Risques naturels, sécurité des populations & gestion de crise : leçons, enjeux, défis et outils !

Risques naturels, sécurité des populations & gestion de crise : leçons, enjeux, défis et outils !

La sécurité des populations et l’assistance d’urgence sont au cœur des préoccupations des responsables des Etats et des responsables des grandes activités privées. Une vaste zone d’exposition sera spécifiquement dédiée lors d’Eurosatory 2016 au domaine de la sécurité et accueillera les moyens mis en œuvre pour l’aide et le soutien aux populations, l’intervention en cas de catastrophes naturelles ou d’origine humaine, la protection des sites industriels, sites sensibles ou de loisirs, la prévention, le maintien et le rétablissement de l’ordre public, l’intervention des moyens de secours et de lutte contre l’incendie et l’assistance médicale de première urgence.

Avec des menaces de plus en plus hétérogènes, les bouleversements profonds et rapides de notre société, l’évolution constante des risques qu’ils soient naturels ou technologiques, celle de la menace terroriste, font de la sécurité civile un enjeu majeur. Les acteurs industriels de solutions partielles ou intégrées se trouvent réunis dans un même lieu pour présenter aux forces de sécurité, aux gouvernements, aux associations non gouvernementales et à l’industrie, aux transports et aux organisateurs de loisirs des réponses spécifiques ou globales.

Le Japon & Tokyo face aux risques naturels : quels sont les prochains défis à relever ?

« Alors que Tokyo s’apprête à accueillir en 2020 les Jeux olympiques d’été, la probabilité qu’un puissant séisme secoue la métropole est estimée à 70 % dans les trois prochaines décennies… Cet état de fait témoigne des enjeux liés à la gestion des risques naturels. » : voici comment débute la publication de Jean-François HEIMBURGER « Tokyo face aux désastres naturels : leçons, enjeux et défis » paru en Mars dernier. Un mois après la parution de cette prédiction, le 14 avril dernier, c’est le département de l’île de Kyushu au sud-ouest du Japon qui est frappé par un premier tremblement de terre d’une magnitude de 6,4, provoquant destructions, incendies et glissement de terrain. Une première secousse suivie le 16 avril par une seconde dont la magnitude a été mesurée à 7,3. Plusieurs dizaines de morts et milliers de blessés sont recensés dès les premières heures… 44000 personnes sont évacuées de leurs foyers… Des dizaines de milliers de foyers restent privés d’électricité, d’eau et de gaz.

Le gouvernement a immédiatement mis en place une cellule de crise et a déclaré l’état de catastrophe naturelle, mobilisant 3 000 policiers, pompiers et personnels des forces d’autodéfense.

Les centrales nucléaires de la région n’auraient pas été affectées mais l’ensemble du trafic ferroviaire a été interrompu… « Selon les récentes estimations du gouvernement japonais, la probabilité dans les trente ans d’un séisme de magnitude supérieure à 6,8 localisé au sud de l’île de Kyûshû était plus faible (30-42%) que celle d’un puissant séisme situé directement sous Tokyo (70 %). Si cette prévision probabiliste est imprécise, il n’en reste pas moins que la ville de Kumamoto, par exemple, avait indiqué dans un rapport début avril qu’un séisme important pouvait survenir à n’importe quel moment. »

Prévoir des tremblements de terre au Japon semble pourtant possible car les Japonais développent depuis de nombreuses années des technologies permettant de surveiller différentes activités terrestres pour tenter des prédictions. L’agence météorologique japonaise surveille en permanence l’activité tectonique et des applications pour smartphones peuvent prévenir ses utilisateurs jusqu’à quelques secondes avant le début des secousses.

Quels sont les moyens mis en oeuvre dans la capitale pour la rendre encore plus sûre ? Les acteurs ont-ils retenu les leçons des désastres passés ? Les mesures prises sont-elles efficaces ? La fatalité des éléments naturels est-elle incontournable ? Quels sont les prochains défis auxquels devront faire face les Tokyoïtes ?

Leçons, enjeux et défis pour Tokyo et le Japon en matière de risques naturels. Éléments de réponses avec Jean-François HEIMBURGER. 

Des faits et des leçons tirées du passé

Le département de Tokyo, poumon économique du pays, rassemble 13,5 millions d’habitants et est notamment exposé aux tremblements de terre et aux pluies diluviennes, particulièrement redoutés.

La capitale japonaise concentre la plupart des risques, notamment en tant que zone urbaine et littorale. Tokyo repose sur trois plaques tectoniques juxtaposées et est assise sur 12 foyers de séismes, ce qui l’expose à un important risque sismique. A l’est, le département métropolitain est traversé par de nombreux cours d’eau, ce qui le livre au risque d’inondation. Mais la capitale doit également faire face aux risques de vent rapide, d’éruption volcanique, de vagues de chaleur et de froid, ou encore de mouvement de terrain. 

 

« Le Japon et sa capitale sont toutefois considérés comme un modèle en termes de prévention et de réponses apportées lors d’un désastre naturel. Au point que de nombreux pays s’inspirent du savoir-faire nippon et, à l’instar du Brésil par exemple, effectuent des formations dans l’Archipel de manière à renforcer leur stratégie nationale1. Mais cela ne saurait suffire. »

Pour éviter que ces risques naturels ne se transforment en catastrophes, le Japon s’est appuyé sur les défaillances constatées lors des désastres passés pour améliorer son dispositif de prévention et de gestion des risques. Lors des séismes de 1923 à Tokyo, 1995 à Kobe et 2011 dans le Tohoku, et lors du typhon de 1959 dans la baie d’Ise, notamment, plusieurs faiblesses ont été identifiées à différents niveaux. « Les infrastructures n’étaient pas assez résistantes et adaptées. Un nombre important des constructions étaient en bois, la densité de l’habitat et les nombreuses venelles étaient peu accessibles et les digues n’avaient pas fait le poids face aux vagues de 3,5 mètres. » A cela s’ajoutait l’inefficacité de certaines constructions antisismiques ou le non-respect des normes. « Il convient toutefois de préciser qu’il est prévu qu’une habitation antisismique résiste à un tremblement de terre d’intensité 6+ ou 7 (les deux derniers niveaux sur l’échelle japonaise), mais pas à plusieurs. »

Les secours furent peu efficaces (les zones étant difficiles d’accès et l’organisation très aléatoire), et l’information tout comme l’éducation de la population étaient insuffisantes.

Réaction et adaptation

La société japonaise tire des enseignements du passé de manière à anticiper les phénomènes futurs. Des actions concrètes continuent ainsi à être mises en oeuvre afin de renforcer le système de prévention. « L’objectif recherché est la création d’une société toujours plus résistante et résiliente face aux événements. »

Le pays et les collectivités comme Tokyo ont ainsi pu rebondir en renforçant l’arsenal législatif et en augmentant les budgets consacrés à la prévention des désastres. « Le budget national 2015 consacré à la prévention des désastres était de 3 376 milliards de yens(environ 26 milliards d’euros) soit 3,5 % du budget total. Cette part, après le séisme et le tsunami de 2011, est en baisse depuis 2013, mais reste supérieure à celle des années 2005 à 2010. Pour ce qui est du département de Tokyo, en revanche, les dépenses d’investissement ont augmenté en 2015, notamment pour améliorer la résistance face aux désastres. »

Les systèmes de prévision et de surveillance ont été améliorés et les constructions ont été renforcées. « L’Agence météorologique du Japon a renforcé son système de détection pour éviter les erreurs de calcul lors d’un séisme majeur. Par ailleurs, le satellite d’observation Himawari 8, entré en service le 7 juillet 2015, offre des prévisions plus précises des typhons et des pluies diluviennes notamment »

En 2013, le système d’alerte a été amélioré. Dorénavant, une « alerte d’urgence » est diffusée en cas d’aléa extraordinaire, impliquant des actions immédiates de la part des autorités et des habitants. Pour ce qui est des séismes, cette alerte spéciale concerne les zones où est attendue une intensité sismique de 6- ou plus2. S’agissant des tsunamis, l’alerte est lancée lors de l’apparition d’un séisme de magnitude d’environ 8 ou plus. La population doit alors immédiatement évacuer les côtes ainsi que les bordures de cours d’eau, rejoindre des points hauts et y rester jusqu’à la levée de l’alerte. Les flashs d’urgence envoyés par l’Agence météorologique directement sur les téléphones portables des habitants, d’abord réservés aux séismes et tsunamis, concernent aussi depuis fin 2015 les fortes précipitations ainsi que les éruptions volcaniques.

Les cartes des dangers, éditées par le département et les municipalités, indiquent les zones précises où peuvent se produire des aléas naturels et précisent en général les lieux d’évacuation. « Elles constituent un très bon moyen de prévention, si ce n’est un des meilleurs, notamment pour le risque d’inondation à Tokyo. Sur ce point, l’ensemble des 23 arrondissements de la métropole de Tokyo et 85 % des municipalités du département possèdent une carte des dangers d’inondation. S’agissant des séismes, la révision de la carte des dangers de liquéfaction, est publiée depuis mars 2013. Tokyo sort en complément un document d’estimation des dommages d’origine sismique. Un sondage récent a toutefois révélé que 63 % des personnes interrogées au Japon n’utilisaient pas les cartes des dangers, la moitié d’entre elles ignorant totalement ou partiellement leur existence. » malgré l’intensification de l’information de la population.

Les services de secours ont été perfectionnés ainsi que les infrastructures médicales. Dès l’année suivant le désastre de Kobe, des hôpitaux de base en cas de désastre ont été définis : ils bénéficient dorénavant d’une construction parasismique et sont notamment dotés d’une plate-forme pour hélicoptère, de générateurs électriques privés et d’espace suffisant pouvant accueillir de nombreux patients.

Le département métropolitain de Tokyo a par ailleurs participé à l’établissement d’un plan permettant d’assurer sous 48 heures après un séisme la circulation des véhicules par la sécurisation des routes rejoignant le centre de Tokyo dans huit directions.

Enfin, des équipes DMAT (Disaster Medical Assistance Team) ont été créées en août 2004 à Tokyo et généralisées à l’ensemble du pays un an plus tard. Ces équipes, dont la responsabilité de l’envoi revient au département, sont composées de médecins et d’infirmiers spécialisés qui suivent un entraînement particulier afin d’être en mesure d’intervenir dans les 48 heures suivant l’apparition d’un désastre. 

« Dans la première phase suivant le séisme du 14 avril, la réaction des autorités a été rapide et efficace : mise en place de centres de gestion de crise et envoi de secours, y compris des membres des forces d’autodéfense et des équipes médicales d’urgence (DMAT). Le reste du pays s’est également mobilisé : le gouverneur de Tokyo a par exemple annoncé le 15 avril le départ pour Kyûshû d’équipes de pompiers et de policiers du département de Tokyo, situé à 800 km des zones impactées.

Rapidement, des personnes évacuées ont rejoint les abris (écoles, centres sociaux, etc.) où ont été distribués des produits de première nécessité (eau, nourriture, couvertures, etc.), en général stockés dans des entrepôts municipaux. Des consultations par un personnel médical y ont été organisées. Des toilettes et des bains de fortune ont également été installés à certains endroits. » 

Des défis à relever

La publication, fin 2014, du plan de prévention des désastres à Tokyo à horizon 2020 témoigne à la fois de la poursuite des efforts pour limiter les dégâts en cas d’événements naturels extrêmes et, par conséquent, de la conscience des autorités vis-à-vis des défaillances qui existent encore aujourd’hui.

Le premier défi à relever concerne tout d’abord les infrastructures : la part des constructions vulnérables doit encore être diminuée et l’installation de coupeurs automatiques d’électricité en cas de secousses pour éviter le commencement d’incendies, généralisée. Fin mars 2015, un plan a été révisé par le gouvernement et vise à mettre aux normes parasismiques 95 % des habitations tokyoïtes d’ici 2020. « Néanmoins, ces projets sont lents à mettre en place. »

Concernant la lutte contre les inondations, le département de Tokyo a renforcé son action fin 2013 en adoptant un « plan de mesures contre les pluies diluviennes et pour l’évacuation des eaux d’égout en urgence ». En plus de l’extension des mesures contre les précipitations de 55 mm par heure, des installations permettant de faire face à des pluies de 75 mm par heure sont en cours et concernent quatre grands quartiers. Ces dispositifs sont très attendus, car le système actuel pourrait ne pas être suffisant lors de pluies-guérilla très importantes. Puisque leur réalisation complète prendrait en réalité une vingtaine d’années, une intensification des efforts en ce domaine serait judicieuse.

Par ailleurs, il s’agit également d’améliorer le système d’évacuation et d’information de la population. Il est également indispensable d’avoir une vision plus globale, qui intègre l’ensemble des populations plus vulnérables.

Des défaillances décisionnelles doivent également être surmontées. Le système d’alerte d’urgence lancé en 2013 présente des lacunes, comme cela a par exemple été constaté lors du passage du typhon en septembre 2013. Certaines municipalités ont renoncé à informer les habitants car l’alerte d’urgence avait été diffusée avant le lever du jour. Face à ces défaillances du système d’alerte et à l’absence de certaines cartes de danger, les habitants sont ainsi appelés à prendre des initiatives. Les habitants devraient par exemple étudier eux-mêmes les pentes aux alentours de leurs habitations et être attentifs aux signes inhabituels lors de phénomènes climatiques importants, en vue de détecter d’éventuels mouvements de terrain par exemple.

Si des discussions sur la prévention et la gestion en cas d’inondation majeure dans une zone urbaine ont été engagées au niveau national suite à la catastrophe de 2005 engendrée par l’ouragan Katrina, et qu’un plan a été établi en 2012 par le Conseil national de prévention des sinistres et catastrophes naturelles, certaines mesures d’évacuation tardent à être prises localement pour limiter les dégâts en cas d’inondation. La décision de l’arrondissement tokyoïte d’Adachi, en novembre 2015, de rehausser ses critères pour les mesures d’évacuation en cas de danger d’inondation est  exemplaire. Ces mesures sont importantes, car en cas de débordement de la rivière Arakawa suite à des précipitations très abondantes, le nombre de morts pourrait être réduit de 2 000 à 400 par l’évacuation de 80 % des habitants et une mise en route des pompes et autres systèmes.

En outre, certains dangers (vents violents, éruptions, vagues de chaleur) sont encore trop peu traités voire ignorés, du fait de leur faible probabilité ou d’un manque de moyens, alors qu’ils pourraient impacter la société. Enfin, au vu des problèmes constatés dans la phase de reconstruction après les séismes de 1995 et de 2011 notamment (conditions de vie précaires, cas de morts solitaires), il est nécessaire de prévoir davantage l’après-catastrophe pour limiter au maximum les victimes secondaires. 

Les catastrophes naturelles dépendent à la fois de la puissance des aléas naturels et de l’impréparation de la société, par insuffisance de moyens, de volonté ou de prise en compte des expériences du passé. Dans le département et la métropole de Tokyo, les risques de séisme destructeur et d’inondation sont les plus importants. Des leçons ont été tirées de chaque catastrophe, des améliorations ont été apportées mais d’autres efforts sont encore indispensables.

La mise aux normes antisismiques des habitations est encore insuffisante, la part de maisons en bois non modifiées restant encore trop élevée. La volonté politique est forte, comme en témoignent les actions entreprises, notamment en termes de subvention. Mais elle ne semble pour l’instant pas convaincre l’ensemble des propriétaires, dont certains ont des difficultés financières. Contre les inondations à Tokyo, si certains dispositifs en place conçus pour y résister sont efficaces, le système reste encore vulnérable. Les constructions en cours pour faire face à des précipitations exceptionnelles devraient permettre d’augmenter son efficacité d’ici 2020, même si le projet s’achèvera probablement plus tard.

L’adéquation entre les attitudes projetées et les réponses réelles dépendra de l’intervention des autorités, mais également des réactions de la société civile, la responsabilité de chacun étant engagée. La gestion concernera également le long terme, avec l’évaluation des dégâts, l’indemnisation des victimes et la reconstruction de Tokyo et ses environs. La poursuite et l’intensification des efforts seront donc indispensables et de l’anticipation des autorités comme des citoyens dépendra l’ampleur des prochaines catastrophes.

1. Le Népal, durement touché par le séisme d’avril 2015, bénéficie aussi de l’expertise japonaise dans la construction de bâtiments résistants aux secousses comme dans la phase de rétablissement. Les conférences mondiales des Nations unies sur la réduction des risques de catastrophe, dont la dernière a eu lieu à Sendai en 2015, ne se déroulent pas non plus au Japon par hasard

2. Agence météorologique du Japon, « 特別警報が始まります » [L’alerte spéciale commence], juin 2013. L’échelle d’intensité sismique de l’Agence météorologique du Japon, qui évalue l’importance d’un séisme en fonction des dommages subis et des réactions humaines, comprend 10 degrés. Les trois derniers degrés, 6-, 6+ et 7, équivalent à peu près aux niveaux 9 à 12 de l’échelle d’intensité de Mercalli modifiée.

Source : Tokyo face aux désastres naturels : leçons, enjeux et défis