Quels programmes en sécurité et défense pour les listes aux élections européennes ?

Alors que la guerre en Ukraine a mis la défense au cœur de l’agenda de l’UE, les listes françaises concourant aux élections européennes se saisissent de ce sujet et des problématiques de sécurité. La liste La France insoumise (LFI) menée par Manon Aubry dit s’inscrire dans le camp de la paix, tant pour l’Ukraine que pour Gaza, sans pour autant prôner une UE qui baisserait la garde.

Par Alban Wilfert

Porter « la voix de la paix » à l’échelle européenne

Le programme de LFI prévoit de « poursuivre le soutien à l’Ukraine ».1 La tête de liste s’est prononcée à plusieurs reprises « pour une aide financière, militaire, logistique » à celle-ci. Un positionnement en contradiction apparente avec l’opposition, en mars 2024, du groupe insoumis à l’Assemblée nationale à l’accord de sécurité entre la France et l’Ukraine, qui prévoyait 3 milliards d’aide militaire à Kiev.2 Manon Aubry affirme ne pas croire à « une issue militaire à cette guerre qui dure depuis trop longtemps et a déjà fait plus de 200000 victimes ».3 En donnant des « armes d’attaque », on devient de fait « cobelligérant », juge-t-elle, laissant donc un certain flou sur les équipements qu’il faudrait fournir. « Notre camp politique a toujours été le camp de la paix. C’est pour cela que depuis le début du conflit nous appelons l’UE à prendre une initiative diplomatique »,4 afin d’« obtenir un cessez-le-feu, le retrait des troupes russes, et l’ouverture de négociations pour une paix durable ».5 Pareille initiative nécessiterait un accord des 27 – LFI souhaitant d’ailleurs maintenir la nécessité de l’unanimité en politique étrangère – puis de convaincre les Etats en guerre de s’y prêter…

La liste promeut le « non-alignement » et propose, en votant pour elle, d’« agir concrètement contre les “va-t-en guerre” ». Ce, vis-à-vis tant de la guerre en Ukraine que de celle de Gaza, « toutes deux des violations flagrantes du droit international ».6 Elle exige « la mise en œuvre immédiate des décisions de la Cour Internationale de Justice, l’embargo sur les livraisons d’armes » et de « suspendre l’accord d’association entre l’UE et l’Etat d’Israël tant que perdureront l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens ». Elle prône un « cessez-le-feu immédiat au Proche-Orient, la création de corridors humanitaires, le retour de tous les déplacés et la fin immédiate du blocus de la bande de Gaza »7 et la reconnaissance de l’Etat de Palestine, ce qui n’est toutefois pas une compétence de l’UE.

Pas d’« Europe de la défense», mais…

La liste s’oppose à une « Europe de la défense soumise à l’OTAN », affirmant que « l’Europe de la défense n’a toujours aucune réalité en dépit de plus de vingt ans de bavardages officiels ».8 Néanmoins, elle souhaite « pérenniser la clause de défense mutuelle entre les Etats membres de l’UE (article 42 paragraphe 7 du TUE) comme fondement et cadre de la mise en oeuvre de la défense collective de l’UE plutôt que celui de l’OTAN »,9 et se montre donc favorable à des coopérations formelles. Elle veut « faciliter la coordination des Etats européens, au cas par cas, pour des missions militaires conjointes dans le cadre d’interventions effectuées dans le cadre de l’ONU » sans détailler les moyens de les faciliter, et « prioriser les coopérations stratégiques de la France avec les pays européens ayant des centres et des aires d’intérêt communs, en particulier au service de la paix dans le bassin méditerranéen, ou bien aux projets augmentant notre autonomie stratégique ».10

Par ailleurs, LFI souhaite « relancer une coordination de la production » militaire et industrielle au niveau européen, « mettre en place un protectionnisme industriel militaire dans les programmes financés ou accompagnés par l’UE, en harmonisant les normes et règles communes, afin de garantir des débouchés européens internes et cesser de dépendre d’exportations à des régimes ne respectant pas le droit international ».11 Elle mentionne EDIRPA et l’ASAP, mais pas le Fonds européen de défense, aussi n’en sait-on pas plus sur l’organisation d’une telle relance.

Sécurité des frontières, sécurité des migrants

Si LFI aborde la question des frontières, c’est avant tout pour mettre l’accent sur la sécurité des personnes qui les passent.

Tout en préconisant d’« agir sur les causes des migrations forcées » en renforçant l’aide au développement et en revenant sur certains accords, la liste entend « sauver des vies en Méditerranée ». Face à « la militarisation mortifère des frontières, l’armement massif de Frontex »12 – une crainte liée aux rencontres organisées par l’Agence, la Commission européenne et Europol avec les industriels de l’armement en 2023 –13 le programme prévoit de remplacer Frontex. Une « agence européenne civile de sauvetage en mer et sur terre, en appui de l’agence de l’UE pour l’asile », dont les futures fonctions et modes opératoires ne sont pas détaillés dans le programme, s’y substituerait. Manon Aubry entend « refuser le financement de la construction de murs et de clôtures inutiles et dangereux aux frontières de l’UE », un financement prôné par certaines listes comme celle de LR, et alors que plus de 2000 km d’infrastructures sont déjà construites.14 En outre, il faudrait « ouvrir des voies de migrations légales sécurisées et administrées par les autorités compétentes pour permettre, chaque fois que cela est possible, que des êtres humains accèdent à l’asile sans être forcés de prendre la route et de traverser la mer au péril de leur vie ».15

Serait également abrogé le pacte asile-immigration, adopté le 14 mai 2024, qui organise le traitement d’une partie des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’UE.16 Par la même occasion, un terme serait mis aux « accords formels et informels par lesquels l’UE sous-traite sa politique migratoire à des Etats tiers au détriment du respect des droits des migrants, comme le protocole d’accord adopté avec la Tunisie ».17 Celui-ci, signé en juillet 2023, a alloué 127 millions d’euros à Tunis pour, entre autres choses, mieux contrôler l’immigration irrégulière.18

La liste Aubry ne néglige pas pour autant la question de la criminalité transfrontalière. En effet, le mouvement entend « renforcer les coopérations policières et judiciaires pour condamner les réseaux de passeurs qui exploitent la misère des exilés », sans toutefois préciser quels changements apporter aux dispositifs préexistants d’Europol. Il propose également d’« étendre les prérogatives du Parquet européen à certaines infractions, d’origine ou au mode de fonctionnement transfrontalier (traite d’êtres humains, criminalité environnementale, terrorisme ou drogue) ».19 Accueil digne pour les migrants et répression pour les passeurs, un diptyque par lequel la liste LFI entend imprimer sa marque pour le scrutin du 9 juin.

1https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/05/PROGRAMME-UNION-POPULAIRE_EURO-2024.pdf

2https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20240312-%F0%9F%94%B4-l-assembl%C3%A9e-nationale-apporte-un-large-soutien-%C3%A0-l-accord-de-s%C3%A9curit%C3%A9-entre-la-france-et-l-ukraine

3https://www.youtube.com/watch?v=_XiayZZh2o0&ab_channel=BFMTV

4https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/ici-l-europe/20231208-manon-aubry-adhesion-pays-en-guerre-ukraine-ue-pas-realiste

5https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/05/PROGRAMME-UNION-POPULAIRE_EURO-2024.pdf

6Ibid.

7Ibid.

8Ibid.

9Ibid.

10Ibid.

11Ibid.

12Ibid.

13https://www.mediapart.fr/journal/international/181223/entre-les-marchands-d-armes-et-l-europe-l-idylle-s-intensifie

14https://www.lesechos.fr/monde/europe/migrations-leurope-se-barricade-toujours-plus-derriere-des-murs-1905012

15https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/05/PROGRAMME-UNION-POPULAIRE_EURO-2024.pdf

16https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/#:~:text=Pr%C3%A9sent%C3%A9%20par%20la%20Commission%20europ%C3%A9enne,pour%20le%20mettre%20en%20oeuvre.

17https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/05/PROGRAMME-UNION-POPULAIRE_EURO-2024.pdf

18https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/16/la-tunisie-et-l-union-europeenne-signent-un-partenariat-sur-l-economie-et-la-politique-migratoire_6182243_3212.html

19https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/05/PROGRAMME-UNION-POPULAIRE_EURO-2024.pdf

Photo : copyright MacFlory, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.en