L’Afrique appelée à faire front contre le djihadisme

 

Comment faire en sorte que les pays d’Afrique prennent en main leur propre sécurité ? Voici l’objet du forum sur la paix et la sécurité qui s’est ouvert le 15 décembre dernier à Dakar comme l’a précisé Jean-Yves le Drian, Ministre de la Défense « La France continuera d’appuyer ce mouvement d’appropriation par l’Afrique de sa propre sécurité » et de poursuivre « le but est de créer une culture de sécurité commune ».

Plusieurs chefs d’Etat étaient présents, dont le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, le Tchadien Idriss Déby, le Mauritanien Ould Abdellaziz et le Sénégalais Macky Sall. Mais de nombreux invités n’ont pas répondu à l’appel malgré les conditions sécuritaires alarmantes en Afrique et la question du terrorisme qui a monopolisé une bonne partie des débats. Plusieurs hauts responsables militaires étaient également au rendez-vous ainsi que des chercheurs, des universitaires et des représentants d’ONG.

Si l’idée a germé à l’issue du sommet de l’Elysée de fin 2013, ce sont les Sénégalais qui ont accepté de relever le défi. Autour du président Macky Sall, l’ensemble de l’équipe gouvernementale sénégalaise s’est mobilisé. « Notre ambition est de faire de Dakar un lieu inédit d’échanges, autour des questions de sécurité sur le continent en réunissant responsables politiques, militaires, industriels et centres de recherches. »

La France en Afrique

Côté français, le ministre de la Défense a multiplié les déplacements depuis lors. « L’opération Barkhane, qui concerne désormais le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso, et le Tchad, constitue aujourd’hui un levier accélérant la dynamique de coopération régionale » note-t-on au ministère. Le ministre s’est notamment rendu à Madama, poste avancé du dispositif « Barkhane » situé au nord du Niger, à cent kilomètres de la frontière libyenne. Construite autour d’un ancien fortin colonial, la base est en cours d’installation. Elle doit servir de plate-forme pour lutter contre les trafics et les djihadistes transitant, depuis le sud de la Libye, vers le nord du Mali. À partir de Madama, la France, le Niger et le Tchad viennent de mener ensemble, avec plusieurs centaines d’hommes, l’opération « Mangouste ». Un contrôle de zone d’une semaine qui a occasionné des saisies importantes (notamment deux tonnes de cannabis) et surtout permis de tester une action multinationale aux frontières comme « Barkhane » souhaite les multiplier entre les pays partenaires : la Mauritanie, le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Un modèle de coopération transfrontalière qui pourrait être envisagé au Nigeria contre Boko Haram et, pourquoi pas, en Libye.

Lors de se déplacement le ministre français est également revenu sur l’équipement des militaires déployés annonçant la commande dès 2015, d’un système supplémentaire de drones américains Reaper, soit trois appareils plus un système de pilotage au sol. Au total, la loi de programmation militaire française, qui court sur la période 2014-2019, prévoit l’acquisition de douze Reaper, a rappelé le ministre.

Dans ce cadre, le système supplémentaire dont il a évoqué la commande ne devait initialement être acquis qu’en 2017 mais le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Denis Mercier, avait exprimé le mois dernier le souhait d’accélérer l’acquisition de drones de renseignement. La France, dotée par ailleurs de quatre drones euro-israéliens Harfang dont deux sont utilisés en Afrique, a fait de l’acquisition de ces matériels une priorité. « Les drones, plus on en a, plus on en a besoin. C’est la clé des opérations en Afrique », avait alors souligné le général Mercier.

La coopération pour faire face au terrorisme

Depuis la fin de la guerre froide, le continent a connu une vingtaine de crises majeures et ce nombre est reparti à la hausse depuis 2010. Dix des seize opérations de maintien de la paix (OMP) de l’ONU se déroulent en Afrique, dans un « écosystème stratégique » marqué par la faiblesse des États, la porosité des frontières, la progression des menaces transnationales de toute nature, terroriste, criminelle mais aussi sanitaire. Voici donc des menaces qui exigent des « solutions partagées », a plaidé le diplomate Hervé Ladsous, chef des OMP lors des échanges du Forum. « Il faut faire de la coopération la règle et non l’exception » a alors insisté le ministre français de la Défense. « Face à une menace terroriste qui n’a pas de frontières, une gestion strictement nationale des enjeux de sécurité est désormais une illusion » a-t-il ajouté. Dans cette perspective, la mobilisation des pays du Sahel sert de référence. Côté français, on plaide ainsi pour des formules telles que le « rassemblement des forces de deux ou trois pays pour travailler sur des objectifs ciblés ». La piste d’une réponse régionale, concertée, coordonnée s’esquisse face à Boko Haram avec la création d’une cellule regroupant les pays riverains du lac Tchad qui seraient prêts à mobiliser des troupes. La France apporterait son concours en termes de coordination. Reste tout de même de nombreuses interrogations laissées pour l’heure sans réponse relatives à l’expansion de l’emprise de Boko Haram notamment sur le nord-est du Nigeria. Les espoirs de coordination ne semblent pas si évidents à porter sur le terrain.

Autre sujet, la piraterie dans le golfe de Guinée. Un vaste dispositif de sécurité a été mis en place lors au sommet de Yaoundé, au Cameroun, en juin 2012. « En deux ans et demi, nous avons davantage progressé qu’en vingt ans », se félicite Véronique Roger-Lacan, ambassadrice chargée de la lutte contre la piraterie maritime. Pour autant le nombre des attaques progresse et la responsabilité des autorités du Nigeria, absentes du débat, a été pointée du doigt. « Les obstacles ne sont pas seulement techniques et capacitaires mais aussi liés à des problèmes politiques de gouvernance démocratique », ont souligné certains participants du Forum.

Le président Malien, Ibrahim Boubacar Keïta a tenu a souligner lors de l’ouverture « Notre présence à nous, Maliens, est un témoignage de ce que nous sommes aujourd’hui et de ce que nous aurions pu devenir, sans l’intervention décidée il y a deux ans par François Hollande » et d’ajouter « Tant que le problème sud-libyen ne sera pas résolu, nous n’aurons pas la paix. » La question centrale était donc lancée : le thème libyen, facteur déstabilisant dans la région, et notamment au Mali.

Une Libye épineuse

Le Sénégalais, Macky Sall s’est alors empressé de prendre la parole pour s’adresser aux Occidentaux « Malheureusement, la Libye est un travail inachevé, a-t-il dit. Il faut que ceux qui l’ont entamé puissent nous aider à le terminer. A cela, il faut ajouter les influences venues d’Egypte, avec les Frères musulmans qui, par vagues, rejoignent ce pays ; et le commerce du pétrole qui se poursuit et qui alimente le financement de l’armement. Donc, c’est véritablement une poudrière pour la zone sahélienne, qu’il convient de traiter de manière appropriée. »

Réponse instantanée du Tchadien Idriss Déby, l’homme fort de la sécurité en Afrique « En Libye, la solution n’est pas entre nos mains, mais entre celles de l’Otan, qui doit détruire les terroristes comme elle a détruit Kadhafi. » et de poursuivre à l’attention de Jean-Yves Le Drian, « Monsieur le ministre, vous m’excuserez pour ces vérités, mais c’est vraiment à nos amis occidentaux de trouver une solution dans ce pays. » Et ce dernier de lui répondre « Oui, la question libyenne est devant nous, il est nécessaire que la communauté internationale s’en saisisse. »

C’est sur ces mêmes termes que le ministre Français s’est adressé à ces hommes déployés sur le terrain africain fin décembre 2014. Il ne faut « pas accepter » le développement d’un « sanctuaire terroriste » en Libye, a t-il dit devant 1 100 soldats français appelant une nouvelle fois la communauté internationale à se « mobiliser » sur cette question. « Ce qui se passe en Libye, c’est ni plus ni moins, sur fond de chaos politique et sécuritaire, que la résurgence d’un sanctuaire terroriste dans l’environnement immédiat du continent européen », a déclaré le ministre. « Ce serait une erreur profonde pour la communauté internationale de rester passive face au développement d’un tel foyer de terrorisme au cœur de la Méditerranée. Il ne faut pas l’accepter », a-t-il ajouté.

Le ministre de la Défense n’a toutefois pas fourni de précisions mais des pistes s’esquissent toutefois dans un contexte de pression régionale croissante. Plusieurs pays, dont le Tchad, appellent à une intervention militaire internationale sans délai en Libye. « À trop hésiter, c’est tout le Sahel qui, dans quelques mois, risque de se transformer en chaudron. Il faut une intervention militaire pour réparer les dégâts liés à la chute de Kadhafi, sinon nous aurons Daech à nos portes », a lancé pour sa part le président nigérien, Mahamadou Issoufou, dans Jeune Afrique. En début de semaine, la mission de l’ONU en Libye (UNSMIL) devait réunir les parties au conflit en Libye. L’ONU a reporté sine die cette réunion de dialogue. Pour l’heure, aucune nouvelle date n’a encore été fixée, a indiqué son porte-parole, Stéphane Dujarric. Ce dernier a ajouté que le chef de l’Unsmil, la mission des Nations unies dans le pays, Bernardino Leon, « poursuivait des consultations » pour parvenir à un accord sur le lieu et la date d’une réunion.

« C’est la responsabilité des voisins de la Libye et de la communauté internationale que de se tenir (aux côtés des Libyens) pour retrouver les chemins de la stabilité », a souligné Jean-Yves Le Drian, ajoutant que « la France y prendra évidemment toute sa part ». La porte à tous les scénarios est donc ouverte sauf celle, pour le moment, d’une intervention directe de la France. En effet, le Président de la république française, François Hollande, a écarté l’idée d’une intervention militaire française en Libye lors de son intervention au micro de la matinale de France Inter cette semaine. « Il revient d’abord pour l’instant à la communauté internationale de prendre ses responsabilités » dans ce pays, à savoir « faire en sorte qu’il puisse y avoir un dialogue politique (…) et deuxièmement que l’ordre puisse être rétabli ».

Après les travaux du Forum, le président de l’Institut panafricain de stratégie Cheikh Tidiane Gadio a assuré en conclusion que l’Afrique se retrouve face à des mouvements toujours plus radicalisés, mais que la lutte contre ces mouvements nécessite d’identifier les failles sociales dans lesquelles s’engouffrent les terroristes. « Le terrorisme, un fléau qui n’a pas de visage, n’a pas de nationalité et se nourrit d’interprétations erronées », a dit le président tchadien Idriss Déby. Quand au ministre français de la Défense, il affirme que « le chaos libyen » fait bien partie des « défis de 2015 ». Rendez-vous dans un an pour Macky Sall qui opte lui, pour une conclusion libre d’interprétation « Inch’Allah ! »