La coopération de sécurité et de défense : une dynamique globale, collective et pérenne.

La coopération de sécurité et de défense : une dynamique globale, collective et pérenne.

Rencontre avec le vice-Amiral d’escadre Marin Gillier, Directeur de la Coopération de Sécurité et de Défense.

Les trafics illicites qui se jouent des frontières, l’accroissement exponentiel des flux migratoires, les innombrables facettes du terrorisme, l’insécurité maritime ou l’absence d’Etat : le caractère protéiforme de la menace porte aujourd’hui la Direction de la Coopération de Sécurité et de Défense (DCSD/MAEDI) à inscrire son action dans une approche globale, collaborative et collective.

Synergie des actions en faveur d’un Etat de droit

L’approche globale se traduit d’abord par la synergie des actions de défense, de sécurité intérieure et civile, objectif porté par le décret de 2009, qui institue la DCSD. Elle se traduit aussi par la complémentarité des missions de coopération structurelle qui lui sont confiées, et des missions de coopération opérationnelle, assurées par le ministère de la Défense et la Direction de la Coopération Internationale (DCI) du ministère de l’Intérieur.

La DCSD présente une approche géostratégique des questions de sécurité et de défense et prend en compte les grandes évolutions géopolitiques du monde contemporain avec pour objectif de renforcer les institutions de sécurité et de défense régaliennes, et ce de façon pérenne, dans ces Etats en mal de gouvernance. La coopération de sécurité et de défense vise à renforcer la stabilité des pays partenaires dans le respect de l’État de droit, condition essentielle à leur développement. Sans cela, aucune solution n’est durable. La DCSD met donc en œuvre, dans ces deux domaines, sous la forme de projets de coopération bilatéraux ou multilatéraux, des actions d’expertise, de conseil et de formation dont elle assure le pilotage stratégique et la gestion globale. Elle s’efforce entre autres de favoriser la préservation de l’État de droit, des libertés individuelles et des droits de l’homme ; d’optimiser les structures, l’outil de défense et de sécurité ; de privilégier la réflexion et l’action en commun pour optimiser l’efficience des structures; de promouvoir le modèle francophone de défense et de sécurité et d’assurer l’enseignement du français en milieu militaire.

L’approche globale c’est également une nouvelle façon d’aborder les problématiques de sécurité et défense sur la base d’analyses de terrain et d’approches par bassin de menaces sous l’angle interministériel et international. Cette vision novatrice, au travers de nombreux projets portés par la DCSD au profit d’Etats partenaires, montre toute sa pertinence.

Collaboration et dialogue

La dimension collaborative repose sur un réseau de 400 experts militaires, diplomates, policiers, spécialistes en sécurité civile implantés dans 48 pays et travaillant avec 120 Etats. Ce sont eux qui mettent en œuvre quotidiennement la politique de coopération structurelle française. La DCSD, disposant d’un budget annuel de 100 millions d’euros, s’appuie aussi sur les compétences et l’engagement de  86 attachés de défense (AD) et de 86 attachés de sécurité intérieure (ASI), dont le périmètre couvre 147 pays, ce qui en fait l’un des réseaux les plus importants du monde dans ce domaine.

La dimension collaborative, c’est aussi le dialogue permanent qu’entretiennent les attachés de défense, les ASI et les conseillers de coopération et d’action culturelle au sein des représentations françaises ; c’est le dialogue permanent qu’entretiennent à Paris les ministères concernés, dans une vision transverse, et les opérateurs que sont Expertise France et Civipol, appelés à jouer un rôle toujours croissant.

L’approche collaborative étend notre action à un troisième pilier, celui du le développement. La sécurité d’un Etat peut s’intégrer et se maintenir au seul gage d’un développement dont la population est à la fois porteuse et bénéficiaire. Les deux domaines sont irrémédiablement liés. Aussi, devrions-nous poursuivre la coordination avec l’Agence Française de Développement (AFD) avec laquelle nous entretenons le dialogue. La DCSD recherche le moyen de dépasser certains obstacles actuellement constatés.

Pérenniser les actions de coopération

La dimension collective, enfin, est l’une des conditions de la pérennisation de l’action de la DCSD. Seule, la France ne peut porter toutes les problématiques. Une collaboration accrue avec l’Union européenne, les Nations unies et les organisations régionales s’impose, de même que la recherche de complémentarités avec les Etats partenaires en « coopération triangulaire ».

L’illustration de notre approche globale, collaborative et collective est incarnée par le projet Appui à la Coopération Transfrontalière au Sahel (ACTS). En décembre 2013, les chefs d’Etat et de gouvernement se réunissaient à Paris à l’occasion du Sommet de l’Elysée consacré à « la Paix et à la sécurité en Afrique ». Parmi les priorités politiques, la lutte contre le terrorisme et les trafics transnationaux dans la zone sahélo-saharienne a été mise en exergue. Depuis, la situation sécuritaire s’est encore dégradée. Les pays africains et des organisations internationales se sont donc rassemblés autour d’objectifs communs pour apporter des réponses à plusieurs niveaux. D’un point de vue opérationnel, le déploiement de l’opération Barkhane a été porté par la France. Le ministère de l’Intérieur s’est également mobilisé via différents programmes d’urgence conduits par la DCI. Au niveau structurel, la DCSD a mis en place de multiples formations bilatérales et au sein d’écoles régionales au profit des pays africains de manière à inscrire l’action de la France dans un partenariat durable et mesurable. Ce renforcement des outils de sécurité, légitimes et efficaces, tend à favoriser les projets de développement au profit des communautés sociétales.

C’est bien dans cette optique qu’a été créé le projet pilote ACTS, dont l’objectif initial est de contribuer à la préservation de la souveraineté des Etats bénéficiaires – Burkina Faso, Mali et Niger pour commencer – dans leurs espaces frontaliers communs. Dans la région du Liptako Gourma, des mécanismes de coopération et des actions menées conjointement par les forces de sécurité et de défense et les structures administratives (douanes, justice, services sociaux…) ont ainsi vocation à favoriser le fonctionnement institutionnel dans les pays concernés, tout en permettant une meilleure prise en compte des besoins exprimés par les populations locales.

En cohérence avec les stratégies Sahel des Nations Unies et de l’Union européenne, en coordination avec les États voisins et les organisations régionales concernées, la DCSD entend rester fidèle à une vision de la coopération tournée vers l’avenir, reposant sur un principe d’appropriation par les pays partenaires des projets qu’elle contribue à initier, au service du continuum sécurité-développement.

L’effort collectif engagé a enfin suscité lors du conseil européen de la Valette d’octobre 2015, la création d’un fonds fiduciaire d’urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière, mis en place par l’UE, et doté de 1,8 milliard d’euros.

Directement inspiré du projet ACTS, l’idée de ce fonds traduit la nécessité d’un traitement global des problèmes de sécurité régionale rencontrés par les pays de départ et de transit des flux migratoires illicites notamment.

Cette approche globale, collaborative et collective, incarnée par ACTS, prévaut dans les autres zones d’intervention de la DCSD, comme en témoignent le lancement du projet d’Appui à la lutte contre le crime organisé en région Caraïbes (ALCORCA), dont le but est l’instauration d’une coopération régionale en matière de police, de douane, de défense et de justice, ou la mise en place de l’Institut de Sécurité Maritime Interrégional (ISMI) d’Abidjan qui forme des spécialistes de l’Action de l’Etat en Mer (AEM) de nombreux départements ministériels (marine, douane, justice, pêche, transport, environnement, …) dans 18 pays que baigne le Golfe de Guinée.

La diplomatie économique

En juin 2014, la DCSD développait une nouvelle stratégie en créant la Section Liaison Entreprises (SLE). Son objectif est de soutenir les entreprises françaises du domaine « sécurité-défense » dans leurs activités d’exportation en leur faisant bénéficier du réseau des attachés de défense et attachés de sécurité intérieur présents dans le monde entier.

Pour exercer ses missions, la SLE s’est notamment dotée de deux outils :

–          le référentiel entreprises qui compte aujourd’hui 327 sociétés dont 80 % sont des PME-ETI et recense les offres et implantations de ces entreprises françaises, diffusé dans au sein du réseau diplomatique,

–          le pacte de coopération, basé sur une charte éthique, nouvel instrument technique et juridique destiné à développer et formaliser le lien avec certaines entreprises. Des rencontres sont organisées chaque année avec les acteurs économiques de la sphère sécurité et défense. La dernière session s’est tenue le 24 mai dernier.

Le XXIe siècle s’ouvre sur des mouvements contraires d’intégration et de fragmentation des sociétés humaines, synonymes de tensions et de paradoxes. Les questionnements du présent, les incertitudes de l’avenir, l’accélération du « temps mondial » requièrent l’adaptation des instruments de coopération nationaux et internationaux.

La coopération de sécurité et de défense doit s’affilier, toujours davantage, à des politiques publiques globales pour répondre à une amplification des crises longues et protéiformes. Dans ce contexte, la coopération dans le domaine sécurité-défense est vouée à investir de nouveaux champs de partenariat et d’influence. Par un effort global, collectif et pérenne, ces nouvelles formes de  coopération sont ainsi appelées à être partagées entre le niveau multinational, les alliances opératives, l’échelon national et certains échelons régionaux.

La démonstration qu’un nouveau paradigme s’impose donc progressivement, en particulier en zone d’insécurité, impliquant un changement des mentalités et une ouverture d’esprit indispensables.