Les exportations de défense : la France face à un enjeu stratégique

L’économie de défense mondiale traverse actuellement une importante phase de mutation dont l’issue est encore largement indéterminée. Cette transition est provoquée par le déplacement partiel des moteurs de la croissance des dépenses militaires vers de nouveaux pôles, notamment en Asie. Cependant, l’actualité géopolitique de cette zone et l’affirmation de la puissance chinoise occultent parfois d’autres dynamiques à l’œuvre dans le monde. Si les budgets de défense de la France et de ses principaux alliés diminuent, de nombreux États augmentent les leurs dans des contextes régionaux parfois délétères.

Ainsi, le millésime 2014 d’Eurosatory s’ouvre sur un environnement stratégique évolutif caractérisé par l’émergence rapide de nouveaux défis de sécurité. La croissance rapide des économies émergentes conduit acheteurs et clients du monde entier à adopter de nouvelles stratégies industrielles de défense, s’adaptant ainsi aux nouveaux paramètres du marché des armements.

Ainsi que le décrit le Livre blanc de défense et de sécurité, la France doit ajuster sa posture et revoir sa stratégie de défense. Dans ce contexte, les exportations de défense constituent à la fois un élément clé du développement économique du pays et un volet essentiel de la poursuite de notre action internationale et du maintien de notre sécurité au sein des alliances et partenariats auxquels nous participons.

Un marché global croissant et complexe

Dans un contexte marqué par les conséquences de la crise économique de 2008 et des crises géopolitiques régionales, on estime que le montant total des dépenses militaires dans le monde a atteint 1 244 milliards d’euros en 2012, ce qui correspond à une diminution de 0,5 % par rapport à 2011. En revanche, le marché mondial reste dynamique : en 2012, la croissance du volume des exportations mondiales d’armements est estimée à environ 9 %, le montant des prises de commandes atteignant 79,5 milliards d’euros. La croissance du marché mondial de l’armement est aujourd’hui le fait des commandes passées par des puissances émergentes d’Asie, du Moyen-Orient et d’Amérique latine.

Le pôle le plus actif est l’Asie. Trois puissances dont les zones d’influence se chevauchent et aux politiques parfois conflictuelles dominent (la Chine, le Japon et l’Inde). La part des dépenses militaires redevables à ces trois pays s’est accrue sensiblement en vingt ans (de 60 % à 69 %). À cela s’ajoutent les 300 milliards de dollars investis par les pays de l’Asie-Pacifique pour leur système de défense. La forte croissance économique de ces États durant la dernière décennie a permis une hausse significative de leurs dépenses ; le renforcement de leurs capacités de défense résulte de la perception des risques et de la menace liés à leur environnement régional.

Sous l’impulsion des conflits qui ont ponctué l’évolution de la région (guerre Iran-Irak, guerre du Liban, guerre du Golfe, guerre d’Irak…), les trois dernières décennies ont fait du Moyen-Orient une composante du marché mondial très fréquentée par les pays producteurs d’armes. Au fil des dernières années, un important processus de modernisation des matériels militaires a été entrepris et rien n’indique qu’il pourrait s’interrompre. La France finalise actuellement une commande de 2,1 milliards d’euros à destination du Liban.

L’Amérique latine ne pèse pas d’un poids aussi décisif dans l’économie de défense planétaire, il s’agit néanmoins d’une autre région qui a connu une croissance significative depuis la fin des années 1990 (+ 68 %). Cette évolution est essentiellement le fait de deux pays soit le Brésil qui, annuellement, est à l’origine de 45 % et 50 % des dépenses de la région et la Colombie où le budget de défense a doublé en dix ans. Le Brésil demeure néanmoins le principal moteur de croissance des dépenses régionales et son intention est clairement de se doter d’une industrie nationale capable de contribuer au rayonnement du pays sur la scène internationale.

Au sein de l’Union européenne, les États membres consacrent en moyenne 1,3 % de leurs PIB à leur budget de la défense. Ainsi, la part des pays européens dans les dépenses d’armement mondiales s’établit à 18 % et continue à diminuer. À titre d’illustration, la part des quatre États membres ayant les dépenses de défense les plus élevées au sein de l’Union européenne (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie) a baissé de 15 % en 2000 à 10 % en 2010 du total mondial. La part de la France s’établit à 3,4 % des dépenses mondiales selon le SIPRI. Sur l’ensemble du continent, le débat sur la pertinence d’associer une perte d’influence au tracé des dépenses militaires se poursuit. Il va de soi que l’accès aux marchés étrangers est plus crucial que jamais pour l’industrie de défense en place qui demeure la plus importante au monde après celle des États-Unis.

Un nouvel élan pour les exportations françaises

La France dispose d’une industrie de défense dense, diversifiée et compétitive, reconnue sur le marché international pour ses nombreux atouts : gamme de produits complets et récents, performants en termes opérationnels et marqués par un haut niveau technologique.

Après une année 2012 plutôt terne pour le secteur, le compteur des prises de commandes affichait 4,8 milliards d’euros (contre 6,5 milliards un an plus tôt), les exportations françaises d’armements ont connu un réel essor en 2013 marqué par « un retour significatif des contrats majeurs », précise-t-on au ministère de la Défense, « 8 contrats d’environ 200 millions d’euros contre 3 seulement l’année précédente ». Le fabricant de missiles MBDA et Thales, spécialisé dans l’électronique de défense, se sont illustrés comme étant les deux premiers groupes exportateurs avec 1,5 milliard d’euros de commandes chacun pour la seule part française des contrats.

C’est sur le marché moyen-oriental que la France fait son retour en force, représentant 40 % du total de ses exportations. Ainsi, l’Arabie Saoudite est le premier client de la France. Selon le ministère, elle pèse 1,8 milliard d’euros et représente 28 % des prises de commandes totales (parmi les gros contrats 2013, la rénovation de la flotte saoudienne compte pour plus de 500 millions d’euros). L’Asie du Sud-Est (16 %), l’Afrique du Nord (11 %) et l’Amérique latine (9 %) constituent les principaux débouchés de l’industrie française de défense. Aussi, « l’année 2014 peut être exceptionnelle, si le contrat de vente du Rafale à l’Inde se concrétise », fait-on valoir côté défense. Estimée à plus de 12 milliards d’euros, la vente de 126 appareils par Dassault Aviation ferait exploser les chiffres des exportations.

Une opportunité de marché en Russie ? Cette puissance détrônée dans les années 1990 s’est, sous Poutine, engagée dans un processus qui vise à lui permettre de retrouver le lustre d’autrefois. Le gouvernement Poutine estime que la modernisation de son industrie doit s’incarner simultanément dans une amélioration de la productivité, l’acquisition de nouvelles capacités technologiques et une réduction du prix des matériels. Des partenariats avec l’Ouest sont envisagés en vue d’y parvenir. Le gouvernement projette des budgets en croissance et des investissements conséquents dans la modernisation des usines les plus prometteuses. La Russie souhaite se donner les moyens militaires d’une politique de puissance. Elle a ainsi augmenté ses dépenses d’armement de 113 % entre 2003 et 2012 et projette d’investir 600 milliards d’euros d’ici à 2022 dans les acquisitions de défense.

Le portrait actuel des dépenses militaires mondiales présente clairement l’Europe comme une exception, la plupart des régions étant engagées dans des processus de modernisation de leurs appareils de défense via des programmes d’acquisition majeurs, phénomène rendu possible par une croissance économique nationale soutenue. Alors que la construction d’une défense européenne commune demeure insaisissable, les industries militaires du Vieux Continent regardent avec attention ces marchés qui sont autant d’avenues pour assurer leur croissance. Elles participent activement au processus d’évolution à l’œuvre au plan global en établissant de nouveaux partenariats avec les acteurs des États clients.

Le monde change et les pays européens ont fait des choix singuliers sur le plan budgétaire. Pour autant, l’industrie européenne ne peut pas rester passive. Face aux défis posés par l’actuelle globalisation de l’industrie de défense, mais aussi au regard des occasions qu’elle offre, la manière dont la France et son industrie peuvent tirer parti des dynamiques en cours doit continuer de faire l’objet d’un suivi serré et d’une réflexion approfondie. Aussi, le fardeau des dettes publiques et la compétition accrue sur les marchés mondiaux ne manqueront pas d’épicer le débat autour du financement de la prochaine génération d’armement.

Le Rafale de Dassault, un contrat estimé à 12 milliards d’euros en attente d’être conclu<

The global defence economy is undergoing a major phase mutation whose outcome is still largely unknown. This transition is caused by the partial displacement of the engines of growth of military spending in new areas, particularly in Asia. However, the current geopolitics of the area and the assertion of Chinese power sometimes obscure other dynamics at work in the world. While the defence budgets of France and its main allies diminish, a number of states increase theirs in often deleterious regional contexts.

Eurosatory 2014 opens onto an evolving strategic environment characterized by the rapid emergence of new security challenges. The rapid growth of emerging economies leads buyers and clients worldwide to adopt new industrial defence strategies, and adapt to the new parameters of the defence market. In this scenario, defence and security exports are both key elements of economic development.

It is estimated that the total military spending worldwide was € 1,244 billion in 2012, which represents a decrease of 0.5 % compared to 2011, however, the world market remains dynamic; in 2012 the growth in the volume of global arms exports was estimated at about 9%, the amount of orders reaching € 79.5 billion. The growth of the world arms market is now due to orders from emerging powers in Asia, the Middle East and Latin America.

France has a diverse and competitive defence industry, recognized in the international market for its many strengths. After the sector’s lacklustre 2012, (the orders tally reached € 4.8 billion compared with € 6.5 billion a year earlier), French arms exports experienced a real boom in 2013, and it is in the Middle East market where France has made its comeback, representing 40% of its total exports with Saudi Arabia being France’s largest customer.

The challenges posed by the current globalization of the defence industry, and the terms of the opportunities it offers, the way in which France and its industry can benefit from current dynamics, should continue to be a subject for close monitoring and careful thought.