Les enjeux de la filière nationale de sécurité vus par une PME

Stéphane Schmoll, Directeur Général de Deveryware, Paris, 12.02.2014

Stéphane Olivier Schmoll, directeur général de Deveryware – ©Deveryware

Entretien avec Stéphane Schmoll, directeur général de Deveryware, PME de 50 personnes spécialisée dans la chronolocalisation. Il siège dans plusieurs organismes professionnels et paritaires contribuant à la gouvernance de la R&D coopérative en sécurité, ainsi qu’à la construction de la future filière.

Les récentes déclarations du chef de l’État et du Premier ministre, puis le Livre Blanc de la Défense et de la Sécurité nationale, ont pour la première fois énoncé officiellement la nécessité de créer une telle filière, avec mutualisation d’équipements et recherche de synergies européennes.

S&D Magazine : Quels seraient les objectifs et les acteurs d’une telle filière ?

Stéphane Olivier Schmoll (SOS) : Bâtir une filière, c’est mener une succession cohérente d’efforts et de moyens – publics et privés – pour étudier, réaliser et vendre des solutions, avec une optimisation de l’efficience sur le moyen et le long termes. Ceci implique d’identifier les acteurs existants et leurs compétences spécifiques, d’animer leur complémentarité ou leur concurrence. La filière sécurité doit satisfaire les besoins nationaux et créer des emplois, de la valeur exportable tout en répondant aux objectifs politiques prioritaires : renforcement de la sécurité, de la justice et de l’emploi et réduction des déficits.

Les acteurs de la filière sont multiples ; chercheurs, PME, groupes industriels, primo-utilisateurs, financeurs, etc. Mais aujourd’hui, chacun s’arc-boute encore à ses intérêts propres – pas toujours compatibles entre eux ; financement et débouchés sur des emplois privés, développement de son réseau ou soutiens à la valorisation et à l’exportation, nouveaux marchés, optimisation des retours sur investissement… 

S&D : Quelle gouvernance pour cette nouvelle filière ?

SOS : Elle devrait être paritaire, avec un rôle des industriels au moins aussi important que celui des administrations. Une évaluation régulière de la filière est nécessaire pour piloter sa feuille de route au vu de la situation globale des risques et menaces, de la compétitivité des solutions françaises, des possibles synergies européennes, des enjeux géopolitiques, des capacités financières…

S&D : Comment optimiser la recherche en sécurité ?

SOS : En France, il n’y a pas de politique cohérente de la recherche amont à la création de valeur. Les organismes publics de recherche se fixent des objectifs scientifiques décorrelés des débouchés souhaités par les commanditaires. À l’Agence nationale de la recherche, les appels à projets sont sélectionnés en premier lieu sur ces critères, éliminant ainsi le développement des réponses capacitaires. Un mal très français. Il est donc primordial que la filière leur fournisse un fléchage afin que les aides disponibles soient utiles à satisfaire des besoins capacitaires tout en créant de la valeur économique. Les aides à la R&D doivent enfin couvrir l’ensemble des stades de développement (TRL), et les démonstrateurs répondre à des besoins du marché avec des modèles économiques identifiés.

Sauf exception, la cohérence avec les guichets européens d’aide à la R&D de sécurité doit être la règle. Les programmes européens voient les acteurs français écartés par d’autres pays moins puissants. C’est moins la qualité de nos projets que la coordination de nos coopérations qui pèche.

S&D : Quelle organisation pour les acteurs français ?

SOS : Pour que la filière fonctionne, les rôles des différents acteurs doivent être légitimes mais surtout cohérents. Les académiques doivent viser la valorisation effective. Les PME sont incontournables pour l’exploration de niches et la démonstration de techniques et procédés innovants. Les grands groupes le sont aussi dans l’intégration des technologies éprouvées et dans la maîtrise d’œuvre industrielle de grands chantiers publics. Les collectivités territoriales constituent des relais pour l’aide à l’innovation et pour la commande publique mais doivent trouver le bon compromis entre l’encouragement de leur tissu local et la mutualisation des besoins et des ressources, plus efficiente à l’échelle nationale.

Quant à l’État, il a depuis près de quarante ans perdu la main pour organiser l’industrie. Le ministère de l’Intérieur n’est pas concentré sur la planification stratégique. Il serait bon que le SGDSN, désigné pour conduire la démarche de coordination, prenne en compte la vision stratégique des entreprises.

S&D : De nouvelles dispositions réglementaires ou législatives seront-elles nécessaires ?

SOS : Après recensement de la base industrielle des technologies de sécurité sous-tendant la filière, une proposition intéressante serait de créer un label de reconnaissance des fournisseurs de confiance des administrations et organismes consommateurs de systèmes et prestations de sécurité. En attendant une possible normalisation du label, le comité de filière pourrait en établir les critères d’attribution. Une lecture intelligente du droit européen et national permettrait d’imposer que les attributaires des grands chantiers de sécurité intègrent des PME ainsi labellisées à hauteur d’au moins 20 % du marché.

Enfin, porter un regard nouveau sur les garde-fous juridiques que nous nous imposons en France pour protéger les données personnelles est important. Un cadre spécifique permettant l’expérimentation et la démonstration doit être établi pour faciliter l’exportation et servir de laboratoire d’étude sans brider la R&D. À des fins d’anticipation, la recherche en sécurité doit pouvoir précéder l’état du droit d’exploitation opérationnelle des procédés mis au point, conformément à la directive européenne 96/9.

Il faudra également concentrer ou coordonner le suivi parlementaire de la filière, aujourd’hui réparti entre les commissions de la défense, des lois et des finances.

S&D : La mise en place d’une filière de sécurité nécessite-t-elle des efforts budgétaires supplémentaires ?

SOS : Probablement pas, car la somme des multiples engagements existants est déjà substantielle, mais mal utilisée. Avant de demander des efforts supplémentaires, il faut chasser les gaspillages, concentrer les ressources de R&D et l’orienter vers la satisfaction des besoins capacitaires, mutualiser les besoins et la commande publique.

Les grands chantiers de sécurité, qu’il s’agisse de la protection de l’État, des infrastructures vitales ou du tissu académique et économique, devront être soumis au futur comité de filière afin de rompre avec certaines pratiques ruineuses et souvent inadaptées.

S&D : Les PME peuvent-elles avoir une place particulière ?

SOS : Ce que le LBDSN dit pour les PME de défense doit s’appliquer aux PME de sécurité. L’exemple récemment de la plateforme nationale d’interceptions judiciaires, où l’État a préféré tuer plusieurs PME et des centaines d’emplois pour confier la construction et l’exploitation d’une cathédrale très coûteuse à un seul maître d’œuvre industriel, sans  concertation ni planification et suivi budgétaire transparent, doit être corrigé. L’État gagnerait à s’appuyer davantage sur le savoir-faire et la créativité fourmillante des PME spécialisées, avec leur potentiel avéré de création d’emplois et de valeur à l’exportation.

S&D : La filière doit-elle être également organisée à l’international ?

SOS : « L’équipe de France de sécurité » doit s’entraîner pour marquer des buts. Dans les salons internationaux, il faut encourager – par des mesures incitatives – une visibilité simultanée des grands groupes et des PME, à l’instar de nos concurrents internationaux, avec le support actif, décomplexé et effectif des officiels français. Les fonctionnaires en poste à l’étranger doivent être davantage mis à contribution pour aider les entreprises, notamment dans les pays géopolitiquement favorables, en se débarrassant des principes de séparation que nos rivaux ont dépassé de longue date.