression de besoins et l’approche capacitaire. « C’est une originalité française qui  qui va nous conduire à plus d’efficience », souligne François Murgadella, chef adjoint du Pôle Développement des technologies de sécurité au sein du SGDSN.

Dialogue public-privé rénové

L’expression de besoin a en effet permis de faire émerger, dans un dialogue public-privé entre prescripteurs et opérateurs, un premier échantillon des besoins capacitaires. Un travail de R&D avec une mise en exergue des priorités et un développement des démonstrateurs s’en est suivi. « Trois priorités animent les industriels regroupés au sein du CICS : se doter d’une connaissance de l’évolution des besoins capacitaires à moyen terme ; consolider une vision partagée de la politique à mettre en œuvre, en France et en Europe, pour développer le contenu technologique de la filière, conquérir les marchés export et protéger les domaines de souveraineté ; concentrer les moyens financiers, publics et privés, nationaux et européens, sur des actions de R&D et surtout des démonstrateurs qui constituent une étape indispensable pour proposer aux opérateurs de nouvelles solutions innovantes », souligne Marc Darmon, président du CICS, et de poursuivre : « Nous avons donc lancé un travail sur l’expression de besoins, une réponse capacitaire, une analyse des technologies critiques, et avons conduit le lancement de deux premiers démonstrateurs pour comprendre et expliquer ce que les technologies peuvent apporter, dans le domaine des télécommunications avec un démonstrateur sur la 4G/LTE et la vidéo intelligente. Ceux des bâtiments intelligents et de la cybersécurité sont en attente. Désormais, nous devons passer au 2.0 de cette filière. » Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général des entreprises, à Bercy, a pour sa part souligné : « Aujourd’hui, 60 millions d’euros sont investis chaque année au profit de l’innovation et de la recherche dans le domaine de la sécurité. »

Le cas des drones en est un exemple concret. Le développement de cette technologie est important, incroyable et promet une belle croissance. Pour autant, à chaque innovation son lot de détournements. À peine émergente, cette technologie oblige déjà à penser l’innovation en matière de lutte anti-drone. « Cette menace est apparue à l’automne dernier. Immédiatement, nous avons lancé des projets de recherche formation innovation pour identifier les entreprises capables de répondre aux besoins. Au total, ce sont près de 50 qui vont se confronter et démontrer ce qu’elles peuvent apporter pour répondre à cette nouvelle menace », explique Tierry Delville, délégué aux industries de sécurité.

Cette approche démontre de la réactivité de la filière qui n’a toutefois pas vocation à se transformer en dispositif d’urgence. « Face aux événements du 13 novembre, des offres d’expertises spontanées orientées vers un service bilatéral, souvent en renfort de l’existant, ont été reçues. Mais cela ne peut évidemment pas se traiter en 48 heures. Il ne faut pas non plus ajouter de l’anthropie à un dispositif opérationnel qui ne doit pas être perturbé », ajoute Thierry Delville.

Technologies et facteurs humains

Des techniques, de plus en plus sophistiquées sont nécessaires pour protéger les hommes, que ce soient les policiers de quartier, comme les primo-intervenants qui sont intervenus en novembre dernier sur des scènes extrêmement dangereuses ou les forces d’intervention. Le recrutement annoncé par le président de la République pour les forces de l’ordre « implique une formation de ces personnels aux nouvelles technologies qui répondent aux défis qui nous attendent. Par ailleurs, une grande partie du travail de renseignement et d’enquête judiciaire repose sur des apports technologiques. Pour être plus réactif, il faut pouvoir investiguer dans des sources multiples : téléphone portable, bases de données, flux vidéo… Les outils comme ceux de surveillance des réseaux évoluent à un rythme extrêmement rapide. Il ne faut pas non plus tomber dans le tout technologique. Il y a un facteur humain qui est incontournable. Mais l’humain est plus performant quand il se dote de moyens technologiques qui lui permettent de lutter contre les assaillants », souligne Thierry Delville. Des propos renforcés par Marc Darmon : « Les technologies et les métiers bougent beaucoup. Les technologies sont des multiplicateurs opérationnels pour améliorer les capacités des opérateurs car il y aura toujours de l’humain dans la sécurité.  » 

Cette affirmation et les perspectives de croissance de la filière sécurité devraient ainsi entraîner un développement de l’emploi. Le secteur marchand de la sécurité emploie environ 1,7 millions de personnes en Europe, dont 16 % en France. Des emplois à haute valeur ajoutée, non délocalisables. D’ici à 2020, ce sont 52 000 emplois nouveaux attendus dans la filière. Des emplois qualifiés voire très qualifiés dans les segments porteurs comme la cybersécurité.

En ce qui concerne les forces de maintien de l’ordre, l’Europe compte environ 1,5 million de policiers et gendarmes, dont 290 000 en Allemagne, 260 000 en France, plus de 200 000 en Espagne, et plus de 150 000 au Royaume-Uni.

Suite aux attentats du 13 novembre, France Hollande a promis que « 5 000 emplois de policiers et de gendarmes seront créés d’ici deux ans » mais également que « le ministère de la Justice disposera de 2 500 postes supplémentaires pour l’Administration pénitentiaire et pour les services judiciaires ». En outre, « l’Administration des douanes devra être renforcée de 1 000 postes ». « Ces créations bénéficieront aux services de lutte contre le terrorisme, à la police aux frontières et à la sécurisation générale du pays », a ainsi souligné le chef de l’État devant les députés et sénateurs réunis à Versailles en novembre dernier.

2016, année 2.0

Dès le mois de décembre et l’énoncé de la feuille de route du 1er du mois, il faudra déclencher la mise en place des deux autres démonstrateurs, poursuivre et consolider le dialogue et les relations entre les PME et les grands groupes et« renforcer le travail sur les technologies critiques. La filière a un rôle crucial dans l’identification et la gestion de ces technologiques à risques que nous devons maîtriser. Sur cet objectif, nous n’avons pas assez avancé. Il faudrait une administration nommée et mandatée pour réaliser cette analyse. C’est le sujet vital des deux prochaines années », interpelle Marc Darmon, et de poursuivre : « En France, nous avons les industries les plus performantes du monde mais nous ne le savions pas. Cette excellence désormais identifiée doit être valorisée. » Pour cela, plusieurs pistes… à l’image du voyage organisé au Mexique à l’automne regroupant PME et grands groupes partis à la rencontre des donneurs d’ordres, administrations et sociétés mexicaines pour échanger sur de futures opportunités commerciales. Une action réussie qui devrait donner naissance à des actions similaires au Moyen-Orient et en Asie.

La filière de sécurité doit désormais répondre à des menaces et à des risques nouveaux, plus forts et plus généralisés, qui accompagnent la mutation de la société.

La filière nationale dispose d’atouts importants pour relever les défis de demain.

Dopée par un tissu de grands groupes et de spécialistes efficaces, avec de fortes positions internationales, une capacité  d’innovation et d’initiative, grâce aux PME, de recherche et de réseau de laboratoires à la pointe, d’un leadership de compétences en mathématiques, algorithmes, imagerie, identité, cybersécurité, etc., un système d’aides publiques reconnu et apprécié, l’émergence de nouveaux marchés et des opportunités ouvertes, notamment par la prise de conscience des problématiques et des enjeux de sécurité, la filière de sécurité a tout pour réussir.

Rendez-vous sur objectif d’ici 2017 !