Afrique : Prolifération des armes, trafics et criminalité organisée

Afrique : Prolifération des armes, trafics et criminalité organisée

La criminalité transnationale organisée (CTO) représente un défi sécuritaire majeur pour l’Afrique.

La criminalité transnationale organisée (CTO) représente un défi sécuritaire majeur pour l’Afrique. Si la plupart de ces défis sécuritaires ne sont pas nouveaux et peuvent être qualifiés d’« anciennes » menaces sécuritaires, ils évoluent continuellement vers des menaces « nouvelles » et multiformes en raison des dynamiques socio-économiques, environnementales et politiques propres aux Etats et des impératifs de politique extérieure.

Sept à huit millions d’armes en Afrique de l’Ouest

Pour l’Organisation des Nations unies (ONU), la criminalité organisée en Afrique ne se limite pas aux questions de stupéfiants, de trafic d’êtres humains, de blanchiment d’argent et de piraterie. Ces activités, prises dans leur ensemble, constituent désormais des menaces sécuritaires pour la sous-région[1].

La criminalité organisée s’étend de la prolifération des armes de petit calibre à l’extraction minière illicite et au braconnage, au vol de pétrole et à la contrefaçon, l’escroquerie et la fraude sur Internet, la contrebande de cigarettes, l’exploitation des ressources naturelles (bois et diamants), la fabrication illégale d’armes à feu, le vol à main armée et le vol[2].

La menace composite que constituent ces crimes traduit les symptômes des vulnérabilités de la région (mauvaise gouvernance, faiblesse de la répression et des institutions étatiques, corruption endémique, chômage, pauvreté et porosité des frontières). Le terrorisme et les autres menaces hybrides et asymétriques posent incontestablement des dangers réels et potentiels à la sécurité humaine et de l’Etat, en particulier dans des Etats vulnérables et faibles qui servent à la fois d’incubateurs et de vecteurs à ces menaces.

On estime que la prolifération et la prévalence des armes légères et de petit calibre (ALPC) sont à l’origine de plusieurs milliers de morts chaque année dans des conflits armés et des crimes, 85 % de ces derniers étant commis au moyen d’armes illégales ou illicites. Sur les 640 millions d’armes en circulation, sept à huit millions se trouvent en Afrique de l’Ouest, dont 79 % environ aux mains de civils. Elles ont contribué à déclencher, à aggraver et à prolonger les conflits, à alimenter l’économie illicite et à saper la gouvernance, par les coups d’Etat et les mercenaires.

Depuis 2004, les institutions multilatérales africaines ont conçu des mécanismes de réponses complexes aux défis de paix et de sécurité du continent. Ces « nouvelles » menaces continuent toutefois de représenter des défis qui révèlent le manque d’efficacité dont souffrent ces cadres établis. Dans le discours africain, la criminalité transnationale organisée (CTO), dans ses nouvelles manifestations et ses connections, s’entrecroise désormais avec le développement économique et la paix et la sécurité.

La pauvreté, le sous-développement et la marginalisation qui résultent d’institutions gouvernementales et d’une autorité politique fragiles dans certains Etats africains entravent la fourniture de services sociaux de base et d’infrastructures, empêchent un contrôle efficace des frontières et ont ouvert un espace pour des structures de gouvernance alternatives.

Criminalité et terrorisme

La dernière décennie a vu une convergence croissante entre opérations, et un renforcement du lien entre criminalité et terrorisme[3].

Un nombre significatif de groupes terroristes sont impliqués dans une forme d’activité criminelle organisée et d’économie illicite. De même, un nombre croissant de cartels criminels organisés se tournent vers la violence politique. La CTO est donc devenue une source importante de revenus pour les groupes terroristes de par le monde. Le trafic de drogue demeure incontestablement l’activité criminelle la plus répandue et la plus lucrative qui lie la criminalité organisée aux groupes terroristes en créant des opportunités de partenariats. Par conséquent, les forces de l’ordre ont qualifié ces groupes de narcoterroristes, narco-guérillas et narco-fondamentalistes[4].

D’autres facteurs comme la mondialisation, la révolution des communications via Internet et la « guerre globale contre la terreur » ont contribué au lien et à la coopération croissante entre les menaces jumelles du terrorisme et de la criminalité organisée. La mondialisation crée les conditions qui rendent possible l’exploitation de la porosité des frontières par la coopération entre terrorisme et criminalité pour se livrer à la criminalité et à la violence. Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) a ainsi collaboré avec des groupes Touaregs et Bérabiches locaux pour se livrer au trafic de cocaïne, de haschich et à la contrefaçon de cigarettes. Des groupes militants ont également tissé des réseaux avec les narcotrafiquants d’Amérique du Sud, ce qui a considérablement renforcé leur capacité à lever des fonds pour financer des activités extrémistes et leur a permis d’améliorer le transport de marchandises de contrebande. Ils ont également obtenu l’accès à des biens dont le conditionnement permet de dissimuler de la cocaïne[5].

L’évolution et la transformation rapides des menaces hybrides et asymétriques, en particulier en Afrique de l’Ouest, constituent un développement inquiétant. Si ces menaces représentent en elles-mêmes des défis sécuritaires, l’imbrication croissante de l’une et l’autre crée des conditions et une dynamique qui perpétuent les guerres, les conflits et les insurrections sur tout le continent.

Des réponses innovantes et multidimensionnelles 

Il est essentiel d’élaborer des réponses innovantes et multidimensionnelles qui intègrent les dynamiques et l’évolution de ces menaces. Mais il est encore plus important de développer une cohérence et une synergie entre les lois, les stratégies et les politiques nationales, et les politiques des organisations sous-régionales et régionales. Une telle approche doit être exhaustive et complémentaire pour faire face aux menaces hybrides et asymétriques. Toutefois, la nature de ces menaces soulève plusieurs questions délicates : comment coordonner et renforcer la cohérence des diverses initiatives sous une seule stratégie d’ensemble pour répondre à l’évolution des réseaux de groupes criminels et terroristes ?

Si ces menaces présentent un caractère hybride, les réponses proposées sont souvent loin d’être complètes et cohérentes. Elles sont généralement fragmentées, non coordonnées et reviennent à éteindre des incendies de manière ad hoc. En outre, les efforts contre la criminalité organisée sont largement stato-centrées. Si les approches existantes sont étatistes de nature, il est nécessaire de les réviser en permanence et d’y faire participer les acteurs non-étatiques appropriés dans un rôle complémentaire. Ce point est d’importance particulière car de nombreuses sources de menaces sécuritaires se trouvent dans les communautés locales et sont très éloignées du contrôle des institutions étatiques et des agences de sécurité.

[1] UNODC. 2008. Drug trafficking as a security threat in West Africa (Vienna : UNODC)

[2] Shaw, M. Reitano, T. & Hunter, M. (2014) « A Comprehensive Assessment of Drug Trafficking and Organised Crime in West and Central Africa », Report, janvier, 2014. Voir également Aning, K. (2009) « Organized Crime in West Africa : Options for EU Engagement » (Stockholm : International IDEA) ; Aning, K. (2007) « Africa : Confronting Complex Threats » Coping with Crises Working Paper Series, February (New York : IPI) ; UNODC, 2009. Transnational Trafficking and the Rule of Law in West Africa : A Threat Assessment (Vienna : UNODC)

[3] Makarenko, T., Op Cit. ; Shelley, L.I, et Picarelli, J., (2005) « Methods and Motives : Exploring Links Between Transnational Organised Crime and International Terrorism », Trends in Organised Crime, Vol.9, No.2

[4] Le narco-terrorisme pourrait ainsi être défini comme l’utilisation du trafic de drogue pour financer et promouvoir les objectifs politiques et idéologiques d’acteurs non étatiques, de groupes criminels et de terroristes, de telle manière qu’ils menacent l’Etat de droit, l’Etat et la région.

[5] Aning, K. & Amedzrator, L., (2014). « The Economics of Militancy and Islamist Extremism in the Sahel » in Political stability and security in West and North Africa. (Toronto : World Watch : Expert Notes series publication No. 2014-04-01)

Source : Dakarforum – CEIS – Traduction : Alexandre Houdayer