Brésil : le réveil du « géant endormi »

Les profondes transformations du Brésil ces deux dernières décennies et, de façon plus évidente et accélérée ces dernières années, ont éveillé un intérêt sans précédent pour le pays. De cet intérêt provient la hausse des investissements étrangers, mais aussi une curiosité légitime pour les réalités et les défis qui se posent à une nation dont l’écrivain Stefan Zweig disait, en 1941, qu’elle était destinée à être « l’un des plus grands facteurs du développement à venir du monde ».

L’ancien président Lula da Silva avait pour habitude de dire que « le XIXe siècle fut le siècle européen par excellence, que le XXe siècle fut modelé par les États-Unis, et que le XXIe appartiendra, dans une grande mesure, aux puissances émergentes du monde en développement ». Le Brésil, par sa masse territoriale, ses ressources naturelles, la taille de son marché intérieur et, surtout, le dynamisme de son économie et de ses sociétés, est appelé à jouer un rôle de plus en plus décisif dans l’évolution de l’économie mondiale et dans la gestion des problématiques globales. Le « géant endormi » semble finalement s’être levé et avoir trouvé sa voie dans le scénario mondial.

D’un essor incontesté vers une nouvelle posture internationale

Selon les estimations récentes de la Banque mondiale, s’il maintient un niveau de croissance annuelle d’environ 5-6 %, le Brésil devrait devenir, d’ici 2014, la 5e économie mondiale et réduire ses inégalités de revenus. Tous ces résultats ne sont pas un don d’une nature pourtant luxuriante, mais le fruit de décisions politiques, de la mobilisation de l’opinion, en somme d’une construction collective du peuple brésilien.

Au moins trois mouvements récents témoignent de cette évolution globale ; la croissance de l’économie dans la stabilité macro-économique, l’expansion du marché intérieur à partir de politiques sociales redistributrices et enfin, la redéfinition des priorités des dépenses publiques : projets d’infrastructures, élargissement des services publics, partenariats avec le secteur privé grâce au financement à long terme du secteur productif. Idée probante de ce financement, il est mentionné que les remboursements de la Banque nationale de développement économique et social qui étaient de l’ordre de « 37 milliards de réals en 2003, ont atteint, en 2009, 140 milliards ».

Aussi, quand survint la crise économique et financière internationale, le Brésil a été l’un des derniers pays à être affectés par la crise de 2008, et l’un des premiers à démontrer des signes de reprise. Malgré un résultat légèrement négatif (recul de 0,2 % du PIB), l’économie brésilienne affiche encore l’une des meilleures performances des membres occidentaux du G-20.

Pour certains, le Brésil aurait eu face à la crise « les qualités de ses défauts », protégé par une économie relativement fermée, son commerce extérieur ne pèse que 25 % du PIB (contre 40 % au Mexique, 50 % en Corée du Sud, et 70 % en Chine). L’existence d’un système financier assaini, transparent avec des mécanismes de contrôle, de banques publiques solides qui ont pu garantir l’offre de crédit aux entreprises et aux particuliers. Quant aux surplus commerciaux des années précédentes, ils ont permis de réduire l’endettement du secteur public, avec l’accumulation de réserves de près de 240 milliards de dollars, « d’où un éloignement du risque de déstabilisation monétaire », explique François Dossa, président de la Société Générale au Brésil. Vices et vertus mis ensemble, c’est la vitalité de l’économie et de la société brésilienne qui s’est imposée.

Les dernières évaluations d’augmentation du PIB se situent dans la tranche des 5-6 %, très au-dessus de la moyenne de la croissance mondiale. Elles suggèrent, pour les six prochaines années, un cycle de croissance de l’ordre de 5 % par an en moyenne, fondé sur l’expansion du marché intérieur et des investissements, en particulier dans les infrastructures et la construction civile. Aux grands projets d’infrastructures en cours dans le pays, entrepris dans le cadre du Programme d’accélération de croissance, s’ajouteront les opportunités colossales découlant de la Coupe du Monde de football de 2014 et des Jeux olympiques de 2016. Dans une vision encore plus optimiste, le président de la Société Générale trace un parallèle entre la situation brésilienne et la période des Trente Glorieuses pour la France de l’après-guerre, soulignant : « Le Brésil a devant lui 20 à 25 ans de croissance quasi assurée. »

Cette situation économique et sociale se traduit évidemment dans l’action diplomatique du pays. Bien que les principes qui ont historiquement guidé la politique étrangère brésilienne aient été maintenus, l’action internationale du Brésil a connu ces dernières années un changement d’horizon et une redéfinition de ses paradigmes. Le gouvernement et la société brésilienne voient de plus en plus la politique étrangère comme un élément à part entière du projet national de développement et comme un vecteur qui contribue à la réduction des vulnérabilités externes du pays et au dépassement de ses défis intérieurs de croissance.

La stratégie nationale de défense brésilienne

La stratégie de défense brésilienne n’est pas conditionnée par une menace externe de nature militaire. « Aucune menace classique ou conventionnelle ne pèse sur le Brésil, qui n’a aucun contentieux frontalier avec ses dix voisins tout au long de ses 17 000 km de frontières terrestres », souligne Carlos Alberto Teixeira, professeur à l’école de guerre navale. Le Brésil est en paix avec ses voisins depuis 150 ans. Il a toujours privilégié l’arbitrage sur la force pour régler ses litiges internationaux. « Cela exige la définition d’une stratégie nouvelle », complète-t-il.

Ainsi, l’adoption d’une stratégie nationale de défense constitue une première au Brésil. La nouvelle Stratégie Nationale de Défense Brésilienne (SNDB) est un plan conçu et publié fin 2008 qui rassemble et ordonne les objectifs définis au cours de la présidence Lula. Ce plan constitue un premier pas vers l’élaboration d’une vision stratégique à moyen et long terme dans le but de renforcer la structure nationale de défense suivant trois axes majeurs : la modernisation des armées, la restructuration de l’industrie brésilienne de défense et une politique d’effectifs des forces armées.

 

La priorité majeure du Brésil consiste à assurer la surveillance et la protection de son espace territorial, terrestre, maritime et aérien, afin d’en garantir la souveraineté. Dans cette perspective, son effort se concentre sur l’Amazonie et sur les approches maritimes. « L’Amazonie représente 12 % des réserves mondiales d’eau douce et une zone riche en ressources naturelles », précise M. Teixeira. Le Brésil veut protéger cet espace des trafics ou activités illicites qui pourraient s’y développer. « Il veut aussi démontrer son aptitude à en assurer souverainement la protection de manière à éviter toute tentation d’établir un droit de regard international sur ce territoire », complète-t-il.

Les approches maritimes, quant à elles, recèlent d’importants gisements de pétrole encore largement inexploités, ainsi que des richesses minérales. Depuis septembre 2010, la convention de Montego Bay sur le droit à la mer prévoit que « le Brésil étende unilatéralement la superficie de sa zone économique exclusive jusqu’à la limite maximale de 350 milles marins ». Cette extension permet de couvrir des gisements pétroliers supplémentaires.

Au-delà de la priorité accordée à la surveillance du territoire national, le Brésil entend également accroître sa capacité d’intervention extérieure, en relation avec son ambition de jouer un rôle international plus affirmé et de devenir membre permanent du Conseil de sécurité. « Le Brésil doit consolider son pouvoir de dissuasion pour être à la hauteur de son nouveau rôle international », estime Sabrina Medeiros, experte en relations internationales.

Une force indépendante en mutation

Au cours des dernières années, le géant sud-américain a acquis une visibilité internationale sans précédent amplifiée par le charisme de son président. Aussi, et comme son prédécesseur, Dilma Rousseff « encourage la relance du secteur », estimant « qu’une industrie de défense nationale est stratégique pour la souveraineté du pays ».

Longtemps organisé et dirigé selon une logique propre à chaque armée, l’outil militaire brésilien a souffert de deux décennies de sous-investissement. Le Brésil est engagé dans un vaste de plan visant à moderniser ses moyens et à les réorganiser en fonction des priorités stratégiques définies par l’autorité publique. La Marine et l’armée de l’Air sont les deux bénéficiaires principales de cet effort qui concerne néanmoins aussi, dans une moindre mesure, l’armée de Terre.

Pour être à la hauteur du rôle qu’il veut désormais jouer sur la scène internationale, le Brésil s’est lancé dans l’acquisition de technologies militaires de pointe, avec l’objectif d’obtenir le savoir-faire pour développer sa propre industrie de défense et rompre ainsi la dépendance technologique externe. L’industrie de défense ne connaît pas la crise, encouragée par des aides gouvernementales dans un pays décidé à moderniser ses forces armées et à créer un parc industriel performant. « La transformation du Brésil en une puissance militaire est un fait nouveau dans le pays, y compris pour les militaires », déclare Nelson During. Pour cet expert en défense, « l’objectif est de se renforcer comme une puissance indépendante ».

La modernisation de l’outil militaire brésilien répond à une logique capacitaire, afin de donner aux armées les moyens d’assurer effectivement les missions qui leur sont assignées, notamment la surveillance et la protection du territoire national et ses approches maritimes. Toutefois, le renouvellement des équipements obéit également à une stratégie industrielle. Les acquisitions auprès de pays étrangers sont systématiquement conditionnées à des partenariats locaux et à des transferts de technologie de défense. Le Brésil voit dans cette politique un élément de son autonomie stratégique, mais également une source de développement économique à travers son marché national de défense et, à terme, un potentiel à l’exportation de matériel de haute technologie militaire vers les marchés sud-américains et internationaux.

Paris/Brasilia, un partenariat stratégique dangereux pour la France ?

L’association entre Paris et Brasilia dans le domaine de la défense est l’une des facettes les plus visibles de la relation entre les deux pays. La concrétisation de grands projets entrant dans le processus de modernisation de l’équipement militaire brésilien tels que la construction et le développement de sous-marins ; le partenariat Eurocopter-Helibras pour l’achat et la construction de cinquante EC-725 dont la production est d’ores et déjà transférée au Brésil. Loin d’être du modèle « achat sur étagère », ces partenariats favorisent les transferts de technologies et de capacités industrielles dans la ligne de la nouvelle stratégie nationale de défense brésilienne. Le Brésil voit sans aucun doute aujourd’hui la France comme un partenaire stratégique d’exception au travers des transferts d’expertises consentis.

Ce processus de modernisation est symbolisé ces derniers mois par la volonté du gouvernement brésilien d’acquérir trente-six avions de chasse de dernière génération pour équiper son armée de l’Air. Dans ce contrat comme dans tous ceux ayant été conclus au bénéfice de la défense, obtenir un transfert total de technologie reste une condition majeure. Le Rafale de Dassault semble être en bonne posture… le constructeur français restant le seul à ne pas objecter sur ce point.

Conclusion

Est-il impossible d’imaginer que le Brésil puisse, à l’avenir, concourir à un marché aussi juteux que les 3 milliards d’euros estimés pour celui des 36 avions de chasse ? Avec une économie loin d’être en berne, des opportunités de croissance internes, un système administratif peu contraignant et le capital d’expertise acquis sur une main-d’œuvre à moindre coût… La France pourra-t-elle rivaliser en n’ayant plus son savoir-faire à revendiquer ?

Pour le Brésil, l’avenir n’est plus abstrait ni intangible, comme le suggérait Stefan Zweig : il devient possible et les efforts pour aboutir au succès de cette colossale entreprise ne sont pas ménagés. La rencontre du Brésil et de son destin prometteur n’est plus sous-entendue : le futur, désormais, c’est déjà demain…

« Sleeping Giant » wakes up

Lately Brazil’s deep changes have provoked an unprecedented interest for the country as the increase of foreign investments points out. If Brazil manages to maintain its current growth rate it should become the fifth world economy by 2014 and this is an exceptional situation among the main emerging countries. The last estimations of Brazil’s GDP increase are quite above the average world growth. Based on the development of the domestic market, this estimated 5% a year growth cycle is reinforced thanks to the 2014 FIFA World Cup and the 2016 Olympic Games, both events representing huge opportunities. The conception and the adoption of a national strategy for defense (conceived and presented in 2008) is the first step towards the development of a mid and long-term strategic outlook. The two basic lines are: modernizing the armed forces and reorganizing the defense industry. Brazil’s main priority is to ensure surveillance and protection for its land, territorial waters, and air space and thus guarantee its sovereignty. Brazil also intends to increase its international deployment force and dreams of a more assertive international role. Brazil has consequently started a big plan to modernize its powers beginning with the purchase of extremely advanced military technologies. The aim is clearly to get the savoir-faire so as to develop its own defense industry and therefore break with the dependence from foreign technologies. The replacement of equipment is part of an industrial strategy; acquiring from foreign countries consistently means local partnerships and transfers of technology. This strategy highlights Brazil’s will to develop its economy with its domestic defense market and in the long-term, to develop its ability to export high-tech military equipment to international markets. France is Brazil’s exceptional partner in this initiative and has already agreed to transfer technology especially with the Europcar-Helibras partnership (purchase and construction of fifty EC-725). Furthermore, Dassault seems to be very likely to win the Brazilian call for bids on thirty-six latest generation fighters. The complete transfer of technology is one of the main terms. Is it not possible to envisage that in the future Brazil may compete for such a profitable market as that which Dassault is concerned with (an estimated 3 billion euros)? With Brazil’s attractive economy, its possibilities of domestic growth, its not too restrictive administration, and its skills acquired from a cheap workforce, will France be able to compete since it will not have its savoir-faire to claim anymore?