Le contexte sécuritaire en Afrique : une vraie question à laquelle doit s’intéresser l’Europe

Le contexte sécuritaire en Afrique : une vraie question à laquelle doit s’intéresser l’Europe

L’Afrique. Ce continent aux instabilités multiples, qu’elles soient sécuritaires, politiques, sociales ou économiques, a vu son actualité récente marquée par l’opération Serval, la libération de quatre otages français suivie quelques jours plus tard par l’assassinat de deux journalistes.Alors que la France et l’Élysée viennent de consacrer deux jours à la Paix et à la Sécurité en Afrique, retour sur le contexte sécuritaire de ce continent avec Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS, en charge de l’Afrique.

Une conjonction de facteurs

Outre l’insécurité commune à tous les continents et grandes villes en ce qui concerne les biens et les personnes comme en Afrique du Sud, par exemple, les problèmes locaux de sécurité en Éthiopie ou au Kenya ou encore les conflits frontaliers localisés, l’Afrique souffre d’une conjonction de facteurs qui la pousse vers une instabilité constante et lourde de conséquences. Principalement, dans la zone critique de l’Afrique « l’arc sahelo-saharien, la Centre-Afrique – la République démocratique du Congo et la corne de l’Afrique », souligne Philippe Hugon et de poursuivre : « Les territoires ne sont plus contrôlés par l’État qui manque voire n’a plus aucun moyen militaire ou policier, laissant ainsi s’installer des zones de non-droit qui deviennent des lieux propices aux trafics de drogue, d’armes, à une économie mafieuse. À cela, s’ajoute l’inexistence de transition démographique, et aucune perspective d’emploi pour les plus jeunes, qui se tournent alors vers ce monde mafieux voire les milices et autres groupes et mouvances d’origines diverses. Enfin, la cohabitation difficile des inégalités très marquées, entre des richesses démesurées et une pauvreté la plus totale. Vous avez alors un ensemble de facteurs qui s’imbriquent et une instabilité qui trouve racine dans des causes multiples. » Des zones de non-droit telle la ville de Kidal au Mali « gérée par de soi-disant indépendantistes touareg qui ne sont ni plus ni moins que des djihadistes, des islamistes, des narcotrafiquants », souligne le site d’information JournalduMali.com.
Entre stabilité politiqueet opération militaire

Pour répondre à cette insécurité, des solutions existent mais restent complexes à mettre en place tant il manque un point clef essentiel à toute stabilité, « une solution politique. Il faut une véritable volonté de vivre ensemble, l’instauration d’une démocratie avec la remise en place des fonctions régaliennes de l’État. L’intervention militaire de la France au Mali, au demeurant indispensable, a été une véritable réussite. Outre le fait majeur qu’elle a permis de sécuriser plus de 75 % du pays, elle a notamment rendu possible la tenue des élections présidentielles et législatives et d’asseoir la légitimité d’un pouvoir mis en place. » Oui, mais la France est restée bien seule dans la conduite de cette opération. Délaissée par l’Europe et les Nations Unies – la première a été totalement absente, quant à la seconde, elle a mobilisé 50 % des effectifs initialement annoncés avec principalement des militaires nigériens et tchadiens – sans parler du continent africain qui n’a pas montré grand intérêt dans ce dossier. « Il faut se poser la question de la défaillance, voire de la faillite, européenne et de l’absence de l’Afrique dans cette opération militaire française qui n’a reçu le soutien que des seuls États-Unis, en termes de logistique et de drones. » Une action militaire qui devra se maintenir. « La force Serval ne peut pas se retirer tout de suite. Il faut l’appui et le soutien de la police, voire de la  population, dans les actions de sécurité. Mais dans une zone géographique où cette dernière trouve alliance, quelquefois, avec les groupuscules djihadistes, on comprend aisément que la situation est complexe. Je pense que la France sera pour longtemps au Mali, sauf si un relais se faisait connaître de la part des États-Unis, de l’Europe ou de l’Afrique », précise Philippe Hugon. Un point de vue partagé par Éric Zemmour qui dans ses insolences conclut « toutes les conditions sont réunies pour un conflit sans fin ».Reste que l’on ne gagne pas durablement un combat asymétrique contre nos ennemis « les djihadistes et les terroristes » désignés par Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, avec une seule action militaire. L’exemple de l’Afghanistan en est pour preuve.« Il faut donc que les mesures militaires s’accompagnent d’une reconnaissance des droits de la population et des minorités. Il est vital qu’une solution politique, une démocratie se mette en place. Il est important d’associer la population aux différentes actions de structuration sociale, avec des responsabilités au niveau local et des actions communes de pluralité des acteurs. » Des projets économiques doivent également voir le jour « des micro-projets donnant accès à l’eau, à l’électricité, dans lesquels les locaux pourraient être des entreprises sous-traitant, par exemple. La population doit être associée. Dans le cas contraire, l’apport et le développement de ces richesses seraient une nouvelle source de l’accroissement de l’insécurité via des actions terroristes, des kidnappings ou que sais-je encore. » À l’image de ce qui a été fait avec le projet Desertec – qui prévoyait de construire un vaste réseau de centrales thermiques solaires le long de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et de le relier au continent européen avec pour objectif de fournir à l’horizon 2050, 15 % des besoins en énergie de l’Europe – « qui est en soi une pure folie, quand on sait que la population n’a même pas accès à l’électricité, il ne sert à rien de mécaniquement déverser des fonds européens. Il faut en revanche les mobiliser pour créer des dynamiques locales, et jouer un rôle catalyseur. Ces projets d’envergure, d’exploitation pétrolière ou minière, doivent s’insérer dans le paysage pour avoir un impact positif sur le territoire d’implantation », souligne Philippe Hugon.

La question de la sécurité et de la paix à l’honneur dans la cour de l’Élysée est donc un début qui souligne « la prise de conscience – je l’espère – de la question sécuritaire en Afrique de façon large et globale. Une question primordiale compte tenu de la proximité géographique du continent d’avec l’Europe mais également des nombreuses connexions qui nous relient. Les questions de sécurité sont éminemment liées à des questions d’interdépendances à gérer entre l’Europe et l’Afrique, de migrations, d’échanges et de collectes d’informations en matière de renseignement. Il nous faut donc inscrire ces questions majeures dans le débat public et politique, et nos actions dans une démarche globale, durable et collective », conclut le directeur de recherche à l’IRIS en charge de l’Afrique.

Interview with Philippe Hugon, IRIS research manager in charge of Africa.Africa suffers from a combination of factors driving it into ongoing instability with territories that are out of government control due to inadequacy of means, leaving pockets of lawlessness where drug and weapons trafficking can thrive. Added to which are a lack of demographic transition and very high inequalities in uneasy coexistence.This state of insecurity needs to be solved politically by democracy and restoral of government prerogatives. France’s military intervention in Mali was a success, bringing security to over 75% of the country and ensuring that presidential and general elections could be held, but could not be expected to solve all the problems by itself. The intervention was disregarded by Europe, a puzzling oversight.The military measures must be accompanied by recognition of popular and minority rights; micro-projects must be set up and the population involved in them. There is no point in European funding unless it is mobilised to create local dynamics and act as a catalyst. Africa’s security issue should impel collective awareness arising from our geographical closeness and the European and African interdependence requiring management of migration, trade, intelligence information-gathering, etc.