Des projets haute technologie contre les drones illicites

Par Franck Chevallier

L’Agence nationale de la recherche (ANR) a lancé un appel à projets pour réussir à trouver des solutions pour détecter, identifier et neutraliser les drones illicites au-dessus des zones sensibles, centrales nucléaires, zones urbaines, stades…

Pour faire face aux dizaines de survols illégaux constatés en quelques mois, par des drones aériens, de sites et de zones sensibles, l’Agence nationale de la recherche (ANR) a lancé, en décembre 2014, pour le compte du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), et dans le cadre des actions de la filière industrielle de sécurité, un appel à projets.

Pour l’ANR, « les survols actuellement répertoriés ne présentent pas une menace remettant en cause le bon fonctionnement et la sécurité des installations nucléaires. Ils constituent néanmoins une alerte sur les risques potentiels induits par un emploi inapproprié ou malveillant des drones… Il est nécessaire d’évaluer les réponses techniques qui peuvent être apportées à moyen terme pour la détection, la géolocalisation, l’identification, voire la neutralisation, de drones aériens de faibles dimensions. »

Vingt-quatre candidats-projets

Dans les sept semaines d’ouverture de l’ « appel à projet flash sur la protection de zones sensibles vis à vis des drones aériens », vingt-quatre dossiers ont pu être constitués et présentés au comité de sélection constitué de vingt-cinq experts.

Aujourd’hui, les drones civils ont une autonomie restreinte et une capacité de charge utile assez faible. Ils transportent le plus souvent caméras ou appareils photo. Toutefois, la technologie évolue très vite et demain leurs capacités vont augmenter et avec elles leur dangerosité potentielle. De plus, ils sont très petits et très agiles, de quoi bien compliquer la tâche des candidats à leur chasse.

Il faut savoir surveiller, détecter les drones (géolocalisation, identification et classification) et les télé-pilotes, gérer la preuve (notamment toutes les données enregistrées par le système), neutraliser (temporairement ou définitivement) le système par des contre-mesures en préservant, autant que possible, l’intégrité du drone et l’environnement pour éviter les effets collatéraux, en prendre le commandement et le contrôle.

Tout cela en sachant différencier le drone de loisirs, qui vole en dehors de la zone sensible, du drone professionnel qui survole un champ agricole non loin d’une centrale nucléaire, pour cibler spécifiquement le drone illicite.

Pour l’ANR, les projets des candidats doivent « illustrer de façon prospective, mais réaliste les risques associés au survol de drones aériens de moins de 150 kg et prioritairement de moins de 25 kg, pour au moins un des cinq domaines de risques suivants (atteinte à la vie privée et à l’image des personnes physiques, atteinte à la crédibilité des pouvoirs publics, des institutions ou des sociétés, organisation et commission d’actes délictueux ou criminels, obtention d’informations protégées ou permettant la préparation d’actions malveillantes, atteinte directe aux personnes ou aux biens à des fins malveillantes ou terroristes) ».

Des réponses à éprouver

L’ANR a donc retenu trois projets, financés maintenant, et un projet de secours en liste complémentaire. Des solutions qui s’appuient sur des technologies innovantes développées par des consortiums d’industriels, de PME et des laboratoires de recherche publics.

ANGELAS, pour ANalyse Globale et Évaluation des technologies et méthodes pour la Lutte Anti UAS (Unmanned Aerial System), est porté par le centre français de recherche aéronautique ONERA.

« ANGELAS va mettre en œuvre des moyens de radars, d’optronique et d’acoustique. C’est la solution pour réussir à éliminer les fausses alertes et pouvoir réagir rapidement. Ici, chaque brique technologique va être poussée à son maximum pour être la plus performante possible », précise Dominique Poullin expert radar à l’ONERA. Ainsi, des radars passifs qui utilisent les émissions existantes des objets ou des systèmes optroniques, comme ceux utilisés pour surveiller des frontières ou des zones maritimes, pourront être utilisés pour ANGELAS.

Les équipes qui travaillent sont donc pluridisciplinaires.

Concrètement, ANGELAS va additionner des systèmes de détection, d’identification et de neutralisation afin de répondre spécifiquement à différents scénarii de survol. « Les réponses doivent pouvoir s’adapter aux sites sensibles isolés et aux zones urbaines à protéger. » Pour la détection et l’identification des drones, pas question de donner l’alerte pour un pigeon ou une voiture. La multiplicité des senseurs et les essais sur les terrains avec EDF vont permettre d’affiner les réglages d’ANGELAS. 

« Nous sommes dans un appel à projets et nous rendons compte régulièrement à l’ANR et au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale de nos travaux. ANR qui peut aussi nous orienter vers des pistes en fonction de leurs besoins. »

La combinaison des radars, de l’optronique et de l’acoustique sont pour l’ONERA une partie de la solution, « la goniométrie va compléter tout cela avec un réseau de capteurs qui va être capable de détecter et localiser la signature du drone ou de sa télécommande ». Ensuite, pour la neutralisation des drones, plusieurs pistes sont à l’étude dont le brouillage des télécommandes, la prise en main du drone pour le faire atterrir dans un endroit sécurisé ou le voir retourner vers son téléopérateur.

L’Institut de criminologie de Paris est aussi un des partenaires. Il va permettre à ANGELAS de prendre en compte tous les aspects légaux du dossier.

Du côté de CS Communication, société d’ingénierie spécialisée dans la défense et la sécurité qui s’est regroupée avec des PME, le projet Boréades veut apporter des réponses à toutes les demandes de l’appel à projets. « Même dans la Défense, il n’y a pas de solutions pour ces petits engins. Il nous faut donc les inventer. La détection est le point le plus compliqué. Les radars classiques sont parfaits pour un missile, un avion de chasse… mais les drones sont petits, avec une très faible signature. Ils peuvent passer en vol stationnaire puis repartir… Et malgré tout cela, le radar doit être capable de ne pas décrocher, de conserver sa cible. Le paramétrage et les réglages doivent être très fins et précis », explique Denis Chaumartin.

Boréades cumule les technologies avec un radar thermique capable de détecter une très faible signature thermique. Pour sa présentation, le projet va donc associer de deux à quatre capteurs actifs et passifs. De plus, l’objectif est de proposer une solution adaptée à des installations fixes, combinant portée de détection et intégration à un environnement complexe (les centrales nucléaires, par exemple), mais aussi des systèmes plus légers déployables dédiés à la protection d’événements particuliers, ponctuels, manifestation sportive, politique, un grand événement à protéger…

Deux versions différenciées, au-delà de leur maniabilité, par leurs caractéristiques et leurs réponses techniques.

Pour la partie neutralisation du drone, « nous allons le désorienter avec un brouillage et un leurrage radiofréquence. En même temps, nous le coupons de toute liaison avec la télécommande et nous brouillons aussi son signal GPS. Nous pouvons alors le dévier de sa trajectoire et le faire poser à un endroit où nous pouvons le récupérer. En même temps, Boréades va permettre de récupérer, avant qu’il ne se pose, le plan de vol du drone, ou son point de départ, pour localiser le télé-pilote et réaliser son interpellation. Boréades sera capable de scruter l’ensemble de l’horizon du site à protéger et de détecter plusieurs cibles éventuelles. »

Le troisième projet est le SPID, il est mené par un consortium d’acteurs experts, dont Byblos Group mais aussi l’Armée de l’air, la Gendarmerie, la SNCF…

« Nous avons avec SPID tenu à apporter des réponses à l’ANR tout en pensant aux coûts des matériels, à leur maintenance ou encore à la formation du personnel devant travailler sur SPID. Nous proposons donc un système qui utilisera des technologies complémentaires : acoustique (détection du son), optronique (dispositif associant des caméras et de l’électronique), radiogoniométrie (détection et contrôle des fréquences), et radar. Nous savons que chaque technologie a ses propres limites. Le radar est souvent coûteux et compliqué en usage et en formation, l’optronique sera moins efficace si la transmission atmosphérique n’est pas bonne (grosse pluie, brouillard, …). Enfin, l’acoustique sera perturbée par le grand vent. Notre idée est donc, selon la menace, d’adapter l’utilisation des technologies, seule ou combinées », précise Éric Georges.

Pour la suite, la radiogoniométrie va permettre de détecter la fréquence de la machine, « nous avons établi une base de données des drones les plus courants qui va faciliter cette tâche ». La neutralisation pourra se faire par les forces de l’ordre sans risque ajouté et en toute légalité.

Surveillance du trafic routier, des voies de chemins de fer, des vignes ou de champs agricoles, thermographie aérienne, secours, industrie, prise de vues, les drones civils sont partout. ANGELAS, BOREADES et SPID devront rendre leur copie à l’ANR et au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale qui recevront et donneront suite, à la fin de l’année 2016, aux présentations des projets sélectionnés pour assurer la protection des zones sensibles vis à vis des drones aériens.